La nuit Nanarland
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- Dossier par Guénaël Eveno le 12 septembre 2016
Le rouge et le lion
Le nom change, le délire reste. Pour le plus grand plaisir des noctambules fans des mauvais films sympathiques, la réincarnation de la Nuit Excentrique vit le jour au Grand Rex le 3 septembre dernier.
Le tournant le plus important de La Nuit Excentrique fut négocié en 2015 avec la migration de l’événement organisé par Nanarland de la Cinémathèque Française au Grand Rex. Finies les longues heures d'attente dans le froid pour obtenir le précieux sésame, se concluant parfois dans les larmes et le sang pour cause de jauge de la salle Henri Langlois trop faible pour contenir tous les amateurs de France et de Navarre. La grande salle du Rex permettra d’augmenter le nombre de fidèles, 1730 cette année ainsi que quelques guest stars.
Alors pourquoi ce nouveau baptême en 2016 ? Des questions de droits pardi !, et l’affranchissement complet de la Cinémathèque. Enfin pas totalement complet puisque son chef de la programmation, Jean-François Rauger, l’homme à la cravate d’or, reste le maître de cérémonie. Et nos joyeux collègues de Nanarland de poursuivre leur destinée : après l’émission Escale à Nanarland sur Allociné, leur aventure dans l'édition DVD et la sortie d’un ouvrage, voici venir Nanaroscope, une web-série documentaire soutenue par Arte Creative qui fera son entrée sur le World Wide Web le 12 octobre prochain. Les participants de la soirée eurent d’ailleurs la primeur du premier volet consacré à l’inusable Samourai Cop, deuxième film de cette nuit. A part ça, La nuit Nanarland, c’est toujours une poignée de passionnés qui passent l'année à rechercher les copies perdues de films tournés en leur temps avec le plus grand des sérieux pour un résultat pitoyable mais qui gagnèrent un potentiel comique du tonnerre. Mais aussi des bandes-annonces nanardes, des extraits de films (cuts excentriques) et des jeux avec distribution d'improbables cadeaux (qui désire l’affiche de Mon Curé Chez Les Nudistes ?).Â
Premier opus de la nuit, Karaté Contre Mafia est un beau cadeau offert par les homologues espagnols du site Nanarland dans une copie numérique tirée de l’unique copie 35 mm du bestiau disponible en ce bas monde. Nous y suivons les mésaventures de Lai Chao, jeune marin poseur impliqué dans une rixe avec des trafiquants. Fouillé par la police locale qui découvre des diamants dans son paquetage, le jeune Espagnol Hongkongais part dans une quête afin de s’innocenter sur les conseils de son grand maître en arts martiaux, un sosie pseudo-asiatique de Salvador Dali. Le drame familial s’en mêle puisque le fiston du maître, qui est aussi le papa de la femme dont Lai Chao est amoureux, est de mèche avec les trafiquants. Pendant ce temps, des flics aux compétences limitées prennent notre héros en filature pour coincer les méchants.
Karaté Contre Mafia est le premier film d’arts martiaux tourné en Europe, quelque part dans les îles Canaries. Une grande partie de son ambition est de nous cacher cela en nous immergeant dans une réplique espagnole de Hong Kong à petite échelle.
L’objet est ponctué d’affrontements ultra-fauchés avec les gros bras des trafiquants surgissant de nulle part à tous moments du film pour en découdre avec le marin karatéka. Parmi eux, un combattant à la cagoule rouge qui faucha la vedette au héros dans le cœur du public du Rex (d’où le cri de ralliement "Le rouge ! Le rouge !"). L'autre grand gagnant du film fut le flic Johnny, incompétent de premier niveau jamais là au bon moment au grand malheur de son chef. Comme en s’en doute, le Karaté vaincra la mafia, mais pas les vraies productions hongkongaises. La cerise sur le gâteau nanar fut la présence du réalisateur Ramon Saldias, venu présenter sa création et répondre aux interrogations du public avec un certain aplomb. Il quitta les lieux sous les applaudissements du public.
Le nanardeux même occasionnel aura au moins entendu parler de Samourai Cop, probablement l’un des dix nanars les plus célèbres du genre, au point qu’il connut une deuxième carrière aux Etats-Unis. Replongeons nous à la fin des années 80, époque sacrée du buddy movie (L’Arme Fatale, 48 Heures…) avec ses héros casse-cou en marge du système, ses acolytes toujours prêts à lancer la première punchline, ses chefs de la police forts en gueule mais intègres et de l’action plutôt bien troussée. Samouraï Cop respecte le genre à la lettre tout en surfant sur la vague du film d’arts martiaux. Mais il plante dans les grandes largeurs à peu près tout ce qu’il tente. Le culturiste Matt Hannon, qui croyait bien vivre son heure de gloire (avant de voir le résultat) roule des mécaniques de désinvolture dans une performance d’acteur déroutante, parfois dans un slip du plus bel effet sensé mettre en valeur sa musculature mais qui ne fait qu’accentuer le ridicule de son charisme. Il a fallu le flanquer d’un sidekick noir (les habitudes ont la vie dure...), parangon des stéréotypes du genre, au sourire et à l’humour ravageurs. Ajoutons-y un samouraï déchu et pervers incarné par un Robert Z’dar un peu trop investi dans cette pantalonnade pour faire le nombre, et voilà un Samourai Cop qui supporte bien la revoyure. Il rallia les habitués comme les novices avec l’autre cri de la soirée, "Le lion ! Le lion !", rapport à une tête de… lion apparaissant dans le décor et fixant le spectateur de façon hypnotique, volant la vedette aux "acteurs". La projection fut suivie d’une série de bandes-annonces conclue par le douteux Il Etait Une Fois Le Diable qui connut les honneurs d’une sortie DVD et d’une précédente Nuit Excentrique. Deuxième invitée de la soirée, l’héroïne du film de Bernard Launois vint faire un petit coucou à l’assistance.
La troisième bobine du programme, Commissaire X : Halte Au LSD, nous conduit à Istanbul, terre d’aventures, d’orientaleries cinématographiques et pour l’occasion d’intrigues d’espionnage. Le capitaine Rowland est envoyé là -bas par Interpol, transportant pour le bien de l’Amérique une mallette remplie d’un nouveau produit dangereux : le LSD. Un cartel de la drogue impitoyable nommé Les Chiens Verts est très vite au parfum, et menace la vie du capitaine et des autochtones dans le but de mettre la main sur cette précieuse drogue. C’était sans compter l’arrivée de Jo Walker, alias le commissaire X, flic toujours prêt pour une bonne baston et défendre les intérêts des USA (et pour son propre plaisir, accessoirement). Commissaire X : Halte Au LSD est la découverte de cette nuit. Post-James Bond allemand issu de la vague d’espions européens des années 60, cette bande véhicule un parfum d’aventure feel good qui la place à bien des niveaux au-delà du simple nanar. Troisième opus d’une série d’espionnage, il mêle à merveille humour, dépaysement et double-jeu menés par des personnages haut en couleur, des dialogues bien sentis et une capacité à partir en vrille à tout moment, brassant de grands pans du cinéma d’exploitation de l’époque dans une bonne humeur communicative. Le réalisateur, Rudolf Zehetgruber, s’est réservé le meilleur rôle à travers le personnage de Germain, touche-à -tout ultime qui sauve la mise du héros et de ses amis à de nombreuses reprises, jusqu’à revenir conclure le film après (spoiler) sa mort sur une note surréaliste. La vision de ce Komissar X donne envie de découvrir le reste de la série, c'est dire.
La curiosité qui conclut cette nuit Nanarland n’est pas un film de ninja comme le veut la tradition. Il s’agit d’un mix entre blaxploitation, bande d’initiation aux arts martiaux et film musical. Porté à bout de bras par Berry Gordy, PDG du label Motown déjà sur le déclin en cette année 1985, The Last Dragon était à l’origine une grosse machine, un véhicule pour ces deux stars, le jeune Taimak et la chanteuse Vanity (ex-égérie de Prince). Mais le résultat désastreux de l’entreprise au box-office américain amena les distributeurs français à saborder un long-métrage déjà pas glorieux par un doublage français aux petits oignons, peuplé de voix bien connues sensées apporter une touche de comédie (dont celle de Phillippe Dumas, qui prêta son organe à Gargamel, Satanas ou Obi Wan Kenobi dans la trilogie Star Wars originelle). Un sabordage bien venu tant The Last Dragon côtoie les territoires dangereux du navet lorsqu'on le dépouille de cet atout.
Nous y suivons le parcours du jeune Leroy Green (Taimak) qui vient d’achever sa formation au kung-fu. Son sensei, le vieil homme cabotin habituel, l’incite à trouver son maître. Mais qui est ce maître, sinon (spoiler) lui-même ? Leroy n’est pas très futé. Il passe le film à subir les railleries de son insupportable petit frère (pitié, faites le taire), l'affrontement larvé avec le shogun de Harlem (une parodie de rappeur nabab) et sa confrontation avec un diabolique directeur de maison de disques qui maltraite la pauvre chanteuse Vanity et promeut une Cindy Lauper beauf. La partie autobiographique de Berry Gordy ? Il ne faut guère allez aussi loin dans l’analyse et se contenter d’un spectacle très marqué par son époque, parfois complètement vide, mais qui termine cette nuit sur une note musicale plutôt agréable.
Le temps de se repaître de quelques bandes-annonces, croissants et cafés, et il est déjà neuf heures du mat'. Mission une nouvelle fois accomplie pour les aventuriers du nanar, qu’on espère retrouver avec le même esprit en septembre 2017. Mais pour la prochaine, prévoyez plus de café !