De Rouille Et D'Os
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- Critique par Nicolas Zugasti le 26 juin 2012
Orque épique
Mine de rien, Jacques Audiard s’est déjà bâti une bien belle filmographie dont De Rouille Et D'Os présenté à Cannes vient confirmer la solidité.
Certains trouvent le réalisateur surcôté, question d’appréciation personnelle, comme toujours, en attendant au moins cherche-t-il à accorder sa réalisation à son sujet pour produire sens et émotions. On adhère ou pas au traitement.
Dans le cas de De Rouille Et D’Os, on peut comprendre les réticences voire le rejet puisqu’il plonge en plein mélodrame renforcé par la peinture pas folichonne d’un milieu social ouvrier laissé pour compte. Mais après tout, tous les héros d’Audiard sont des laissés pour compte, finalement, des personnages en marge. Cette fois-ci on l’envisage plus frontalement avec le perso de Matthias Schoenerts, vagabond père d’un jeune garçon et venu rejoindre sa sœur sur la côte azuréenne pour vivre de subsides et de petits boulots. Il passera ainsi de videur de boîte de nuit à installateur de caméra de surveillance des employés, une évolution de "carrière" qui le mènera donc crescendo vers un détachement complet de la condition précaire de son milieu puisque cet espionnage des arrières boutiques commandité par les patrons d'entreprise aura des répercussions fâcheuses sur son proche entourage.
On ne peut pas parler de reniement car il semble ne pas prendre conscience de la portée de ses actions, du moins ne pas voir plus loin que la survie journalière. Sa rencontre avec une autre survivante, Stéphanie (Marion Cotillard), amputée des deux jambes à hauteur des genoux après un incident lors du show d'orques qu'elle dirigeait, sera pour lui l'occasion d'exprimer la tendresse qu'il ne manifeste que rarement pour son gamin. Non pas à cause d'un mauvais fond mais bien plus par immaturité.
Deux personnages qui vont s'aménager de plus en plus de temps passé ensemble pour une relation naturelle détachée de tout sentimentalisme, du moins apparent. Ainsi, les relations sexuelles qu'ils auront seront placés sous le signe du pur rituel hygiénique ("Pour voir si ça fonctionne toujours"), Ali proposant sans ambages ses services, celui-ci étant "opé".
Ces deux êtres s'apprécient avant tout parce qu'ils se complètent (voir la séquence où Ali emmène pour la première fois après son accident Stéphanie se baigner dans la mer – et puis, à leur manière, ce sont deux êtres coupés en deux aussi bien symboliquement que physiquement, Stéphanie n'a plus ses jambes et Ali semble priver de cerveau), et bousculent mutuellement leurs existences. A ce titre, la mise en scène d'Audiard ménage de beaux instants à deux sans pour autant s'apesantir sur leurs difficultés communes. Un mélo prenant sans être larmoyant. Et comme dans le reste de la filmo du réalisateur, les deux personnages sont définis par une violence parfois exacerbée qui est seule capable de les extirper des contingences de leur milieu pour enfin s'accomplir. Celle d'Ali étant plus graphique puisqu'il utilise ses poings tandis que celle de Stéphanie se dévoile dans sa manière de se renfermer, d'écouter l'air absent ceux venant la visiter, comme si son attitude traduisait sa volonté dissimulée de les éjecter de sa vie.
Tout aussi intéressant est la façon dont les deux personnages peuvent tour à tour être envisagés comme la Belle et la Bête, la monstruosité de Stéphanie dû à son physique diminué se partageant avec sa beauté et la brutalité d'Ali contrastant avec la compassion qu'il est capable d'afficher.
On peut sourire de voir Stéphanie se comporter parmi les free fighters comme la dresseuse d'orques qu'elle était mais ce parallèle est plutôt bien amené et est la résultante de l'évolution progressive de ce personnage d'abord confiné à l'arrière de la camionnette puis prenant peu à peu plus d'assurance pour désormais venir parmi ces "bêtes sauvages" d'un nouveau genre.
Si on peut émettre quelques réserves sur un final recherchant à priori l'émotion facile et factice (la journée passée dans la neige puis sur un lac gelé impliquant Ali et son fils), cette séquence est remarquablement mise en scène et peut s'interpréter comme l'ultime chance donnée au personnage par son réalisateur pour enfin prendre conscience de ses actes et responsabilités. C'est peut être asséné au burin mais bordel quel admirable résultat !
Oui, il est facile (et, allez, ce peut être assez drôle quand c'est bien fait) de caricaturer le film en le présentant comme un Intouchables 2 mais De Rouille Et D'Os est avant tout un nouveau jalon de l'oeuvre de cet auteur confirmé.
DE ROUILLE ET D'OS
Réalisateur : Jacques Audiard
Scénario : Jacques Audiard & Thomas Bidegain d'après le roman de Craig Davidson
Production : Jacques Audiard, Pascal Caucheteux, Martine Cassinelli...
Photographie : Stéphane Fontaine
Montage : Juliette Welfling
Bande originale :Alexandre Desplat
Origine : France / Belgique
Durée : 2h00
Sortie française : 17 mai 2012