Vinyan
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- Critique par Nicolas Zugasti le 8 octobre 2008
Voyage au bout de la folie
En thaïlandais, Vinyan signifie "fantôme". Pourtant pas l’ombre d’un fantôme asiatique traditionnel représenté par une petite fille aux cheveux longs et sales. Mais un éblouissant et intense moment de cinéma.
Durablement impressionné par les enfants tueurs du deuxième long (et deuxième chef-d'oeuvre) de Narcisso Ibanez Serrador, Du Welz avait l'intention de faire un remake des Révoltés De L'An 2000 (oui même à l'époque, 1976, les titres français valaient leur pesant de cacahuètes). Mais des problèmes de droit rendront l'entreprise impossible. Et si l'on retrouve ici, après Calvaire, la présence inquiétante d'une cohorte d'enfants au sein d'une forêt (qu'elle soit belge ou thaïlandaise), c'est bien plus l'émanation d'une réminiscence, plus marquée et centrale dans Vinyan, qu'une référence explicite. Du Welz, bien qu'imprégné par une grande culture cinéphilique parvient à s'en démarquer suffisamment afin d'en nourrir son cinéma sans que l'on assiste à une litanie stérile de citations.
Car Vinyan, bien que travaillé par une dimension fantastique et surnaturelle prégnante, est avant tout une formidable expression fantasmagorique de la difficulté (l'impossibilité ?) pour un couple de faire le deuil de leur enfant emporté par le tsunami de 2004. C'est donc toujours avec l'espoir chevillé au corps que Jeanne (Emmanuelle Béart) et Paul (Rufus Sewell) sont restés vivre en Thaïlande à Phuket. Le mari avec l'espoir de raviver leurs relations en perdition, la femme avec celui de retrouver leur fils Joshua bien vivant.
La source d'inspiration la plus remarquable est sans conteste Ne Vous Retournez Pas de Nicolas Roeg. Moins par l'esthétique que par l'argument de base et le questionnement sur le point de vue. A travers les yeux de quel personnage suit-on l'histoire ?
Mais Vinyan rappelle également les films de Werner Herzog où l'ambiance fiévreuse due aux conditions extrêmes de tournage venait contaminer les acteurs et donc le métrage. Avec ce film, Du Welz nous donne à vivre un parcours aussi envoûtant que déstabilisant et qui demande au spectateur une ouverture d'esprit aussi ambitieuse qu’exigeante. A l'image du film en somme. Vinyan qui rappelle également le cinéma de Lynch lors de ses moments de latence inquiète où l’étrange peut survenir à tout instant.
Au-delà des artifices de réalisation ou des références souterraines, le film de Du Welz est remarquable par sa capacité à retrouver l’esthétique, la rage, l’essence du cinéma des seventies pour donner encore plus de force à un récit somme toute basique. Le ton est donné dès le générique qui vaut comme programme à venir. Une caméra sous l’eau filme un bouillonnement de bulles, une forme fugace, des cheveux, du rouge vient teinter l’eau, le tout avec en fond sonore des cris de peur, de détresse. Soit l’écho du drame qui immerge d’emblée le spectateur. Un générique qui nous conditionne à vivre une expérience visuelle et sensorielle des plus singulière.
Outre la typographie des noms et du titre du film (Fabrice du Welz’s Vinyan), le grésillement constant, la saturation des sons, la photo de Benoît Debie concourent à rappeler l’âge d’or du film de genre, les années 70. Le terme est lâché. Oui, Vinyan se réclame du cinéma de genre et ne peut se réduire à des effets auteurisant. La violence du propos (la marchandisation du réconfort à travers l’enfant que l’on achète impunément) ne fait jamais l’économie d’une violence plus frontale. Si Vinyan est loin d’être une succession de vignettes graphiques, les rares moments sanglants n’en sont pas moins intenses et impressionnants et font furieusement penser aux bandes cannibales italiennes des Deodato, D’Amato et consort.
Tout comme l’errance de Jeanne (dans la jungle urbaine ou birmane) rappelle le voyage au bout de la folie de Au Cœur Des Ténèbres, le livre de Conrad ayant inspiré Apocalypse Now de Coppola.
Vinyan est un peu tout cela à la fois mais n’a strictement rien à voir avec un basique film d’horreur ou fantastique tapageur comme le laisse présager certains. Le film de Du Welz est difficile à appréhender mais il mérite d’être découvert par le plus grand nombre. Or, à une exception près, pas un magazine ne l'a mis en avant, affermissant la ghettoïsation du cinéma de genre en France. Distribué dans à peine cinquante salles, ce traitement aura pour effet de le cloisonner dans la sphère repoussoir des films de genre qui tâchent. Car le seul enfermement qui vaille est celui qui intervient intra-diégétiquement et qui voit notre couple s’embourber dans ses convictions, ses illusions et ses fantasmes.
Si le travail visuel et sonore fourni par le réalisateur et toute son équipe est à saluer, l’immersion n’est pourtant pas totale. Les personnages ont du mal à transmettre leurs émotions et l’on se retrouve de plus en plus détaché de leur sort, à l’image de Jeanne tournant la tête pour regarder intensément le fantôme de son fils pendant que son mari s’échine sur elle. Un manque d’affect qui pourrait être rédhibitoire si la mise en scène de Du Welz ne le transcendait pas. Expurgé de tout évènement narratif, le scénario se prête à une expérimentation formelle ayant pour seul but de plonger les spectateurs de plus en plus profondément dans le fiction, dans la folie qui s’empare peu à peu des personnages comme de la pellicule.
Après un Calvaire réjouissant, Fabrice du Welz poursuit son exploration des tourments de l'âme dans une débauche esthétique qui confine à l'abstraction. Quitte à sacrifier au passage tout facteur humain. Osé, déroutant, maîtrisé, Vinyan l’est moins par son intrigue que par la formidable proposition de cinéma de son réalisateur. Des images qui affecteront longuement vos rétines et vos cœurs.
VINYAN
Réalisateur : Fabrice du Welz
Scénario : Fabrice du Welz, Olivier Blackburn & David Greig
Production : Jérémy Burdek, Michael Gentile, Nadia Khamlichi, Adrian Politowski
Photo : Benoît Debie
Montage : Colin Monie
Bande originale : François-Eudes Chanfrault
Origine : Belgique, France
Durée : 1h36
Sortie française : 1er octobre 2008