Chrysalis
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- Critique par Nicolas Bonci le 4 novembre 2007
L'enjeu sans visage
En avançant l'idée que les critiques sont avant tout des frustrés, Julien Leclercq était dans le vrai : quand on sort de Chrysalis on est consumé par un extraordinaire sentiment de frustration.
Une litanie revient invariablement dans les médias : celle du jeune cinéaste à l'imagerie ambitieuse, amené tel un prophète à déclencher une nouvelle "Nouvelle Vague" française dans la mer grisâtre du deux pièces/cuisine. Cela fait bien une douzaine d'années qu'on l'attend cette new new wave, et on est à chaque fois loin des remous annoncés. La faute entre autre à ces "jeunes cinéastes visuels" si absorbés par leur besoin d'en imposer qu'ils en oublient l'essentiel : raconter une histoire, intéresser les spectateurs et étayer un propos. Les Mégaton, Dahan, Gans, Poiraud, Salomé, Shapiron et consort se succèdent, et les choses restent désespérément les mêmes, au point qu'un jeune cinéaste doive encore aujourd'hui se justifier de faire du cinéma.
Ce statut de sauveur messianique échoit cette année à Julien Leclercq, dont l'ambition de porter à l'écran un polar de SF lui vaut à l'avance l'absolution de ses pêchés par une partie de la communauté cinéphile geek. Or au cinéma, l'intention de vaut pas l'action. Encore moins quand celle-ci se limite candidement à vouloir faire "comme les américains" en sombrant dans la démo technique vidée de toute substance, illustrant un scénario éculé, peu aidé par un casting dubitatif (mention une fois de plus à Mélanie Thierry).
La banalité du récit est d'autant plus décevante qu'en matière de SF française, le champs d'investigation reste large : en vingt ans le genre fût abordé seulement par Caro & Jeunet, Enki Bilal, Pierre Jolivet (Simple Mortel), Coline Serreau (La Belle Verte) ou encore Jean-Michel Roux (Les 1000 Merveilles De L'Univers). Décevant, et frustrant, CQFD. L'univers futuriste du film n'est d'ailleurs jamais exploité : la machine à reproduire la mémoire étant ici une invention récente, secrète et expérimentale, l'histoire qui nous est contée pourrait très bien se passer de nos jours. Mais, plus grave, les thèmes invoqués sont à peine survolés, dommageable pour de la SF. Quid du trafic de la mémoire ? De la chirurgie esthétique ? De la perte d'identité ? De la désincarnation des corps ? Rien, si ce n'est au beau milieu du récit une séquence d'opération sur hologramme censée symboliser le propos du cinéaste, mais lié si artificiellement au reste du métrage (une vague sous-intrigue de vente de matériel aux chinois) qu'il n'en reste que la désagréable sensation de tape-à -l'œil.
Se donner tant de mal techniquement et recréer un Paris version 2025 pour un apport de fond si faible est une énigme, d'autant plus lorsque l'on est réduit à mettre dans le décor le chien robot de Sony et le lapin Nabaztag, ou de gaver son film de gros plans sur des cadres photo USB. Si on veut bien admettre que dans vingt ans Google serve à localiser les flics (moué…), on a comme un doute pour le chien…
Peu aidé par un script dans lequel les scènes de tension ne font jamais avancer le récit, et recourant à d'énormes facilités scénaristiques (la flic libérant le prisonnier de ses entraves, la gamine dans l'ascenseur), Leclercq avait tout intérêt à chiader son découpage pour impliquer le spectateur. Et c'est loin d'être le cas. L'exemple le plus parlant est la séquence d'ouverture, qui montre une course poursuite puis un gunfight durant lequel le héros perd sa femme. Cette scène essentielle de par sa dramaturgie (elle apprend au spectateur les motivations futures du héros et présente le bad guy) voit sa portée totalement anéantie car montée en parallèle avec... les cartons du générique !
La suite du métrage tend d'ailleurs à confirmer que ce choix est davantage une rustine visant à colmater les aléas du découpage : il n'y a dans Chrysalis quasiment jamais plus de trois plans montés permettant de visualiser l'espace, les situations, les personnages et leurs interactions, et donc permettant de donner corps à cette histoire, une profondeur, un rythme. La majorité des plans est composée d'entrées de champ, de lents panoramiques, de plans d'observation extérieurs à l'action, et de travellings. De très lents et très nombreux travellings. Soit que des images pouvant être montées dans n'importe quel sens, les séquences un peu plus longues étant parfois victimes de violations d'axes désagréables.
Une chose est sûre, Leclercq aime les travellings. Qu'ils soient avants, arrières, latéraux, en plongée, on en mange à toutes les sauces pendant quatre-vingt dix minutes, rappelant le pire de Jeunet, comme si une mise en image cinématographique "comme les américains" devait obligatoirement mener à poser sa caméra sur une Dolly. Lassant quand le procédé est répété systématiquement au sein d'un récit au rythme lent : à durée égale, un plan travelling paraît toujours plus long qu'un plan fixe. Une obsession du travelling qui se vérifie par deux fois, d'abord par un travelling vertical le long de la clinique nous permettant de découvrir avec effroi qu'en 2025 il existe encore des infirmières et des femmes de ménage. Ensuite avec le déjà fameux plan en cablecam, long travelling arrière couvrant une course poursuite entre Dupontel et le bad guy. Au-delà de l'effet immédiat qui laisse perplexe, cette scène laisse un sentiment de gratuité technique, amplifié par les scènes de combat montées à la hache et peu lisibles du fait d'une caméra à l'épaule + obturateur rapide.
Avoir l'ambition de faire de la "belle image" pour pas cher est honorable, encore faut-il que ce soit au service d'un projet qui aille plus loin que de l'illustratif de fanfilm sous peine de voir les détracteurs d'un cinéma visuel ambitieux ressortir leur chapelet. Car il devient assez désespérant de faire régulièrement face à des productions sans queue ni tête en sachant qu'irrémédiablement elles se gaufreront au box-office.
CHRYSALISÂ
Réalisateur : Julien Leclercq
Scénario : Julien Leclercq, Nicolas Peufaillit, Franck Philippon & Aude Py
Production : Franck Chorot
Photo : Thomas Hardmeier
Montage : Thierry Hoss
Bande originale : Antonin Dvorak, Jean-Jacques Hertz & François Roy
Origine : France
Durée : 1h31
Sortie française : 31 octobre 2007