Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade
Fétiches délices
En quinze ans de travail à Hong Kong, à écrire pour certains des principaux représentants de l’industrie cinématographique (Tsui Hark, Wong Kar-Wai et Johnnie To en tête), les duettistes Laurent Courtiaud et Julien Carbon ont accumulés un bagage et une expérience propice à la création et au financement de leur premier long-métrage.
C’est donc avec Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade que les deux anciens journalistes passent derrière la caméra avec un film dont le sujet et le traitement l’éloignent clairement des autres objets filmiques estampillés "de genre" en France, auquel il est malgré tout rattaché du seul fait de la nationalité de ses deux instigateurs.
Carrie, mécène des arts à Hong Kong, est obsédée par les sévices physiques et les châtiments desquels le bourreau de Jade, sous le règne du premier empereur de Chine, était un expert et un esthète. A l’aide d’un poison il provoquait les pires douleurs ainsi que les plaisirs les plus divins à ses victimes. Carrie traque ce poison, contenu dans une petite fiole et le trouvera par l’entremise de Catherine, maitresse en cavale d’un ministre véreux, et par l’intermédiaire de Sandrine, trafiquante d’objets d’art. Réunis dans la ville de tous les dangers, tout va évidemment aller au plus mal quand en plus un mafieux va tenter de faire valoir ses droits.
Comme dans la majorité des premiers films, les deux réalisateurs ont mis pratiquement tout ce qu’ils aiment au cinéma, mais réussissent pourtant à garder une cohérence et une tenue, leur référence ne venant jamais parasiter le plaisir éprouvé, sur l’air du coup de coude grossier au spectateur. Les Nuits Rouges Du Bourreau De Jade est présenté par ses deux auteurs comme un film sur le fétichisme, mais est tout autant un film fétichiste.
Film sur le fétichisme car le personnage de Carrie, interprétée par Carrie Ng, est obsédé par un fétiche, la fiole contenant le poison, objet de fantasmes et d’espérances. Cet aspect obsessionnel du personnage est lié à l’amour qu’on les réalisateurs pour leur actrice, magnifié dans chaque plan. S’il fallait absolument voir un hommage quelconque dans ce film (comme la presse française le souhaite visiblement, dès qu’elle a affaire à un film sortant de leur ordinaire), il serait envers Carrie Ng. Et c’est malheureusement par là que va se révéler le défaut majeur du film : le manque de consistance des personnages secondaires, et principalement celui de Frédérique Bel. Présentée comme une femme manipulatrice et arriviste, maitresse d’un ancien ministre mouillé dans l’affaire des frégates de Taiwan qu’elle assassinera, elle ne s’élèvera jamais au niveau du personnage de Carrie Ng, alors qu’une montée en tension devant logiquement mené à une confrontation n’a jamais lieu (malgré une belle scène de sniper). Les deux réalisateurs ont du jongler avec l’obligation de personnages français, du fait des capitaux camemberts et ce qui aurait pu donner une porte d’entrée aux spectateurs non accoutumés à HK et à son cinéma laisse finalement une impression de collage inutile, qui influe sur le rythme parfois bancal du métrage.
Malgré ses détours scénaristiques pas forcément utiles, l’histoire reste fascinante dans sa description d’une obsession discrète mais perverse relayée par une mise en scène au diapason. A contrario de nombre des productions françaises "de genre" plus portées sur des mise en scène plus "brutes" et nerveuses dans leurs découpages (ce sont les termes diplomates pour ne pas dire "découpées à la truelle"), bien souvent pour cacher la petitesse des budgets, Les Nuits Rouges… pose son cadre et dilate le temps dans des plans longs, sensuel faisant rejaillir l’aspect vénéneux du propos et de sa protagoniste principale. S’attardant sur la précision des gestes et les mouvements comme chorégraphiés de ses protagonistes, le métrage imprime par moment un sentiment d’irréalité, renforcé par une vision de la ville différente de nos habitudes. Ne la filmant pas comme une fourmilière géante et un endroit en perpétuel excitation (à la Tsui Hark ou Johnnie To), mais allant dans quelques milieux interlope magnifiés par un Scope maitrisé dans une plutôt vision fantasmée, de par le caractère "d’immigrés" de ses réalisateurs.
Plus qu’un film se passant à Hong Kong, le film est une déclaration d’amour évidente à son cinéma et à son pouvoir de fantasmagories infinies. Les Nuits Rouges… est un objet suffisamment rare dans la production française qu’il serait dommage de passer à côté (soyons chauvin et considérons le film comme français, ça nous fera du bien). Mais au-delà même du plaisir de voir des frenchies franchir le pas du long-métrage avec un film aussi peu ordinaire et fascinant, il marque surtout la naissance de cinéastes qui, on l’espère, vont continuer dans cette voie d’un cinéma singulier et enthousiasmant. Que leur futurs films soient français finalement cela n’a que peu d’importance, seul compte le plaisir du visionnage au bout du compte. Et malgré ses défauts évidents, mais pas handicapants, ces sévices cinématographiques en procure, du plaisir.
RED NIGHTS
Réalisateurs : Laurent Courtiaud & Julien Carbon
Scénario : Laurent Courtiaud & Julien Carbon
Production : Alexis Dantec, Rita Wu
Photo : Man-Ching Ng
Montage : Sébastien Prangère
Bande originale : Alex Cortés & Willie Cortés
Origine : Hong Kong / France
Durée : 1h35
Sortie française : 27 avril 2011