Harry Potter Et Le Prince De Sang-Mêlé
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- Critique par Nicolas Marceau le 22 juillet 2009
Bol de morve
S’il fallait citer le nom du principal responsable de l’échec relatif de la saga Harry Potter au cinéma, ce serait certainement celui du scénariste Steve Kloves.
Bien plus que Chris Colombus et sa représentation Disneyland du monde de Poudlard, bien plus que la réalisation télévisuelle de David Yates et bien plus que les petits bras d’un Mike Newell bizarrement chargé d’adapter le tome le plus épique de la série, c’est bel et bien sur les épaules du scénariste que reposait la périlleuse mission de créer une harmonie complexe entre les différents films.
La Warner ayant annonçé au début de la franchise que chaque épisode serait confié à un réalisateur différent chargé d’apporter sa sensibilité au projet (Yates réalisant au final la moitié des films de la série, on comprendra mieux que les producteurs cherchaient juste un artisan docile), c’était donc au scénariste qu’incombait la lourde tâche d’échafauder une architecture en sept mouvements digne de celle bâtie par J.K. Rowling. Au final, seul le somptueux Prisonnier D’Azkaban aura su titiller de près la sève de l’œuvre originale, grâce au talent immense d’Alfonso Cuaron capable d’utiliser l’imagerie gothique pour mettre en valeur les thèmes profonds qui parcouraient le livre. Séquence d’introduction servant de métaphore à la masturbation, sublime envolée lyrique sur le dos d’un hippogriffe marquant le désir de liberté du héros, utilisation d’un décor en mouvement lors du long dialogue dans la Cabane Hurlante pour marquer l’instabilité d’une situation, plongée dans un miroir lors d’un cours où les élèves apprennent à faire face à leurs peurs… Du très grand art sublimé par des transitions narratives fluides et surtout visuelles (le Saule Cogneur faisant défiler les saisons, le dessin animé amenant le match de Quidditch…) démontrant que le réalisateur avait su se réapproprier le scénario pour le traduire en langage purement cinématographique.
Le principal problème de Steve Kloves sur L’Ecole Des Sorciers et La Chambre Des Secrets découlait de son absence de prise de risque. Par peur de se mettre à dos les fans, le bonhomme avait décidé, avec le soutien de Colombus, de ne surtout rien enlever, de transposer quasiment chapitre par chapitre les intrigues initiales pour qu’il en manque le moins possible. Cette manière absurde de procéder omettait un détail important propre au support littéraire : là où Rowling pouvait se permettre de dérouler une trame relativement simple en la noyant sous un flot de digressions narratives donnant corps à l'univers dépeint, le support cinéma nécessite l’accentuation d’enjeux dramatiques propre à imprimer un rythme et une tension dramatique. Du coup, les films de Colombus souffraient d’une durée excessive compte tenu de la rapidité des romans (2h40 pour La Chambre Des Secrets tout de même !) et mettaient au même niveau les petites intrigues annexes et les grands rebondissements capitaux.
Cette démarche absurde devait fatalement se heurter au volume de plus en plus épais des romans, ce qui ne manqua pas d’arriver avec La Coupe De Feu où, outre la dimension radine du spectacle (merci Mike Newell), il fallait désormais composer avec des coupes sauvages dans la narration de Rowling, donnant la sensation de zapper d’une séquence à une autre sans réelle logique. Chaque évènement était ainsi mis au même niveau, le grand retour de Voldemort revêtant au final la même importance que le Bal de Noël (un peu comme si Peter Jackson avait accordé autant de poids à la bataille du Gouffre de Helm qu’à la cueillette des champignons dans Le Seigneur Des Anneaux).
On poussera un ouf de soulagement en constatant que c’est un autre scénariste, Michael Goldenberg, qui a signé l’adaptation de L'Ordre Du Phénix. Bien qu’handicapé par des manquements un peu gênants (le passé de Rogue, les raisons de l’attaque des Détraqueurs…) et par une mise en scène globalement dépourvue de magie, le film bénéficie d’un script parvenant à synthétiser les très nombreuses intrigues du pavé de Rowling (Ministère de la Magie, arrivée d’Ombrage, parcours d’un Harry en pleine crise, naissance d’une résistance…) ce qui était loin d’être acquis d’avance. Aussi, le retour de Steve Kloves à l’écriture du Prince De Sang-Mêlé pouvait légitimement inquiéter, tant le bonhomme semblait jusque là ne rien avoir compris à l’œuvre de l’écrivain anglais. L’arrivée de plusieurs bandes-annonces excitantes et la sortie du film repoussée de plusieurs mois pouvait néanmoins redonner confiance au public, les instigateurs du projet semblant véritablement désireux d’offrir le meilleur film possible. Aussi, difficile de ne pas tirer la gueule à la vue du résultat, véritable abomination en termes d’adaptation.
Si L’Ordre Du Phénix était une œuvre de transition (donc ingrate, complexe, passionnante et frustrante), Le Prince De Sang-Mêlé était chez Rowling une véritable préparation au récit épique des Reliques De La Mort. L’introspection des personnages prenait le pas sur l’action, toutes les bases du dénouement étaient mises en place, on arrivait à la fin d’un monde (celui du Poudlard confortable) avant de plonger dans l’inconnu. Aussi, le film se devait-il de ne surtout pas foirer les grands axes majeurs du récit. Le premier d’entre eux concerne Voldemort et les nombreuses révélations faîtes sur son passé, permettant d’établir le grand méchant comme le double négatif du héros, celui à l’enfance brisée mais qui n’aura pas su surmonter son manque d’affection autrement que par la colère. Celui dont la monstruosité se rattache aussi à sa part d’humanité et donc à son âme (les Horcruxes, véritables objets révélateurs de son rattachement au passé, de sa haine pour son père, de son passage difficile à l’orphelinat, de son désir de grandeur, de son attachement à Poudlard qui représente comme pour Harry son premier foyer…). Une grande ombre avec une lointaine étincelle de lumière qui fait toute la complexité du personnage (de la même manière qu’Harry est un héros lumineux avec une petite part de ténèbres) et permettait d’atténuer le manichéisme du récit tout en débusquant les faiblesses du Mal. Hélas, les deux uniques flash-back conservés ne font qu’asseoir la vision basique que les films ont de Voldemort, à travers une sorte de représentation très proche du Damien de La Malédiction, avec son enfant au regard noir. Nous ne saurons donc rien du meurtre freudien du Père par Tom Elvis Jedusor, des révélations sur sa mère, des raisons de son changement de nom, de son manque d’amour ou de la découverte de sa descendance avec Serpentard. Voldemort est un méchant, point. Ce traitement ridicule du personnage ne cesse d’autant plus de surprendre que c’était justement dans ces révélations qu’apparaissaient les différentes pistes menant aux Horcruxes, objets au cœur de toute la quête des Reliques De La Mort. On se demande donc bien par quelles pirouettes Steve Kloves et David Yates vont se tirer de cette impasse scénaristique avec les deux derniers films à venir (dans le doute, attendons toujours de voir…).
Plus inquiétant encore est le traitement de ce fameux Prince de Sang-Mêlé qui donne son nom au titre du film. La fascination qu’est censé porter Harry à l’ouvrage de cet inconnu est tout bonnement absente, pour ne pas dire niée, le sujet n’étant abordé qu’à deux reprises (sur plus de deux heures tout de même) avant une révélation finale arrivant comme un cheveu sur la soupe : Rogue est le Prince de Sang-Mêlé. Oui et alors ? Encore une fois, ce pauvre Rogue (pourtant un des personnages les plus complexes de Rowling) est victime du traitement désinvolte des artisans de la saga cinématographique, toute l’ambiguïté du professeur étant à nouveau reléguée aux oubliettes. Jusque là , Rogue était un personnage à la mine sévère mais pas bien menaçant (son acte le plus méchant consistait à frapper un élève avec un livre pour le punir de parler en classe dans La Coupe De Feu). On espérait donc que cet épisode le mettrait enfin en valeur, justifiant enfin la haine farouche que lui porte Harry (haine quasi-absente jusqu’à présent des adaptations filmiques). Que nenni, le grand événement censé semer un doute sur la nature profondément bonne ou mauvaise du professeur est annihilé par une séquence affirmant sans ambages que Dumbledore avait raison de lui accorder sa confiance (la séquence, narrée au style indirect dans le livre, laissait planer des doutes sur la nature de la tâche confiée par le Directeur de l’Ecole).
Dumbledore justement. Ultime point d’ancrage du récit qu’il ne fallait surtout pas louper. Et encore une fois, la déception est de mise. Si Rowling avait bâti le personnage à partir de l’archétype mythologique du mentor (rendant à nouveau hommage à Tolkien puisque c’est Gandalf qui est implicitement évoqué), c’était justement pour mettre l’accent sur l’éveil progressif du héros aidé dans sa tâche par un guide spirituel. Le Prince De Sang-Mêlé version papier mettait plus en avant que jamais cette relation maître/élève (au point de figurer sur les couvertures françaises et anglaises), jalonnant ce voyage d’autres étapes cruciales définies par les travaux de Joseph Campbell (la plus évidente d’entre elle étant l’Epreuve de la Caverne). Chez David Yates, difficile de reconnaître le Dumbledore des romans et de sentir une quelconque complicité entre lui et Harry Potter. On se doutait déjà que l’acteur Michael Gambon n’avait pas compris grand chose au personnage (souvenez-vous de la façon dont il secouait violemment Harry dans La Coupe De Feu) mais là , on dirait que l’interprète n’en a plus rien à foutre, traînant une attitude de sorcier trop sûr de lui et jamais affaibli (un comble lorsque arrive la grande séquence censée lui porter un coup fatal) semblant utiliser Harry comme un gadget qu’on trimballe un peu partout, sans jamais prendre la peine de lui expliquer quoi que ce soit (sa main brûlée, ses investigations hors du château, ses théories censée aider Harry dans l’ultime chapitre…). Il faut voir la façon dont il se débarrasse du jeune sorcier comme d'une merde au début du métrage après sa visite chez le professeur Slugorn pour le croire. Finalement, les seuls propos intimes que Dumbledore adresse à Harry se rapportent à … ses relations amoureuses !
Car oui, ça nous avait échappé à la lecture du roman mais Le Prince De Sang-Mêlé est un film ROMANTIQUE. Et subtil en plus. Avec une gamine qui refait les lacets de Harry après lui avoir fait déguster un gâteau. Avec un Harry Potter qui drague tranquillement une serveuse dans un bar. Avec un Ron qui se trimballe une sangsue idiote mais rigolote qui le surnomme Ron-Ron. Avec une Hermione qui repousse les avances d’un bellâtre. Et avec un Ron sous l’emprise d’un philtre d’amour.
Naïvement, on aurait pu croire que Rowling utilisait ces interludes amoureux comme des respirations humoristiques au centre d’une progression dramatique de plus en plus dépressive. Mais non. Steve Kloves et David Yates ont bien compris que l’intérêt n’était pas dans les révélations sur le passé du grand méchant, ni dans la mise en place de la quête périlleuse à venir, ni dans la destruction d'un monde rassurant (celui de l'enfance), ni dans l’acceptation du héros de sa Destinée. Non, l’essentiel, c’est que ces jeunes gens s’aiment et s’embrassent. Ce n’est plus une toile de fond, c’est carrément l’intrigue principale qui occupe des proportions délirantes par rapport à tout ce qui importait vraiment. Témoin de ce choix narratif débile, cet épilogue suivant la mort de Dumbledore. Perchés en haut d’une tourelle, Harry, Ron et Hermione sont en toute logique censés être endeuillés, leur avenir étant des plus incertains et le dernier symbole de la sécurité à Poudlard ayant disparu. Hermione s’approche d’Harry. Pour le réconforter ? Non, simplement pour lui annoncer que Ron accepte qu’Harry sorte avec sa sœur "du moment qu’ils ne se bécotent pas devant lui". On se pince pour le croire. Il aura fallu 2h30 de sitcom filmées avec des filtres bleus pour en arriver là .
Le grand film épique promis par les bandes-annonces ne demeurera qu’à l’état de fantasme. Les premières minutes lancent des promesses jamais tenues par la suite, les seconds rôles ont presque disparu (Neville et Hagrid, que vous ont-ils fait ?) et l’attaque du Terrier demeurera une tentative lamentable d’injecter un peu d’action au milieu d’une intrigue désespérément dépourvue de suspens. Quand à la redoutable armée de Voldemort, elle se résumera à trois guignols mettant une année à trouver un moyen d’infiltrer Poudlard juste pour le plaisir d'aller y casser des assiettes en partant (n’attendez pas de bataille épique comme dans le bouquin, elle n’a pas été filmée).
Bien sûr, on pourra toujours se raccrocher à une poignée de séquences réussies comme celle de la Grotte, réellement effrayante, ou savourer quelques numéros comiques distrayants (la jeune comédienne incarnant Lavande Brown joue très bien la cruche). On pourra aussi relever ces quelques plans ambitieux parvenant à lier entre elles les différentes intrigues parallèles (jolie transition entre Ron en pleine effusion d’hormones et un Malfoy tourmenté quelques étages plus haut) tout en regrettant que tout ne soit pas à ce niveau. Malheureusement, Le Prince De Sang-Mêlé échoue totalement à s’imposer comme la dernière marche grandiose et ténébreuse d’un édifice précédant un sommet épique. Au cours de ces 2h30 interminables, on se sent un peu comme Dumbledore au milieu du lac mystérieux : obligé de boire encore et encore une potion infâme, implorant pour qu’enfin la douleur s’arrête. Certains films semblent ne jamais finir. Celui-ci a l’air de ne jamais commencer.  Â
HARRY POTTER AND THE HALF-BLOOD PRINCE
Réalisateur : David Yates
Scénario : Steve Kloves
Production : David Heyman & David Barron
Directeur Photo : Bruno Delbonnel
Montage : Mark Day
Bande Originale : Nicholas Hooper
Origine : USA
Durée : 2h32
Sortie Française : 15 juillet 2009