Hadewijch
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- Critique par Nicolas Bonci le 4 décembre 2009
Dumont Lajoie
Lorsque Flandres sortit, le profane avide de connaissances qui s'ébat au fond du lac acide de mes entrailles me fit comprendre que je ne connaîtrai le repos gastrique seulement lorsque cette faim interrogatrice envers le Grand Prix de Cannes 2006 serait contentée. Résigné, je cherchai des réponses.
Je tombai alors sur un groupe de réflexion composé de professeurs des lycées constituant une filmographie susceptible d'illustrer leurs cours, d'interpeller leurs élèves. Et tous étaient unanimes pour faire de Flandres un film précieux, digne des notions abordées en Terminale. Tous étaient ébahis devant la profusion "d'interrogations philosophiques" soulevées par le long-métrage de Bruno Dumont, qui avait de plus le mérite de parler des "gens communs". Un exemple, parmi tant d'autres, en fait non, seul exemple de gouffre métaphysique exposé lors de notre dialogue : pourquoi la victime du viol choisit d'émasculer le seul soldat qui l'avait épargnée lors de la tournante improvisée quelques scènes plus tôt ?
Imaginez ma déception de novice en quête de sens : à la seule question qu'on daigna m'offrir, je connaissais déjà la réponse. Accrochez-vous, c'est métaphysique : l'acteur jouant le personnage émasculé n'a pas voulu participer à la scène du viol.
Ce qui devint alors métaphysique fut le déni de ce groupe de réflexion professoral devant ce simple et vulgaire fait de tournage. Il n'y avait rien à faire, ils avaient décidé que cette scène, ce choix (totalement involontaire) devait illustrer à lui seul toute la profondeur de l'œuvre de Bruno Dumont, allant jusqu'à déclarer que cet incident produisait du sens et de l'interrogation, car l'auteur, inspiré par les Cieux, accepta l'imprévu afin d'enrichir son film (décalque froid et simpliste du Voyage Au Bout De L'Enfer de Cimino au demeurant).
Des fans ne tolérant pas que des faits viennent troubler leur béatitude, qui se gargarisent de ne pas faire partie des "gens communs" pour mieux vénérer un auteur aidé par la providence, il est évident que tout ceci respire la philosophie et la réflexion sereine.
Parfait produit d'une culture de validation a priori, Bruno Dumont n'a que très peu d'effort à fournir pour convaincre la presse de louer son génie : il est prof de philo, donc tout sera philosophique : cette brune qui urine en full frontal dans Twentynine Palms, c'est fort, c'est philosophique. Cet attardé qui viole une femme dans L'Humanité, c'est fort, profond. Ces jeunes qui s'emmerdent copieusement dans La Vie De Jésus, c'est fort, c'est vertigineux. Ce pirate informatique à qui on évoque Platon, Hegel, Nietzsche, Baudrillard, c'est de "la philosophie de comptoir". Normal, les auteurs ne sont pas prof de philo, juste de gros beaufs ricains, des "gens communs".
Dans Hadewijch, le concept aveugle part loin puisqu'il paraît qu'"on continue de se laisser embarquer par sa vision du monde, entre naturalisme et philosophie". Après tout, Dumont, avec son dernier effort, ne fait que croiser les destins d'une hystérique du Christ et de deux musulmans dont un finira par se faire sauter dans le métro. L'héroïne, extrémiste, mais catho !, ne prend évidemment pas part au massacre et décide de mourir seule, elle (mais sera sauvée par le mâle blanc). Chez Dumont, c'est philosophique quand chez n'importe quel cinéaste américain, on hurlerait au réac et au xénophobe. Voyez, elle est parfois simple la vie.
Comme tout produit marketing, Bruno Dumont fait fonction pour ses consommateurs d'aide à la quête identitaire, une légitimité culturelle à moindre coût. Si le quidam balance qu'il kiffe le Dumont, il valide en quelques secondes son statut de cinéphile exigeant, pas commun. Ce qui sera toujours plus simple que d'expliquer, au hasard, comment Les Dents De La Mer est plus avant-gardiste que toute sa filmographie, ou qu'il se trouve plus de philo dans Brüno que chez Bruno. En bon produit marketing, Bruno Dumont bénéficie d'ailleurs du soutien aimable de médias qui forgent son image afin d'affiner la leur. Le tout nouveau magazine Popcorn, "né du désir d'offrir une réelle critique au grand public parisien, à la fois pertinente et légère" continue ainsi d'entretenir le mythe Dumont en nous expliquant que "Bruno Dumont est un cinéaste à part, un auteur souvent incompris". Il est vrai que pour un auteur, voir ses films crouler sous les prix et les dithyrambes est une réelle marque d'incompréhension. CQFD.
C'est à la sortie d'une projection de Flandres que le génie rencontra sa nouvelle égérie, Julie Sokolowski, dont le bagage discursif a certainement impressionné l'auteur de L'Humanité. Cette rencontre donna Hadewijch. Dans Hadewijch, Hadewijch part du couvent. Hadewijch donne à boire à son chien dans le palais de ses parents de l'île Saint-Louis. Hadewijch va dans un troquet. Hadewijch se fait draguer par trois beurs. Hadewijch va au concert. Hadewijch parle amour de Dieu avec ses amis musulmans. Hadewijch va à des débats religieux à l'arrière-boutique d'un kebab. Hadewijch fait des frites et la prière. Hadewijch part au bled. Hadewijch prend le métro. Le métro explose. Hadewijch pleure. Hadewijch rencontre l'amour. Le vrai.
Ce scripte d'une limpidité exemplaire, jamais simpliste, illustré avec toute la complexe grammaire cinématographique héritée de chez Pialat (plans fixes et panoramiques), porté par des vrais "gens communs" qui sonnent faux (car c'est, paraît-il, plus percutant que des acteurs qui sonnent vrais), est de nouveau source d'innombrables questionnements métaphysiques, de réflexions philosophiques. Lesquelles ? Aucune idée. De tous les articles parcourus pour étancher ma soif intellectuelle, pas un n'a cité ne serait-ce qu'une référence, un auteur, une notion, une analyse théologique. Mise à part de temps à autres une légère bio de la poète Hadewijch (hé, peu de chance de taper à côté, c'est le titre !), rien. Nib.
Mais du touche-pipi cinéphile, ça oui, y en a, petit exemple avec les Inrock : "L’absence charnelle du Christ dont elle souffre est d’autant plus cruelle que Dumont ne cesse d’érotiser discrètement le corps de son actrice (Julie Sokolowski, éblouissante), qui, malgré quelques magnifiques frôlements, ne cédera à aucune tentation (elle ne se donne qu’à Dieu, mais cette exclusivité ne serait-elle pas un moyen pour un réalisateur de garder avec son interprète un rapport privilégié ?)."
Métaphysique comme interrogation, pour sûr. Du coup, demandons : quand Dumont faisait copuler ses interprètes dans la boue, c'était aussi pour le rapport privilégié ou ça n'a aucun rapport ?
Excusons les incohérences des analyses, car dans Hadewijch Dumont pousse au maximum la tolérance à l'approximation de l'acteur amateur qui fixe chaque membre de l'équipe hors champ tous les quatre mots. Comment mieux séduire un public qui refuse d'être sous l'emprise des films qu'il découvre, un public cynique qui récite les slogans du produit (tous les articles commencent exactement de la même façon, copiant-collant le dossier de presse), qui explique depuis dix ans combien Dumont est philosophe sans en extraire la moindre souche réellement réflexive ? Peut-être parce que si on analyse réellement Dumont, on perçoit aisément les écarts entre les faits contenus dans les oeuvres et intentions. D'ailleurs, personne n'ayant fait le rapprochement entre la scène de l'averse avec l'homme torse nu face aux nonnes troublées et Le Narcisse Noir de Powell et Pressburger, ou souligné les rappels divers tel que la reporter croisée au bled présente dans une télé en fond de décor, devinez si cela était précisé dans le dossier de presse.
Et comme la pudeur journalistique implique d'évacuer le discours scolaire, pour ne pas dire stupide, motivant le nouveau film de Bruno Dumont, nous vous renvoyons prestement vers Un Prophète de Jacques Audiard, œuvre bien plus riche sur la confrontation du Christianisme et de l'Islam. Audiard n'est pas prof de philo, mais je suis sûr que vous, chers lecteurs, quand vous allez au cinéma, vous désirez voir des films, non des cours magistraux d'un misanthrope opportuniste (et incompris, cet article en est la preuve).
HADEWIJCH
Réalisateur : Bruno Dumont (génie incompris)
Scénario : Bruno Dumont (génie incompris)
Production : Rachid Bouchareb, Muriel Merlin…
Photo : Yves Cape
Montage : Guy Lecorne
Origine : France
Durée : 2H00
Sortie française : 25 novembre 2009
Commentaires
Je peux pas vraiment juger sa filmo, je n'ai vu que L'Humanité mais ledit film je l'ai trouvé assez sympa, il instaure une ambiance digne d'un livre avec ces fondus au noir, ambiance qui a certains moment est d'un ennui mortel mais qui se révèle quelquefois bizarrement dépaysante. Et surtout, absolument pas complaisante, si ce n'est cette durée abusive absolument pas justifier vu comment on ne raconte pas grand chose.
Par contre, je vois vraiment pas COMMENT l'analyser.
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