Postal
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- Critique par Clément Arbrun le 23 août 2010
Master of error
"Le goût est le sourire de l'âme ; il y a des âmes qui ont un vilain rictus, c'est ce qui fait le mauvais goût" disait Léo Ferré.
Le mauvais goût. En quelques temps, Uwe Boll, le seul, l’unique, s’est vu bâtir une jolie réputation de "Ed Wood du vingt-et-unième siècle" (appellation ô combien alléchante), pour cette qualité bien particulière.
Son absence de talent brille au vu de ses films les plus connus, tels House Of The Dead, Alone In The Dark, BloodRayne ou encore King Rising…
Des adaptations de succès vidéo-ludiques, qui ont vite été cramées sur le bûcher par les fans, énervés par tant de médiocrité. On peut se demander, à juste titre, le rapport entre le classique de Frédérick Raynal et ce film vite fait mal fait, où les bêbêtes en plastique s’en donnaient à cœur joie. Le plus surprenant, c’est que le germanique a su capter l’attention parmi les amateurs dingues (dits cinéphages) de films mauvais comme cochons à visionner lors d’une soirée arrosée à la bière (Copyright Yannick Dahan) et parfumée de pizzas, qui s’amusaient de voir un tel être grossier pataugeant dans la mare de l’univers cinématographique. On peut se demander si tout cela est bien normal, si Boll n’a pas eu son diplôme de metteur en scène en tapant du pied dans un distributeur automatique (en vérité, le système de financement de Mère Allemagne permet au trublion de monter ses œuvres). Ce qui est sur et certain, c’est que le "cas" Boll est synonyme d’échec et de mauvais films. Nul doute qu’une fois lapidé par ses détracteurs, le cinéaste rejoindra ses confrères Max Pecas et Bruno Mattei au paradis des erreurs du cinéma mondial, ceux qui n’auraient jamais du tenir une seule caméra de leur vie, si le bon goût était de coutume. Uwe Boll allait-il poursuivre son massacre à coups de mouvements de caméra maladroits, le tout sous un rire gras et légèrement provoc’ ? Hum Hum…
LA CLASSE GERMANIQUE
Celui que les critiques baptisent justement Master of Error n’avait pas dit son dernier mot. En l’an de grâce 2007, notre homme revient, désireux de porter à l’écran le fleuron vidéo-ludique Postal 2. Déjà, un petit mot pour ceux qui n’ont pas la chance de connaître ce gentil divertissement, propice à perdre un temps précieux devant l’écran de son PC. Postal est un jeu de type run and gun où l’on incarne un gars nommé Postal Dude, qui, tout au long de la semaine, se doit de produire des actions plutôt anodines (chercher du lait, un chèque, etc.). Sauf que !… Comme il se doit, le joueur peut tranquillement se balader dans le lieu principal : une ville fictive nommée Paradise (nom évidemment noyé d’ironie) et agir avec violence afin de poursuivre son chemin (voir avec beaucoup de violence). Jusqu’ici, tout allait bien, mais qui dit "violence virtuelle" dit "violence en vrai" (cela va de soi). Enfin, surtout pour ceux qui tiennent en mains les ciseaux de la censure, les sains d’esprit qui Dieu Merci se tiennent éloignés de ces putrides cochonneries virtuelles. Le tintamarre démarra : Postal fut taxé de danger, de saleté ultraviolente et immorale. Et le développeur Running With Scissors (joli nom n’est-il pas ?) d’en payer les pots cassés. On ne repassera pas au crible le perpétuel débat "Je joue à Super Mario World, ce qui me donne envie de gober des champignons hallucinogènes et de shooter dans des carapaces de tortues innocentes". A Ryan Gordon, qui a porté sous Linux le jeu, de mieux résumer ce qu’est, en vérité, Postal : "It's a brilliant caricature of our mangled, disconnected, fast-food society, disguised as a collection of dirty jokes and ultraviolence. It's Bret Ellis's American Psycho in the desert..”.
Délires gores et scatos à souhait, clins d’œil critiques acides (des parodies hilarantes d’affiches publicitaires), mauvais goût vraiment assumé (de l’urine, de la merde, du sang au menu), le tout plongé furieusement dans un mixer. Jouissif et tellement too much qu’il en devient attractif, délirant. Ce qu’est également le film de Boll. Assez parlé, passons aux choses sérieuses.
"C’est un film pour la liberté d’expression, qui écrase la gueule de tous ces stupides idiots religieux. Les fondamentalistes et les chrétiens intégristes, façon George Bush, dirigent la planète ; ça nous inquiète, mais on ne fait rien. On ne fait rien non plus, à propos des guerres vides de sens ou du réchauffement planétaire. On ne fait qu’en parler. Et pendant ce temps, les politiciens, payés par les industries du pétrole et de l’armement, détruisent tout."
Ces propos proviennent de la bouche même de Boll, qui, lors de la sortie de Postal, fut envahit par les intervieweurs de tout poil. Un film coup de poing ? Un délire scato ? Un "miroir de la réalité" (comme le décrit avec la même passion le metteur en scène) ? Toujours est-il que c’est avec fureur que le germanique a vomi sur le système tout en affichant un joli doigt à la censure. Que de bonnes intentions, en somme. Non, Postal n’est pas un métrage qui cristallise avec brio les songes infinis d’intellectuels accros à Fritz Lang, égarés dans des abîmes de perplexité, et perdus dans les sombres tunnels boueux de leurs existences morbides. Par contre, on y voit une femme obèse répugnante et vulgaire, un looser roux qui se transforme peu à peu en super killer, le dirigeant d’une secte qui apparaît la quéquéte à l’air, ou encore une vraie tête de lard, calque homo sapiens de Porky Pig.
L’histoire ? Elle tient sur une serviette McDonald’s : un anti-héros par excellence se rallie à l’Oncle Dave (l’homme qui affiche ses fruits de la passion) afin de mettre la main sur une poignée de Coucougnettes, peluches qui se vendent comme des petits pains chauds. Ainsi commence l’aventure ! Le spectateur, éberlué, surpris, les yeux comme des pêches, plongé dans une fascination continuelle, assiste peu à peu au pétage de plombs d’un Uwe qui n’a rien à perdre. Exit l’aspect incolore de ses dernières babioles : Boll a bel et bien un style. Il l’a trouvé en fourrant sa main dans une mixture pour sales gosses.
Le scénrio n’est qu’un prétexte pour aligner les homeruns : on tire sur la religion (ces adeptes gagas d’une secte), sur les handicapés (le pauvre inadapté est traité comme un objet), sur les nains (Verne Troyer, copain de Gilliam, manipule un godemiché, enfermé dans une valise !) ou sur…le (jadis) Président des Etats-Unis. Un Bush qui aime appeler son meilleur pote Oussama Ben Laden, histoire d’avoir des nouvelles. Les deux compagnons, amis pour la vie, n’hésitent pas à gambader gaiement main dans la main lors d’une fin aussi réjouissante que franchement nihiliste. Drôle de mélange.
Dans les pochettes surprises que réserve Boll, on peut s’attendre à tout. De l’islamiste ridicule, une population formée de ringards, de fous ou d’imbéciles profonds (en somme, la définition de ce qu’est l’Amérique pour le réalisateur !), un massacre de bambins où seul compte l’audience télévisuelle, deux vieillards pervers, une séquence d’ouverture démentielle (où un avion dirigé par deux musulmans, pressés de savourer quelques vierges dans l’au delà, part s’écraser contre une fameuse tour), et un ultime pied de nez lancé comme un dernier coup. Le coup d’un catcheur qui n’hésite pas à vomir sur Spielberg (Postal est sorti durant la même période que le dernier Indiana Jones, Boll se moqua du film en costumant Verne Troyer de l’habit de l’aventurier, dans un but de promotion), à envoyer voltiger les journalistes qui lui crachent dessus, ou encore, à se grimer en acteur afin d’annoncer, le sourire jusqu’aux oreilles, que ses films sont financés par l’or des nazis.
NON, CE N'EST PAS UN FILM DE MICHAEL BAY !
Mais attention ! Postal n’est pas qu’une potacherie montée dans un coin de jardin. Malgré quelques imperfections (c’est tout un art de filmer les fusillades, malheureusement, c’est un talent que Boll n’a pas !), le film se montre ingénieux, malin, soulignant avec force un côté cartoon inattendu.
Exemple : quand il se faufile chez les islamistes, notre héros, pour ne pas faire de bruit, y entre allongé et sur la pointe des pieds, d’une manière cocasse rappelant le fameux passage de Comment Le Grinch Vola Noël, dessin animé inspiré du conte du Dr Seuss, scène où le méchant Grinch vole les cadeaux des paisibles citoyens. Donc, dans son ensemble, le film de Mr Uwe Boll s’approprie les caractéristiques des cartoons à la Chuck Jones. En est témoin la scène où une voiture atterrit sur un homme, de la même façon que l’éternel rocher qui écrase Coyote dans n’importe lequel des épisodes de Bip Bip. Tous les passages violents, comme la fusillade d’une vingtaine d’enfants, semblent alors non sérieux, et rejoignent ces vieux films (ceux de Max Senett par exemple) où le comique était celui de la douleur ! L’usage de la violence dans ces séquences est tellement exagéré que le fou rire n’est jamais loin. Un passage du film nous montre le héros déguisé en policier. Une foule, qui cherche à le tuer, arrive, mais ne le reconnaît pas sous l’uniforme. Tel un Bugs Bunny poursuivi par Elmer Fudd, le héros réussit à échapper au coup du fusil par le déguisement, comme le fait souvent le mangeur de carottes, étant, temporairement, hors de danger.
L’exemple Postal démontre parfaitement que deux univers unis par une caractéristique commune (le mauvais goût) peuvent s’additionner pour ne devenir qu’un parfait outil de contestation. Car l’on ne voit pas des films comme celui-ci tous les jours, on ne voit pas des adaptations aussi fidèles (Boll a même repris le fameuse arme féline, c'est-à-dire un flingue coincé dans le trouduc’ d’un chat, excusez l’expression) et des délires aussi jusqu’au-boutistes.
Que dire de plus, si ce n’est qu’avec son alléchant Rampage, Uwe Boll prend déjà un sacré virage dans sa carrière, le portant vers des projets aux principes sacrément excitants. Dans cette histoire aux allures de Chute Libre (rappelons que Schumacher fut l’auteur de quelques films dépeignant le pays de l’Oncle Sam sous ses plus mauvais jours), un homme protégé par une armure se défoule gaiement dans la rue, tirant sur tout ce qui bouge, sans but précis. De quoi foncer comme un dingue, direction le premier site de torrent venu !
PS : Nul doute que, tout comme Schumacher, Boll ne recevra pas tout de suite de Médaille d’Honneur. Voici deux artistes qui ne font pas dans la dentelle mais qui ont au moins le mérite de se faire plaisir tout en faisant plaisir aux autres. L’un avec des super héros gays, l’autre avec des délires atomiques. Amen.
POSTAL
Réalisateur : Uwe Boll
Scénario : Uwe Boll, Bryan C.Knight
Producteur : Uwe Boll, Daniel Clark
Photographie : Mathias Neumann
Montage : Julian Clarke
Bande originale : Jessica de Rooij
Origine : Allemagne
Durée : 1H40
Date de sortie française : 6 septembre 2009