Doctor Who 2011 - 1ère partie

Tempus fugit

doctor who saison 6

Le 19 mai prochain, France 4 lance la saison 6 de Doctor Who en version multilingue par une nuit marathon. L’occasion parfaite pour revenir sur cette année 2011 dans laquelle Steven Moffat poursuivit son travail de démythification du Docteur pour le meilleur et pour le pire. Comme dirait River Song : spoilers!


Cette saison 6 est loin d’être un long fleuve tranquille pour le Docteur et ses compagnons, les jeunes mariés Amy et Rory. Elle serait plutôt une rivière agitée, une tragédie dans laquelle chaque personnage vole dans le temps et l’espace vers sa propre destinée. Après une saison 5 entre deux chaises et moyennement intéressante, celle-ci semble être la première saison véritablement moffatienne du show, celle qui semble lancer la série sur de nouveaux rails. Le showrunner actuel de Doctor Who a fait du Wibbly Woobly Timey Winey sa marque de fabrique bien avant de prendre les clés de la série à Russell T. Davies, mais cette saison est plus que jamais faite de paradoxes temporels, comme elle exploite dans sa narration plusieurs lignes temporelles divergentes.
Dans les cinq premières saisons du relaunch, Davies explorait les aventures du Docteur et de sa compagne (Rose, Martha ou Donna) d’un bloc. Il y avait certes une multitude de voyages qu’on ne voyait pas à l’écran, mais leur déroulement était chronologique et les deux protagonistes les vivaient tous ensemble. Dans cette saison 6 il se passe deux cent ans dans la vie du Docteur entre le premier et le dernier épisode de la saison tandis qu’elle ne doit couvrir qu’un an de la vie d’Amy et de Rory. Ces deux-là seront déposés à Leadworth tandis que le Docteur mènera des aventures en solo. La diffusion anglo-américaine de la saison n’a pas été plus orthodoxe. Elle s’est effectuée en deux parties. La première partie durant les mois d’avril à juin 2011, la seconde de août à octobre de la même année, laissant le temps de digérer la révélation cliffhanger de la fin de l’épisode 6x07 pour repartir de plus bel dans le grand-huit des événements. La diffusion française sur France 4 se fera également en deux parties coupées au même endroit, la deuxième étant diffusée à l’automne prochain.

Doctor Who 2011
 

La construction interne de cette saison emprunte les mêmes chemins que la saison dernière. Moffat tend à construire ces saisons à la manière des X-Files. Il installe une mythologie et ne répond qu’à quelques questions tout en initiant de nouvelles, établissant un nombre clair d’épisodes qui ne traitent que la mythologie. Russell T. Davies se rapprochait d’une structure à la Buffy Contre Les Vampires dans laquelle les indices de la menace étaient dispatchés dans plusieurs épisodes de la saison pour faire monter la sauce et arriver à un grand final qui concluait pour de bon l’arc saisonnier. Cet éparpillement était si subtil que, contrairement à la série de Joss Whedon, il n’y avait que des loners purs. (1)
Cette saison 6 sacrifie malheureusement les loners à ces épisodes mythologiques. Ces derniers sont aussi complexes que maîtrisés, proposant enfin la résolution du mystère de River Song, introduisant de nouveaux éléments au Whoniverse (les Tésselecta dans le 6x08) et des bad guys originaux. A l’exception notable d’un épisode scénarisé par Neil Gaiman qui personnifie à merveille le TARDIS (6x04), les loners font pâle figure à coté de ces épisodes, la plupart se situant même en deçà de la qualité moyenne du show depuis cinq ans. Cette tendance est encore affectée par l’absence de véritable dépaysement : les décors se limitent en grande partie à des entrepôts, des immeubles, des usines, des décors simulés. Si vous souhaitez découvrir de nouveaux mondes ou voyager dans l’Histoire, vous en sortirez quelque peu frustrés. On ne vivra pas ces épisodes indépendants en terme de voyages, mais en terme d’éléments provoquant des prises de conscience aux personnages ou / et apportant de l’eau au moulin des épisodes mythologiques. (2) Pour les admirateurs des saisons de David Tennant et de Christopher Eccleston, il faudra supporter cette phase dépressivo-inquiétante du show, qui en ressortira au final grandi. Ces quelques précisions faites, plongeons avec le TARDIS de L’ouvreuse dans les affres de la ligne temporelle du Docteur en commençant par l’épisode spécial de Noël 2010.  


L’HEURE DU CONTE 
Les Pond ont réservé la suite lune de Miel sur un super vaisseau. Mais voilà qu’il se coince dans une ceinture de nuage et menace de se crasher. Seul un homme pourra les sauver : Kazran Sardick, qui possède Sardicktown et la machine qui peut leur permettre d’atterrir. Mais Sardick refuse de sauver les passagers, car c’est un vieil homme aigri et méchant et qu’il n’en à rien à faire, même en ce jour de Noël. Il ne se doute pas de ce qui l’y attend. En une nuit, le Docteur a décidé de réveiller le peu de bonté qui sommeille encore en lui. Il le fera d’une manière bien familière...

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Les possibilités d’une série sur le voyage spatio-temporel comme Doctor Who sont infinies, elles permettent de ressusciter l’histoire, de voir les possibles futurs, mais aussi de profiter d’arguments de science-fiction pour faire venir le merveilleux. Ce qui intéresse Moffat, plus que la S.F est le pouvoir du conte. Il nous l’a sans cesse montré lors de la dernière saison et pour ce premier Christmas special en tant que showrunner, il attaque un des plus gros morceau du conte de Noël : A Christmas Carol de Charles Dickens.
Lorsqu’on y réfléchit, ce choix tombe sous le sens : quoi de mieux qu’un voyageur du temps pour amener les fantômes des Noël passés et futurs à chambouler la vie d’un homme seul et aigri en une seule nuit ? Steven Moffat sait parfaitement utiliser les possibilités temporelles que lui apportent Doctor Who pour doper son histoire et livrer plus qu’une énième adaptation de l’histoire d’Ebeneezer Scrooge. Pour incarner le vieux Kazran Sardick il inscrit une nouvelle pointure british au tableau de chasse de la série : Michael Gambon himself.  

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Le fantôme des Noël passés (le Docteur) accompagne Sardick d’une façon originale, par écran intertemporel, en lui donnant à voir la visite qu’il fait à son double enfant. Puis vient un nouveau compagnon, Abigail, une jeune femme enfermée dans une chambre de glace, qui faisait partie des gages que Sardick père et fils gardaient en échange des sommes qu’ils prêtaient à la population. A chaque Noël, le Docteur reviendra pour faire vivre à Kazran et à Abigail des aventures merveilleuses. Moffat montre ici l’étendue de sa maestria de conteur par l’image, tissant un lien entre les aventures des trois héros et le Sardick vieux, qui découvre des photos et plonge dans sa nouvelle mémoire au fur et à mesure que le Docteur réécrit sa vie.
Le Docteur aura offert le cadeau de ces Noël à Kazran, mais aussi à la jeune femme qui n’a plus que quelques jours à vivre, et pour qui chaque jour sera un nouveau réveillon avec ses amis. Mais le plus brillant reste encore cette romance temporelle qui se tisse entre le jeune Kazran et Abigail, cette dernière ne vieillisant pas (elle n’est réveillée qu’à chaque Noël) et Kazran vieillissant d’un an à chacune de leur rencontre. Leur histoire rappelle l'épisode The Girl In The Fireplace (2x03) dans le style romance épisodiques qui traverse une vie et elle introduit dans le conte classique une dimension supplémentaire dont l’émotion est portée par la partition d’un Murray Gold qu’on a pas vu aussi inspiré depuis un an. Mais le temps peut-il être réécrit ? Peut-on changer le passé ? Lorsqu’il apprend qu’Abigail devra mourir, Kazran sera déçu par la vie et n’aidera pas le Docteur. "Les gens ne peuvent pas être réécrits" dit-il. Le fantôme du Noël présent apparaît alors, hologramme d'Amy Pond coincée dans le vaisseau, et il lui donne à voir tous les passagers en sursis. Le fantôme du Noël futur sera un beau tour de passe-passe, un élément finement introduit dans l’épisode qui donnera rétrospectivement sens à tout pour le vieil homme aigri.

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Séparé d’Amy, le onzième Docteur vit nettement plus dans cette épisode que dans toute la saison dernière. Il reste toujours cette version clown du Sherlock de Gatiss / Moffat, un génie qui amuse les enfants mais qui reste complètement déconnecté du monde et des émotions humaines. A coté, Steven Moffat continue d’exploiter les paradoxes et d’exploser les limites entre les époques, mais ces jeux temporels n’amoindrissent pas l’intérêt dramatique de son histoire. Le seul défaut de A Christmas Carol est son requin en CGI. Le reste est un chef-d’œuvre à mettre aux cotés de The Girl In The Fireplace, Blink (3x10) ou bien le diptyque Silence In The Library / Forrest Of The Dead (4x08 et 09). Un enchantement qui fait pardonner aussitôt au conteur tous ces épisodes tièdes de la saison 5.  


LE DÉBUT DE LA FIN 
Amy, Rory et River Song reçoivent une lettre bleue du Docteur qui les invite à le rejoindre en Amérique. Il leur propose un pique-nique durant lequel il laisse entendre qu’il a deux cent ans de plus que lors du dernier épisode. Mais un mystérieux astronaute apparaît dans le lac lors du pique-nique, et il tue le Docteur. Un vieil homme, Canton Everett Delaware III, détenteur de la quatrième invitation, débarque sur les lieux de la tragédie et leur donne l’essence pour brûler le corps du Docteur. Fin de la série. Et non !  La saison 6 ne fait que commencer et les anglais (ou écossais dans le cas de Moffat) ont beau être plongés dans une marmite d’absurde dès tout petit, on ne tue pas la poule aux œufs d’or aussi vite. Canton prévient les trois qu’il ne les reverra pas mais qu’eux le reverront. Le Docteur apparaît alors : il s’agit du Docteur de la fin de la saison 5, qui a également été invité par cette version plus vieille de lui-même. La perspicace River lui confie qu’ils se trouvent tous là car ils ont été recrutés pour une mission en 1969 où ils rencontreront une version jeune de Canton Everett Delaware III. Si vous êtes déjà largués à ce niveau, vous ne ferez pas long feu dans cette saison.

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1969. Canton Everett Delaware III, ancien agent du FBI mis à la porte il y a plusieurs mois est contacté par Richard Nixon pour une affaire de la plus haute importance. Chaque jour depuis deux semaines, le président des Etats-Unis reçoit l’appel direct d’une gamine qui dit qu’elle a peur d’un homme de l’espace. Le Docteur débarque et prend le cas. A la Maison Blanche, Amy rencontre un hideux monstre en costume qu’elle avait vu au lac mais oublié depuis. Cette faculté semble être le principal atout du monstre car elle l’oublie ensuite à nouveau ! Au nouvel appel de la gamine, l’équipe emmène Canton dans le TARDIS. Ils se retrouvent dans une vieil entrepôt où ils finissent par rencontrer ladite gamine dans le fameux costume d’astronaute (3).
Plusieurs semaines plus tard dans l’Utah, Amy et Rory se font tirer dessus par Canton alors qu’ils fuient, portant d’étranges marques de traits sur leurs bras. River disparaît avant de connaître le même sort, le Doc est enfermé dans la zone 51. Tout cela n’est qu’un plan pour réunir la bande et combattre les Silents, les mystérieux monstres qui se font oublier. Le Docteur compte utiliser pour cela le pied de Neil Armstrong et l’aide d’Amy ainsi que l’aide d’Amy et Canton qu’il envoie chercher la gamine en combinaison d’astronaute dans tous les foyers d’orphelins du coin.

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Steven Moffat brise la convention qui veut que depuis 2005 il n y ait aucun épisode double, mais il ne le fait pas pour rien. D’une part l'auteur introduit une intrigue très complexe qui va guider sa saison. D’autre part, il bénéficie d’une visite de la production de Doctor Who aux States pour épauler la diffusion sur BBC America. The Impossible Astronaut / Day Of The Moon est le début du grand jeu de piste de 2011, celui qui fera travailler vos méninges à plein régime. Très dense, il introduit une nouvelle idée importante toutes les trente secondes et finit par poser en un temps record tous les élements de la saison. Le revers de la médaille : Moffat, qui occupe ici le poste de scénariste, devra caser une information primordiale (la grossesse d’Amy, suggérée au début) au dernier moment, puis l’abandonner l’épisode suivant, à dessein, jusqu’à ce qu’un nouvel élément soit introduit en ce sens dans le deuxième épisode.
Pour compliquer l'affaire, ce double épisode flirte sans cesse avec le paradoxe temporel, tant les lignes des destins des héros se croisent en une seule histoire. De quelle manière se croisent-elles ? Au spectateur de boucher les trous avant les révélations de la saison. Précisons néanmoins que ce double épisode ne se présente dans toutes ses qualités et sa complexité qu’après avoir vu la saison 6, ce qui dénote un travail de scénarisation hallucinant. Le showrunner a déjà activé l’enchaînement d’événements qui mèneront à la mort du Docteur. Une mort qu’Amy aimerait effacer en agissant sur le futur. Mais River Song lui rappelle sans cesse les règles : le Docteur ne doit pas connaître son avenir ou bien toute réalité s’effondrera. Fidèle à son précepte "no spoilers", elle reste aussi mystérieuse sur son passé, qui est l'avenir du Docteur, mais ses motivations sont plus égoïstes.

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Ce double épisode donne également la part belle à l’horreur grâce aux Silents, de mystérieux "E.T in black" qui vont jouer un rôle non négligeable dans l’intrigue de cette saison 6 avec leur pouvoir de se faire oublier lorsqu’on ne les voit plus. Le groupe se rend compte qu’il doit mener une révolution pour déloger ses créatures qui occupent le monde depuis bien avant notre civilisation. Pour se rappeler des fois où ils les ont vus, les héros devront se marquer d’un nouveau trait, des peintures de guerre visuellement marquantes et qui rajoutent à l’effrayante présence de ces monstres en costard. Moffat choisit de nous montrer le point de vue des héros qui ont été bernés. Ainsi lorsque Amy se retourne avec des dizaines de traits sur elle, le spectateur se retrouve aussi surpris et perdu que le personnage. Lorsqu’elle regarde au plafond, des dizaines de Silents l’observent, les pieds collés au mur tels des chauves souris. L’autre trouvaille : un implant greffé qui s’illumine et enregistre les rencontres, très utile, autant dans le but qui lui est assigné que pour servir le scénario sur l’état de la relation entre Amy et Rory. Enfin, il y a cet homme à la mémoire ravagée par les Silents à force d’effacements, qui marque l’étendue de la menace de ces Men In Black au délit de faciès prononcé. 

Doctor Who 2011
 

A coté de ce qui sera nécessaire pour la suite et de la rencontre des bad guys, cette incursion en Amérique est bourré de répliques et de situations hilarantes, notamment le flirt entre River Song et le Docteur qui est encore plus savoureux que lors de la saison dernière. Comment ne pas sourir au fameux nom de code "Mrs Robinson" qu’il lui attribue ? Le TARDIS invisible atterrit en plein Bureau ovale, Nixon intervient à plusieurs réprises pour épauler le plan insensé du Docteur. Même Rory a droit à ses bons moments, en dépit de l’incohérence du personnage qui reste toujours aussi peureux et maladroit alors qu’il a affronté durant 2000 ans les pires menaces pour protéger Amy. Le personnage de Canton, greffé à l’équipe ne démérite pas. Mark Shepard (vu dans Firefly) compose un excellent américain pas si typique que ça (4). Le personnage se soude aussitôt à cette équipée intrigante.
Pour les fanas d’archéologie, on découvrira que l’Homme a été sur la Lune parce que les Silents l’avaient influencé pendant des siècles : ils avaient besoin du costume spatial qui emprisonnerait la gamine. Enfin, le plan du Doc pour faire cesser l’invasion est tout bonnement génial, concluant l’affaire et s’arrangeant du même coup pour que personne ne s’en souvienne.  

A suivre...


(1) Les loners sont les épisodes d’une saison qui ne traitent pas ou peu du fil rouge, qu’ils soient en l’occurrence des épisodes simples ou doubles. Dans cette saison 6, un des loners est un double épisode. 

(2) L’exemple le plus flagrant est le double épisode 6x05 et 06 qui n’est guère passionnant et peu original pour une série comme Doctor Who. Il ne sert au final qu’à introduire le Flesh, un élément lié au fil rouge de la saison.

(3) Il s'agit du même costume d'astronaute que celui que portait l'assassin du Docteur au début de l'épisode.

(4) On apprend au final qu'il a été viré de l’Agence pour avoir voulu se marier avec un black.  


DOCTOR WHO – SERIE 6
Scénario : Steven Moffat, Stephen Thompson, Neil Gaiman, Matthew Graham, Mark Gatiss, Tom MacRae, Toby Whithouse, Gareth Roberts.
Réalisation : Toby Haynes, Jeremy Webb, Richard Clark, Julian Simpson, Peter Haar, Richard Senior, Nick Hurran, Steve Hugues
Producteurs : Steven Moffat, Piers Wenger, Beth Willis, Marcus Wilson
Compositeur : Murray Gold
Interprètes : Matt Smith, Karen Gillan, Arthur Darvill, Alex Kingston...
Origine : Royaume-Uni




   

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