Doctor Who 2011 - 2ème partie
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- Série TV par Guénaël Eveno le 22 mai 2012
Rendez-vous avec la mort
Continuons l'exploration de cette saison, qui voit le Docteur se mettre sur la route de son assassin et des événements le préparer à  un changement de cap majeur. Attention spoilers !
A la conclusion de la saison 5, River Song avait annoncé au Docteur que son temps était fini, car le jour où ils découvriraient qui elle est approchait dangereusement. Elle ne lui avait pas menti. Cette saison 6 ménage une place toute particulière à son personnage, puisque l’arc mythologique est consacré à la résolution de son mystère. On découvre enfin les origines et le noir secret de celle qui croise le Docteur dans le désordre depuis la saison 4 et qui est à l’origine de l’histoire d’amour temporelle la plus dysfonctionnellement géniale jamais vue à l’écran. (1)
La version future de River accompagnera le double épisode américain pour dire un dernier adieu déchirant à son Docteur, passant le relais au Timelord qui a encore tout à découvrir d’elle. Il ne faudra que deux superbes scènes, un dialogue avec Rory et un tête à tête avec le Docteur, pour saisir à quel point il lui est difficile de voyager avec ce jeunôt de 900 ans qui la connaît de moins en moins alors qu’elle a vécu tant de choses avec lui. D'autant plus déchirant que le jour où le Docteur ne se souviendra plus d'elle lors de leurs retrouvailles aura lieu très prochainement. C’est ce jour que nous avons vu dans le double épisode de la saison 4 Silence In The Library / Forrest Of The Dead (4x08 et 4x09). Steven Moffat modifie ainsi en deux courts échanges la perception d’un épisode vieux de deux saisons et demie.
A peine le temps de nous séparer de celle qui se souvenait que nous passons sans le savoir au déroulement de sa vie. River n’est nulle autre que le mystérieux astronaute, cette gamine élevée et conditionnée dans le seul but de tuer le Docteur ce 22 avril 2011 à 17h02 au lac Silencio. La saison 6 est un peu son histoire, de son conditionnement par une nounou maléfique et son adolescence à sa rencontre avec le Docteur en passant par sa naissance dans des circonstances tragiques, pour aboutir au final au meurtre du Timelord. Un épisode pour chacun des événements fondateurs de sa vie, un enchaînement plutôt expéditif pour ce qui s’annonçait comme l’ajout le plus excitant du showrunner à la mythologie du Docteur. Mais c’est oublier le travail d’ellipse effectué sur la plupart des épisodes de Moffat et que le rôle est tenu par l’excellente Alex Kingston, qui peut passer en peu de temps de la femme mûre qu’elle est à la gamine délurée et psychopathe dépéchée par l'Ordre du Silence.
Enfin, le spectateur qui a plongé dans les souvenirs de River Song pendant nombre d’épisodes possède une quasi omniscience sur les grands moments de sa vie. Ainsi dans l’épisode Let’s Kill Hitler (6x08) qui démarre la deuxième partie de la saison, nul n’est besoin de tambours et de grands violons pour saisir l’enjeu de sa rencontre et de son coup de foudre pour le Docteur puisque la River plus âgée se souviendra encore de ces moments, qu’elle relatera avec passion des années plus tard. Il en est de même pour le dernier épisode de l'année, qui se conclut par l’emprisonnement qu’on connaît, bouclant en quelque sorte la boucle de son existence. On espère néanmoins avoir l’occasion de revoir River Song et de vivre plus en détail les moments vécus avec son Docteur.
DOCTOR WHO?
Si la vie de River semble toute tracée, celle d’Amy Pond est plus qu’incertaine durant toute cette saison. Enlevée, séquestrée, privée de voir grandir son enfant, traînée dans des mondes au mieux inquiétants, au pire horribles, où elle se trouve à coup sûr en danger de mort. La menace de la mort a toujours été le revers de la médaille des compagnes du Docteur, car s'il promet des voyages et des aventures bigger than life, son monde n’en est pas moins dangereux et imprévisible. Moffat ne retient dans cette saison pour ainsi dire que l’imprévisibilité et le danger. Il atteint dans la deuxième partie un point où on peut légitimement se demander pourquoi Rory et Amy continuent leurs voyages. (2)
La note d’intention du showrunner dans cette saison est de remettre la question du qui au sein du personnage du Docteur, et semble l’avoir fait d’une manière plutôt brutale. Ce onzième Docteur incarné par Matt Smith se pose clairement depuis la saison 5 et l’épisode des rêves comme l’obstacle premier dans le couple Amy / Rory (5x07). Il évolue entre clownerie et dédain, réduisant à force de destinations ratées et de réactions égoïstes la marge d’identification que Russell T. Davies avait rendu au Docteur qui avait fait le succès de son époque. Le Docteur devient un danger palpable pour Amy qui refuse de le quitter, et pour Rory qui refuse de quitter Amy. L’identification au Docteur est d’autant plus lointaine que le spectateur et les compagnons ne le suivent plus en continu. Ce madman in a box va, vient et revient comme il lui plaît, ne rendant pas compte de ses aventures en solo à ses compagnons qui l’accompagnent bien passivement dans ses jeux. Ce que le Docteur perd d’empathie est ainsi transmis à Rory l’amoureux transi.Â
Le déstabilisant, mais néanmoins très bien écrit The Girl Who Waited (6x10) teste un point de non-retour de cette logique. On y voit Amy coincée dans une dimension où sa vie s’accélère alors que Rory et le Docteur ne vieillissent pas d’un pouce dans une réalité parallèle. Le Docteur envoie Rory lui porter secours, mais s’est trompé de moment, ce qui fait que lorsque ce dernier vient sauver Amy, vingt huit ans se sont écoulés. Cette dernière a dû survivre et vieillir seule dans cet enfer. Après un an à traîner Rory dans l’ombre d’Amy, Moffat arrive enfin dans cet épisode à lui donner la consistance qui lui manquait. Il devient une sorte de relais du spectateur et achève de convaincre que la place d’Amy est à Leadworth avec lui. Corrélativement, il offre au Docteur ses pires moments. Non content de voguer au hasard dans l’espace-temps, le onzième du nom affiche un comportement de déni devant son erreur. Les mots très durs que lui assène Amy, identifiant premier du spectateur, passent sur lui comme s'il ne saisissait pas l’enjeu de la situation. Aucun des neuvième et dixième Docteur n’aurait été aussi inconséquent et froid après autant de temps passé avec une compagne. Alors que cet épisode se conclut par le pire des destins pour la vieille Amy, il achève de convaincre que celle qu’il a sauvée doit à tout prix se séparer de ce Timelord. Pourtant Steven Moffat refuse de traiter les conséquences de cet épisode important pour repartir dans une nouvelle aventure, comme si les événements avaient disparu de la mémoire de compagnons en plein déni. Malheureusement, le spectateur se souvient.
DOCTOR WHOÂ : ACCEPTATION
On l’aura compris à l’issue de cette saison : au fil des années, le Docteur est devenu une sorte de dieu égocentrique, d’un coté objet d’une vénération malsaine par des peuples entiers et (surtout) par sa compagne actuelle, de l’autre objet de la crainte d’un Ordre qui ferait tout pour le supprimer. Toute la première partie de Closing Time (6x11) expose un monde dans lequel des gens sont projetés pour être mis face à leur pire cauchemar afin qu’un minotaure se nourrisse de leur peur. Mais derrière la peur se cache le véritable ennemi : la foi. A travers cet épisode, Moffat déballe enfin toutes ces notes d’intention, et accorde une sortie de route pour Amy et Rory (3). Le minotaure ne se nourrit pas de la peur des gens, mais de leur foi et la convertit en énergie, car elle a besoin de cette énergie pour vivre. La créature a évidemment attiré Amy qui a foi en son Docteur. De Donna, Martha, Rose, de l’admirateur du dixième Docteur, ou même du petit Steven Moffat, Amy est la personne qui croit le plus aveuglément et depuis le plus longtemps dans le personnage titre.Â
Moffat avoue par cet épisode qu’il a utilisé le conte et ces horreurs pour montrer à Amy (comme au spectateur ou à lui-même en tant que showrunner de Doctor Who) que cette foi ne pouvait plus rien lui apporter à ce stade, qu’il fallait s’en détacher pour aller de l’avant. La scène où le Docteur déballe toute son impuissance devant ce nouveau danger est émouvante, et le final où il l’abandonne à sa vie un soulagement, tout en restant un sacrifice pour ce Docteur. Celui-ci a compris qu’il était comme ce minotaure : une sorte de divinité tellement vieille qu’elle ne cesse de se nourrir de la foi de ses compagnes pour mieux les anéantir.
Mais le Docteur ne se sauve-t-il pas aussi par la même occasion ? Et si Amy n’était pas une transition pour lui, une manière de se délester de ce cercle vicieux qui lui ferait perdre toutes ces compagnes, puis recommencerait encore jusqu’à tomber dans une impasse (la saison de téléfilms de 2009) et se régénérer. Rien n’est fait au hasard, même dans le chemin de notre Timelord. Steven Moffat prouve, comme il l’a assez dit, qu’il ne tiendra pas le schéma Davisien. Il place ces deux saisons comme une transition, une sorte de purgatoire du Docteur prédécesseur pour qui la mort était la seule échappatoire à l’accompagnement.
Si Moffat nous a montré un Docteur borderline pour faire passer la pilule de cette transition, il a aussi assorti Amy d’un élément que les précédentes compagnes n’avaient point : Rory, l’homme qui ne la quitterait jamais malgré les tentations extérieures, véritable grain de sable dans la mécanique de l’intimité entre le Doc et la compagne. Ainsi Amy était-elle la parfaite candidate pour faire cesser le cercle vicieux, de par sa condition d’admiratrice inconditionnelle. La fin de cette transition se valide par la prise de conscience du Docteur, différente de celle du dixième Docteur. Alors que le prédécesseur ne voulait pas mourir, le minotaure a fait comprendre au onzième la vaineté de cette résistance. Est-ce aussi une transition pour Steven Moffat ? Une sorte de catharsis de ses tentations d’inertie envers un personnage qu’il admire et qu’il doit maintenant purger pour amener vers quelque chose de nouveau ? Le Docteur se résigne à sa destruction par River Song et se présente au rendez-vous fatal (début du 6x01).
Les deux derniers épisodes, en plus de rendre limpides tous les chemins qui ont mené au début de cette saison 6, restaurent l’empathie pour un personnage qui veut s'isoler de l’humanité pour ne plus mettre personne en danger. C’est l’occasion d’un loner crépusculaire mais hilarant dans lequel le Docteur retrouve Craig, son colocataire de la saison dernière, et d’un épisode final qui réserve son lot de surprises (6x12).
Le grand final de saison est complexe, foisonnant, un casse tête Moffatien. Mais que le scénariste se soit donné quarante-cinq minutes pour tout faire tenir est une excellente chose. Dans cet épisode, il n’y a pas un morceau de gras. La narration éclatée est maîtrisée et ne se perd jamais dans les méandres des époques. Il faut avouer que le premier épisode a largement contribué à clarifier la situation et que ce final nous est d’ores et déjà familier. The Wedding Of River Song (6x13) contient quelques bons moments, le meilleur étant sans doute le mariage titre, très court, mais touchant. D’abord parce qu’après une saison de griefs qui a conduit le Docteur a accepter de mourir, Moffat arrive enfin à souligner que l’univers ne veut pas de la mort du Docteur. Mais surtout parce que cette scène qui rassemble les quatre protagonistes est tout simplement magique, de ces moments qui manquaient cruellement depuis longtemps. Arriver à faire tenir une scène aussi touchante au milieu de ce chaos est très encourageant pour la suite.
Cette saison 6 est au final loin d’être parfaite. Elle contient en effet un trop grand nombre d’épisodes prétextes qui sacrifient à une histoire et des visées globales du showrunner, mais n’est jamais aussi passionnante que lorsqu’elle se présente dans toute sa cohérence. Elle débouche sur un Docteur qui a berné tout le monde et va pouvoir retourner dans les ombres pour se faire oublier. Une retraite loin du bruit et d’un statut étouffant est tout ce qu’il lui fallait, et Steven Moffat a enfin pleine manoeuvre pour enfin faire exploser le personnage. Mais en se jouant du destin, le Docteur ne va t’il pas provoquer une libération de River au cas où il réapparaîtrait au grand jour ? (ce qui modifierait également son histoire) Moffat va-t-il aller jusqu’au bout de ce qu’il a lancé en proposant du neuf ? Les promesses faites dans ce final semblent prédire de nombreux mystères à résoudre, et peut-être des aventures un peu plus ludiques. C’est tout ce que l’on souhaite à ce onzième Docteur avant qu’une nouvelle régénération (déjà annoncée !) ne vienne laisser place au douzième. Et puis ne l’oublions pas, la saison à venir sera celle du cinquantième anniversaire du show.Â
(1) Rappelons que River Song et le Docteur ne cessent de se rencontrer dans le mauvais ordre depuis son introduction par Steven Moffat lors de la saison 4, alors que David Tennant était encore le Docteur.
(2) Si ce n’est pour retrouver leur fille, mais il est alors bien trop tard.
(3) On sait désormais que cette séparation n’est que temporaire car le couple sera présent dans les premiers épisodes de la saison à venir.
DOCTOR WHO – SERIES 6
Scénario : Steven Moffat, Stephen Thompson, Neil Gaiman, Matthew Graham, Mark Gatiss, Tom MacRae, Toby Whithouse, Gareth Roberts.
Réalisation : Toby Haynes, Jeremy Webb, Richard Clark, Julian Simpson, Peter Haar, Richard Senior, Nick Hurran, Steve Hugues
Producteurs : Steven Moffat, Piers Wenger, Beth Willis, Marcus Wilson
Compositeur : Murray Gold
Interprètes : Matt Smith, Karen Gillan, Arthur Darvill, Alex Kingston...
Origine : Royaume-Uni