La 8ème Nuit Excentrique
- Détails
- Dossier par Guénaël Eveno le 11 avril 2012
La bande à l'asile
Le 31 mars dernier, selon un rituel aussi consacré que les boules à Noël, le chocolat à Pâques et l’otite post-écoute du nouvel album de Madonna, la Cinémathèque de Paris a déroulé son tapis rouge au nanar.
Les passionnés de Nanarland rendent honneur aux nanars depuis la nuit des temps d'Internet, et la Cinémathèque le leur rend bien en accueillant la huitième manifestation qui rend les mauvais films sympathiques visibles sur un grand écran, coincés cette année quelque part entre deux films de la rétrospective Tim Burton. Le travail de nanarchéologie devient chaque année plus rude, mais c’est toujours avec un grand plaisir que l’on découvre les nanars-cut et les bande annonces étranges défrichées pour l’occasion par l’équipe du site qui fouille dans les abysses du cinéma tels des James Cameron en maillot de bain. Quelques jeux organisés achèveront d’animer une nuit qui a battu des records sur l’applaudimètre de six heure du matin (merci le café). La sélection, très orientée 3ème Reich cette année, a donné la part belle à quatre longs métrages de quatre horizons très différents.
Le film qui ouvre les hostilités se nomme Le Sadique A La Tronçonneuse, réalisé par Juan Piquer Simon en 1983. Le réalisateur, déjà responsable de Supersonic Man, nous gratifie d’un slasher qui lorgne de manière hasardeuse vers Les Frissons De L’Angoisse, tout en essayant de racoller au passage quelques fans de Massacre A La Tronçonneuse. Tout commence lorsque le jeune Timmy tue sa maman avec une hache parcequ’elle lui a interdit de faire des puzzles avec des femmes nues. Le gredin arrive à s’en sortir, et quarante ans plus tard, d’étranges meurtres à la tronçonneuse sont commis sur un campus de Boston, quelque part en Espagne… heu dans le Massachusetts. Aussitôt la police se met sur le coup, et la police ne déconne pas, elle envoie deux de ses meilleurs agents sur le terrain : une championne de tennis qui trie des dossiers au commissariat et un étudiant lubrique rencontré au début du film (à qui le commissaire confierait sa vie…). Les superflics et nos deux amis auront fort à faire avec Timmy, qui semble ne pas avoir perdu son intérêt pour les puzzles coquins et pour les démembrements sanglants (sans doute en hommage à maman). Ils rencontreront également une journaliste arriviste, ancêtre inavouée de la Gale Weathers des Scream et vivront d’autres aventures étranges, voire totalement absurdes.
La particularité nanarde de ce Sadique A La Tronçonneuse est incontestablement ses scènes qui semblent surgir de nulle part, comme une femme en skate qui se jette contre une vitre ou bien notre tenniswoman qui s’aventure seule sur le campus et se retrouve nez à nez avec un prof de kung-fu qui la tatanne, avant de s’excuser et de se retirer comme si de rien n’était. On relèvera aussi l’ombre rôdeuse et peu discrète du tueur, les fausses pistes aussi subtiles qu’une perceuse électrique, le rôle peu commun donné à une civière et un final qui ne provoque qu’une seule réaction : "Pourquoi ?". Mais le sadique à la tronçonneuse restera dans les mémoires grâce à ce thème au piano insupportable qui se loge dans votre cerveau pour ne plus jamais en sortir.
Nanar n’a guère de loi. Après les joyeusetés du slasher freudien, nous voilà projetés dans l’univers d’Ilsa.Interprétée par la plantureuse Dyanne Thorne, cette matonne impitoyable, condensé de la femme aryenne, officia dans les camps de la mort nazis dans le film Ilsa, La Louve Des S.S, pilier du gestaporn, un sous-genre qui se plaisait à explorer les dérives sado-masochistes du troisième Reich. Pour le deuxième film issu de la trilogie, j’ai nommé Ilsa, Gardienne Du Harem, autrement connu sous le nom Ilsa, Gardienne Du Harem Des Rois Pétroles (…) ou bien tel que présenté ce soir-là , Esclaves Du Désirs, nous découvrons que notre dominatrice a profité de la mondialisation pour migrer dans un pays arabe gros producteur de pétrole. Elle dirige d’une manière fort professionnelle un harem, fournissant des filles de tous pays à un cheikh mégalomane et sadique, faisant régner une discipline de fer dans les lieux, assistée par ses lieutenantes Satin et Velours.
Mieux vaut ne pas abuser de la patience d’Ilsa, car elle connaît bien les tortures animalières (une remise au goût du jour du supplice du rat de 1984, quelques variantes avec fourmis et araignées). Mais la vie pépère de ce petit monde va être bouleversée par l’arrivée d’un diplomate américain négociant en pétrole et surtout de son second, le commandant Adam Scott de l’US Navy. Notre Ilsa se découvre une âme de blonde et tombe dans les bras du bellâtre (Max Thayer, dans sa prime jeunesse), qui est malheureusement soupçonné de trahison. Elle finira par guider la révolte contre le cheikh dans un climax où chaque femme devra prendre les armes pour la liberté. On sera heureux que la liberté triomphe et qu’un gentil gamin soit délivré de sa géole par l’américain pour succéder au tyran, et surtout que l’héroïne paie au final ses exactions. Cet opus se révèle agréable à suivre, oeuvrant dans un registre souvent comique (en particulier les scènes avec le diplomate) et se révélant plutôt rythmé. Il connaîtra même le privilège de lancer le cri de guerre de la nuit : "Le bossu ! le bossu !".Â
Le troisième film de cette nuit excentrique était un coup de poker. Aux dires de Jean-François Rauger, il a fallu plusieurs années pour se décider à programmer Le Führer En Folie à la nuit excentrique, et on comprend pourquoi à la vision de la chose sur grand écran. En 1973, Phillipe Clair se décidait à s’attaquer à Hitler en le ridiculisant à sa manière, sous fond de rivalité France / SS sur le terrain du football ! Le spectacle offert, à l’instar du Dictateur de Chaplin ou de To Be Or Not To Be de Lubitsch, se voulait une satire ridiculisant le troisième Reich. Des ambitions qui, si elles avaient été remplies, auraient accordé une place au film dans une rétrospective plus consensuelle de la Cinémathèque.
La vraie question est : Le Fûhrer En Folie est-il au moins un bon nanar ? L’accueil qui lui a été réservé le range sans ambages du coté du navet, et si on salue l’audace jusqu’au boutiste des programmateurs, l'objet filmique de Phillipe Clair n’est qu’une comédie pas drôle à déconseiller à ceux qui ont les nerfs fragiles. Il explore une vision extrême de l’idéal humoristique français des années 70 et 80 (A coté, Les Charlots et La Soupe Aux Choux passeraient pour du Tarkovski) qui baigne dans l’hystérie jusqu’à son générique final.
Henri Tisot passe son temps à hurler si bien qu’on développe une haine envers Hitler au-delà de tous les actes abjects qu’il a commis, Alice Sapritch cabotine une Eva Braun à peine croyable, Michel Galabru est en roue libre et les trois "héros" (Patrick Topaloff, Luis Rego et Maurice Risch) improvisent sur un scénario qui semble lui-même improvisé. La diffusion en salle accentue encore le déluge de bruit et l’absence de repos laissé au spectateur, qui ne peut plus fuir dans le sommeil et se retrouve réduit à passer par tous les états : colère, déni, acceptation, et puis colère. Mais il en faut plus pour entamer l’enthousiasme du nanardeux, qui est fait de fer. Le Führer En Folie est une expérience inhabituelle, et on peut être fier d’en être ressortis la tête haute.
Godfrey Ho est devenu une une valeur sûre de la nuit excentrique. Alors que son Clash Of The Ninjas avait conclu la septième édition, c’est au Gang Des Crapules (Ninja In Action) qu’échoue la lourde tâche de fermer la huitième. Ce métrage tourne autour d’un trafic de diamants. Un gang de ninjas réussit à piquer une mallette pleine de ces pierres précieuses, mais le gros bonnet, X (Louis Roth, le génial Roy de Clash Of The Ninjas) n’aime pas partager. Il empoisonne ses complices, mais l'un deux parvient à s'enfuir avec le butin. Aussitôt X envoie des vilains ninjas le supprimer. Pendant ce temps, un occidental (Stuart Smith, grand cabotin devant l’éternel) accepte d’aider sa compagne à supprimer X, qui a tué le papa de celle-ci.
Cet opus est une production de Thomas Tang qui s’était fait une spécialité de la méthode du deux en un, à savoir utiliser des extraits de film existants souvent inconnus et de compléter par le tournage de quelques scènes, impliquant un casting différent et quelques occidentaux qui bossaient pour le studio, les gweilos. Cette méthode douteuse a donné naissance à bon nombre de films incohérents de Godfrey Ho dans lesquels les différentes storylines se croisaient de manière artificielle au mieux, parfois jamais, la plus notable étant Hitman : The Cobra, dont le célèbre final est à 90% déconnecté de l’histoire.
Le Gang Des Crapules suit cette voie et use de toutes les astuces pour relier l’intrigue de la chasse à l’homme (vieux film récupéré) à celle de la vendetta du couple (tournée à la va-vite). Logiquement, ce couple ne peut interagir avec le vieux film et passe ainsi son temps à guetter les lieux où se déroule l’action. Le téléphone de X et l’enquête de la police locale s’avèrent être d'astucieux moyens pour créer du liant entre les films. L’intrigue parvient à être suffisamment limpide pour éviter les incohérences flagrantes présentes dans beaucoup de deux en un. On peut donc s’amuser de l’aventure de ce ninja en proie à ses vilains collègues et à une femme opportuniste qui le trompe avec son frangin, quand on ne se bidonne pas devant le lamentable combat final avec doublure à moumoute qui se termine par le bad guy qui se fait seppuku en demandant pardon au dieu des ninjas !
C’est sur cette note badine, suivie de quelques bandes-annonces coquines que chacun put sortir respirer la fraîcheur du matin à neuf heures pétantes, et accueillir le mois d’avril avec un peu plus de bonhomie. Je ne vois pas de plus belle façon de conclure que cette chansonnette qui révèle la facette sombre de l'acteur David Warner. A méditer.