Cinéman
La rose pourpre précaire
"Cinéman ne plaira pas aux étudiants en cinéma."
Voilà comment Yann Moix présente son film dans Illimité, le magazine d'UGC. Ben ouais, un étudiant en cinéma ça connaît le cinéma, ça connaît les films, et surtout, ça les aime.
Du coup, quand on pond un truc comme Moix vient de le faire, dans lequel on passe une heure trente à se foutre de chefs-d’œuvre et des spectateurs, c’est normal de s’adresser à un public "populaire". C’est bien connu, les gens sont cons, ils ne connaissent rien, pas comme les étudiants en cinéma.
Car oui, il ne faut pas se le cacher, Cinéman est un vrai calvaire cinématographique. Une heure trente de pellicule totalement irregardable qu’on ne souhaiterait même pas la vision à son pire ennemi. Ce qui choque vraiment pendant toute la durée du métrage est cette impression d’incohérence totale, comme si chaque responsable de poste de la prod s’était dit qu’il allait faire n’importe quoi, comme si Yann Moix n’était pas là ou totalement à côté de la plaque.
Pourtant, on pouvait s’attendre à passer un plutôt bon moment. Après son gentil petit film du dimanche soir de TF1 qu’était Podium, la promesse d’un gros film hommage au septième art par ce sympathique auteur / réalisateur qu’est Moix n’avait pas vraiment de quoi inquiéter.
Sauf que Cinéman, c’est juste pas possible.
Et ce dès un début mettant en scène le pauvre Franck Dubosc qui tente tant bien que mal de camper un professeur de maths vieux garçon vivant dans un environnement totalement décalé. On voit l'intention de la part de Moix de créer un univers particulier, entre le lycée et ses différents codes couleurs, l’appartement de Dubosc rempli de chats et de plantes sauvages et tous les petits délires que l’on peut apercevoir dans le fond de l'image. Le problème est qu’on ne comprend strictement rien à rien, la faute à des explications pliées en deux secondes, si bien qu'après dix minutes de film, on est totalement perdu. Il n'y a qu'à voir la scène d’introduction nous présentant le Cinéman comme héros national convoité de tous appeller Catherine Deneuve en plein milieu d’un film (impossible de se souvenir du quel par contre) pour une fausse conversation téléphonique en split screen aussi conne et pas drôle que du Mozinor.Pour continuer dans le nawak total, et là c’est plus grave, signalons l'incapacité qu'a Moix de conserver la moindre petite cohérence dans ce qu’il raconte et ce qu’il montre dès qu'il s'agit de l'argument moteur du récit. Les personnages secondaires sont introduits n’importe comment, que ce soit le bad guy ridicule campé par ce pauvre Pef, le Morpheus pitoyable et au rôle incompréhensible qu’est Pierre Richard et cette pauvre Lucy Gordon dont le personnage est introduit le plus naturellement du monde dans l’environnement de Sissi, sans qu’on comprenne jamais qui elle est réellement.
Difficile donc de s’y retrouver dans cette pagaille narrative, et jamais pendant le film Moix ne cherchera à clarifier un peu les choses.
Au contraire, plus le récit avance, plus le réalisateur de Podium lâche prise et oublie, voire abandonne sa narration. On se retrouve devant un paquet d’incohérences ou de trous scénaristiques énormes : jamais on ne comprend comment le Cinéman revient des films, ni même pourquoi au bout de quelques bobines il n’a plus besoin d’embrasser le fameux pendentif magique (il lui suffit alors de dire "action"). Oui, le public est trop con pour voir ça, encore un truc d’étudiant en cinéma !
Même quand le film attaque le vif du sujet, c’est-à -dire reprendre des scènes de films célèbres, Moix reste incapable de produire quelque chose de potable. Le seul segment qui ferait presque illusion est celui censé représenter le dyptique Pour Une Poignée De Dollars / Et Pour Quelques Dollars De Plus (et pour lesquels ils n’ont pas l’air d’avoir eu les droits). Dubosc y est plutôt bien grimé, l’action se suit sans grande douleur malgré le personnage insupportable de Pef. Mais toutes les autres parodies / hommages (on fait vite l’amalgame) est une honte absolue. Le cinéaste prétend n’avoir revu aucun des films cités dans Cinéman afin de ne pas les reproduire mais de se servir de ses souvenirs de cinéphile. Là on se dit qu’il aurait peut-être mieux fait de les revoir tant il en vient à réduire les œuvres à des énormes gabegies. Des Duellistes de Ridley Scott, Moix ne retient que les plans circulaires, Robin Des Bois version Michael Curtiz se résume à Dubosc essayant tant bien que mal de nous faire du OSS 117 en riant comme un crétin par intervalle de dix secondes. Alors quand il s’attaque à Scorsese et Kubrick, allant même à les mélanger en un seul et même film (la cohérence narrative elle est où là  ? Dans mon cul ?), on se dit que c’est vraiment peine perdue, et que Moix devrait mieux utiliser son abonnement à la Cinémathèque.
Le tout est en plus affreusement photographié, car même si on ne demande pas aux deux directeurs de la photo de reproduire les sublimes images de John Alcott pour Barry Lyndon ou de Frank Tidy pour Les Duellistes, la moindre des choses aurait été de s’appliquer un minimum, mais encore une fois c’est ici du zéro pointé. Alors on n'évoquera pas les scènes "hors cinéma" devant lesquelles on croirait mater un épisode d’Hollywood Night : les images parlent d’elles-mêmes, parti pris ou pas, c’est juste moche et ça pique les yeux.
Mais évidemment, tout ça, ce sont des remarques d’étudiant en cinéma. Oui parce que Madame Michu (qui chantait tout Cloclo devant Podium sur TF1 en faisant son repassage) elle ne s’en rendra pas compte vu que Dubosc fait du Dubosc pendant 1H30 avec des costumes rigolos.
Par contre, Madame Michu elle risque de se demander si le projectionniste de son petit cinéma de campagne ne s’est pas endormi dans sa cabine, car tout au long du film (tout au long du film !) le son et l’image sont désynchronisés. Impossible de ne pas sortir du récit toutes les trente secondes tant le décalage choque. Le film a en effet, Moix l’avoue volontiers, été victime de problèmes de son et a dû être (quasi) totalement post-synchronisé en studio. Il ne faut donc pas s’étonner d’entendre un son différent de ce qu'était censé sortir des lèvres. C’est moche, insupportable,hallucinant, mais c’est là , sous nos yeux d’étudiants en cinéma. Du coup, Pierre Richard a un ton de voix totalement différent de ses expressions faciales et vous n’entendrez pas une seconde la vraie voix de la regrettée Lucy Gordon, entièrement doublée par une actrice française.
Problèmes techniques, problèmes artistiques, Cinéman est un naufrage total. Mais au bout d’un petit moment passé devant, on en vient à se demander si Yann Moix n’aurait pas simplement craqué et totalement saboté son film. Il suffit de voir le générique pour se poser des questions : deux directeurs de la photographie, trois monteurs, rien que ce petit détail met la puce à l’oreille sur les conditions de travail sur le film.
Remontages, divergences artistiques avec la production ? Entre Moix et ses techniciens ? Aucun moyen d’en être sûr puisque le réalisateur se vante partout d’être extrêmement fier de son film, malgré son tournage éprouvant de onze mois.
Onze mois de tournage pour ça ! Ça ne choque personne ? Entre le départ de Poelvoorde apparemment en désaccord avec les films choisis par Moix (l’acteur aurait préféré des projets plus funs; tels que des films de zombies - tu m’étonnes), l’arrivée, parait-il un peu forcée par la production, de Dubosc sur le projet et les départs consécutifs de Jean-Paul Rouve et Julie Depardieu du casting ont l’air d’être quelques premiers signes d’un tournage tumultueux. Mais encore une fois, en interview, la question est plutôt évitée et Dubosc reste sur le devant de la scène en permanence, avec un Yann Moix tout sourire.
Pareil pour le budget, qui oscille, selon les sources, entre 16 et 25 millions d’euros. La différence de 9 millions expliquerait sans doute les problèmes de post-production, remontages et séances de post-synchronisation. D’ailleurs ce doublage éveille également quelques soupçons par rapport à l’écriture du scripte. Les lèvres exécutant à plusieurs reprises des mouvements diamétralement opposés aux paroles entendues, on réalise bien qu’un paquet de vannes et de répliques ont été changées durant la post-production. Problème d’efficacité comique ? Vu que même ainsi, Cinéman n’est pas drôle, difficile de se prononcer, mais la question du doublage se pose quand même, au-delà des problèmes techniques rencontrés par l’équipe.
Mais bien plus que cet aspect purement technique, la part artistique de l’œuvre de Moix nous mène tout autant à nous demander si le ou les montages du film n’ont pas eu raison de ses idées originelles et du film en général. Entre l’utilisation récurrente de différents stock shots animaliers ou cinématographiques totalement absurdes censés créer un effet comique, ou certaines idées de mise en scène comme faire prendre les lianes en arrière à Dubosc / Tarzan, ressemblent plus à des choix de dépit une fois arrivé devant le banc de montage qu’à de vrais choix artistiques réfléchis vu qu’il est clair que les plans ont été tournés à l’endroit et que les mimiques des personnages ne sont pas du tout adaptées à cette direction là . Yann Moix aurait-il tenté de monter le film le moins mauvais possible avec la pire des matières premières ? Il est franchement difficile de l’affirmer tant son attitude toujours positive voire arrogante en interview a l’air de montrer qu’il est sûr de lui et de son film, alors que ce dernier montre une œuvre entièrement ratée et charcutée du début à la fin.
Ajoutons à cela qu'aucune critique n'a montré le bout de son nez avant la sortie du film, illustrant une probable absence de projection presse, et une publicité autour du bouzin arrivée que très tard avec Moix et Dubosc enquillant quelques plateaux télé. A croire que même le distributeur n'y croit pas vraiment.
Il suffit de voir Olivier Dazat, scénariste de la chose, totalement réaliste face à l’échec artistique du film, qui raconte qu’il a dû s’enfermer deux mois en salle de montage avec Yann Moix tant le premier montage était catastrophique, tant la production faisait tout pour évincer le réalisateur du montage de son film, comme cela a été le cas pour Podium, remonté par TF1 afin de le rendre plus énergique et plus diffusable en télé tant la première version du réalisateur ne convenait pas. D’ailleurs Dazat pose, avec un certain cynisme, la question du vrai amour que Moix et lui peuvent réellement porter au cinéma en lui-même (Dazat n’étant scénariste que par besoin financier, Moix cinéaste sans aucune réelle conviction), et des conséquences que cela peut avoir sur le film. Mais il affirme aussi avec conviction que Cinéman marchera au Box-Office, achevant, toujours avec cynisme, que le public n’a que faire des problèmes techniques et des réelles velléités artistiques. Ça fait quand même peur quant à l’état du cinéma en France. Mais c’est pas vraiment nouveau.
Donc oui, la question se pose réellement, surtout que des problèmes de production de ce genre ne sont pas vraiment légion en France, on avait pour habitude de laisser ça plutôt à la Fox. Mais on atteint ici un tel niveau de nullité absolue, cumulée à une promotion peu engageante et des galères de tournage assez rares pour un film français, qu’on se demande si cet échec est vraiment la faute du projet en lui-même et de son réalisateur ou si ce dernier a fait ce qu’il a pu face aux problèmes et aux exigences économiques de la production.
On espère que Moix ou un autre viendra un jour rétablir la vérité, si vérité il y a, mais il n’empêche qu’en l’état, Cinéman est sûrement ce que vous verrez de pire dans les salles cette année. Un vrai traumatisme.
Mais ça doit encore être un truc d’étudiants en cinéma.
CINÉMAN
Réalisateur : Yann Moix
Scénario : Yann Moix & Olivier Dazat
Production : Abel Nahmias, Fernando Victoria de Lecea, Geneviève Lemal
Photo : Rémy Chevrin & Jérôme Alméras
Montage : Marco Cavé, André Billaud & Philippe Bourgueil
Bande originale : Julien Baer
Origine : France
Durée : 1H30
Sortie française : 28 octobre 2009
Commentaires
S’abonner au flux RSS pour les commentaires de cet article.