Le Jour Du Docteur
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- Série TV par Guénaël Eveno le 28 novembre 2013
L'âme du guerrier
Le Docteur (Matt Smith) vient chercher Clara (Jenna Coleman) à son époque mais leurs retrouvailles sont perturbées par l’intrusion de UNIT qui remorque le TARDIS et ses deux occupants jusqu’à Londres.
Kate Stewart les informe que la reine Elizabeth 1 a laissé un message au Docteur, un tableau fait office de sceau : une reconstitution de Gallifrey falls, la chute d’Arcadia, deuxième ville la plus importante de la planète du Docteur. L'événement eut lieu le jour où le Guerrier qui ne peut plus porter le nom du Docteur (John Hurt) supprima les Daleks et Gallifrey.
En ce jour quatre cent ans, plus tôt, le Guerrier s’empare du Moment, une arme de destruction massive dotée de conscience. Alors qu’il s’apprête à commettre l’irréparable, la conscience de l’engin apparaît sous les traits de Rose Tyler (Billie Piper) devenue le Bad Wolf (Cf. saison 1) et l’informe que son acte aura des conséquences autant sur les siens que sur sa vie future. Elle lui propose une vue sur cette vie en ouvrant un portail temporel.
Pendant ce temps, le Docteur et Clara apprennent que la reine Elizabeth première du nom souhaitait l’aide du Docteur afin de prévenir un grand malheur. Le tableau en question a été brisé de l’intérieur et menace notre présent. Le Docteur, Clara et Kate sont témoins de l’apparition d’un vortex similaire à celui du Guerrier qui conduit notre Docteur à rencontrer son prédécesseur, le dixième (David Tennant). En plein milieu d’une romance avec la reine en 1562, celui-ci s’est aperçu que des Zygons, extra-terrestres pouvant prendre l’apparence de leur victime, rôdent dans le coin. Ils pourraient même avoir pris l’apparence de la Reine et être la raison de l’appel d’Elizabeth à notre présent. Le Guerrier emprunte à son tour le vortex qui l’amène en 1562.
Le gros Timey Winey, clou de la célébration du cinquantenaire de Doctor Who, a eu lieu ce samedi 23 novembre. L’épisode anniversaire entre dans le Guiness Book pour avoir battu le record de transmission simultanée : diffusé dans 94 pays, auquel il faut ajouter une distribution, pour la plupart en 3D, dans 1500 cinémas à travers le monde. Si la France n’ouvrit pas ses grands écrans au Docteur, France 4 tint ses promesses avec une diffusion en version multilingue qui leur valu un record d’audience de 720 000 téléspectateurs. Un succès à relativiser devant les 77 millions de spectateurs mondiaux (dont 10,2 millions d’Anglais), mais dans une France généralement frileuse avec la SF cet événement rameutera à n’en pas douter d’autres voyageurs de l’espace-temps pour les saisons à venir.
Le Jour Du Docteur excelle en effet à mettre dans l’ambiance le néophyte, fournissant les éléments permettant d'appréhender promptement un univers vieux de cinquante ans tout en tirant partie de nouvelles idées. Steven Moffat, à l’aise dans tous les univers qu’il visite, offre un spectacle aussi accessible que divertissant.
La saison 7 tournait autour de la notion de mémoire, empruntant des chemins escarpés qui amenèrent le Docteur à se souvenir de ce Guerrier qu’il avait relégué au plus profond de ses souvenirs. Le Jour Du Docteur ne revient pas sur le voyage de Clara dans la mémoire du Seigneur du temps, préférant aller de l’avant. Mais le onzième Docteur ne pourra plus fuir longtemps son passé : alors que le dixième du nom était le Docteur du remord, onze est celui qui s’est forcé à oublier, à avancer pour ne plus avoir à ruminer le génocide qu’il a dû commettre sur les siens.
Steven Moffat a fait de son Docteur quelqu’un de plus distant et énigmatique, en rupture avec le livre ouvert que s’est avéré être David Tennant. L'épisode des cinquante ans est bel et bien un retour au run de Russell T. Davies puisqu'il aborde de front le drame fondateur qui a inauguré la nouvelle série. Il aurait été présomptueux de penser que Steven Moffat aurait lâché d’un coup toute cette storyline qui a permis à la série de renaître. Une renaissance qu’il a aidée, rappelons-le, à porter au sommet. N’a-t-il pas exprimé à plusieurs reprises qu’il travaillait surtout en vue du cinquantième anniversaire ? Si le doute était permis avant cet épisode, on peut désormais émettre un bilan sur le personnage incarné par Matt Smith et comprendre que Moffat a bien relégué l’aspect héroïque du Docteur dans l’optique des cinquante ans, comme le passage obligé d’un parcours qui arrivera bientôt à une nouvelle étape, et une nouvelle régénération. Dans un même souci de continuité, Moffat redonne à Rose ses lettres de noblesse, reconnaissant que son personnage fut déterminant dans la réussite du relaunch. Il n’en oublie pas pour autant la compagne actuelle, Clara, qui acquiert dans cet aventure un rôle lumineux au-delà du destin qui lui était assigné lors de la saison 7.
Quand Le Jour Du Docteur ne s’emploie pas à nous lancer sur les voies d'une intrigue alien typique des aventures des premières années de la nouvelle série, il ne nous raconte rien de plus que ce que Steven Moffat sait le mieux raconter : un conte de Noël baroque et habité fêtant tous les possibles de la SF. La transposition de Scrooge à Noël 2010 demeure une de ses meilleures œuvres à ce jour, et on ne peut s’empêcher d’y voir un écho dans cette main tendue à l'homme qui deviendra une sorte de croque-mitaine pour ses incarnations futures. Le Guerrier s’apprête à commettre l’acte qui va lui coûter son âme et se retrouve face à une arme de destruction massive dotée de conscience qui l’invite à visiter ses apparences futures et les vies qui seront les siennes. Il découvrira lors de son parcours qu’il ne se remettra jamais vraiment de son acte, mais aussi que ses remords aideront à sauver de nombreux mondes.
Steven Moffat ne se contente pas de réhabiliter cet homme aux yeux des deux autres Docteurs ("You were the Doctor on the day it wasn’t possible to get it right."), mais lui offre la possibilité d’une alternative à son choix cornélien. Ainsi tous les Docteurs passés et présents, ainsi que le treizième à venir, s’uniront pour isoler Gallifrey avant l’intervention des Daleks. Ce revirement surprenant réussit même le tour de force de ne pas remettre en cause les précédentes saisons (le Guerrier et le dixième oublieront leur aventure et penseront que la destruction a eu lieu) et d’ouvrir de nouvelles perspectives avec un Docteur qui pourra enfin retourner chez lui.
La régénération du huitième Docteur en John Hurt. Quand la mémoire se (re)construit.
Le Jour Du Docteur use à merveille des capacités du showrunner actuel à jongler avec les concepts et avec le temps. Il transforme un tableau en portail temporel - remarquable intrigue secondaire (le plan d’installation des Zygons) - et permet d’introduire en filigrane la résolution finale (le gel de Gallifrey en un instant).
Dans le même ordre d’idées, il exploite allègrement, mais jamais gratuitement, les possibilités que peuvent offrir la réunion de trois Docteurs, trois TARDIS et trois tournevis soniques en un seul et même endroit. Il équilibre avec brio un scénario complexe traitant de thèmes ardus, sans manichéisme et en conservant l’esprit résolument optimiste de la série. Dominés par l’immense John Hurt, qui contraste avec les deux gamins Matt Smith et David Tennant, les échanges entre les trois versions du Docteur valent à eux seuls le détour.
Moffat réussit enfin à enrichir son scénario d’une lecture qui touchera seulement les téléspectateurs des classiques (ne sous-estimons pas le nombre d’Anglais à avoir grandi avec Doctor Who) mais qui achève les devoirs de mémoire et de conservation entrepris durant cette année de cinquantenaire : la fille du Brigadier Lethbridge Stewart aux prises avec une choix proche de celui qu’avait connu son père avec les Siluriens, deux Docteurs qui renversent la polarité d’un vortex, l’apparition de Tom Baker (le quatrième Docteur) dans un rôle étrange qui servira pour le futur, une première scène dans une salle de classe très évocatrice… Autant de détails qui surgissent au détour d’un plan, qui parfont la cohérence de cet univers.
Steven Moffat était la personne adéquate pour ce cinquantième anniversaire, un auteur capable de lier la série classique et la nouvelle par ses fondations tout en restant tourné vers le futur et son prochain passage de relais. Son humilité face à la tâche qu'il a accomplie mérite d'être saluée.
En bonus, un sympathique film qui plonge trois anciennes incarnations en plein coeur de la préparation de l’événement.
THE DAY OF THE DOCTOR
Réalisation : Nick Hurran
Scénario : Steven Moffat
Production : Steven Moffat, Marcus Wilson, Faith Penhale
Bande originale : Murray GoldÂ
Origine : Royaume-UniÂ
Durée : 1H16
Diffusion française : 23 novembre 2012 sur France 4Â