PIFFF 2014
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- Dossier par Guénaël Eveno le 8 décembre 2014
Le signe des quatre
Fidèle au Gaumont Opéra Capucines, le Paris International Fantastic Film Festival organisé sous l'égide de Mad Movies se déroula du 18 au 23 novembre dernier.Â
Cette quatrième édition proposa une nouvelle fois des séances uniques projetées en salle unique, entraînant une sélection faible en nombre et de fortes contraintes pour le spectateur. Des aléas compensés par une organisation exemplaire se bonifiant chaque année, tout comme les ambitions populaires du PIFFF, mises en exergue par le Prix du public. A l'heure où les festivals plus mainstream s'emparent du genre pour combler les sélections par des Å“uvres "sortables", il est souhaitable qu'un pan du cinéma déviant soit défendu par des spécialistes, contrat que le PIFFF remplit désormais en partie avec moins de bandes labellisées "festival" et via la programmation de classiques plus rares pour public averti. C'est d'ailleurs la sélection hors-compétition qui a apporté les meilleurs surprises, laissant à la compétition officielle des films honnêtes mais peu enclins à nourrir leur genre respectif. Ainsi avions-nous pu (re)découvrir les déstabilisants Wake In Fright de Ted Kotcheff et L'Homme Qui Voulait Savoir de George Sluizer. Mais cette édition aura été chiche en événements, qui se bornèrent aux avant-premières de sorties imminentes.Â
Ainsi, le PIFFF 2014 permit de combler les lacunes de la distribution : la projection du multi-festivalisé Alleluia pallia la quasi absence de copies pour sa sortie nationale la semaine suivante. A l'instar de Byzantium l'année précédente, il fut aussi possible de profiter en salle du très bon Predestination des frères Spierig dont la sortie était prévue deux semaines plus tard directement en vidéo.
STUPRES ET TREMBLEMENTS
Un salary man dont la femme est plongée dans le coma fait appel à une société de services sado-masochistes offrant des interventions quotidiennes et inattendues à tous moment de la journée. Mais ces petits instants de bonheur contrôlés finissent par lui échapper et menacer son jeune fils.Â
Réalisateur de Big Man Japan et showman complet en son pays, Hitoshi Matsumoto prend plaisir dans nouvel opus R100 à pervertir une comédie teintée de drame en y glissant des éléments absurdes. La deuxième partie du film est une explosion de non-sens allant crescendo : détour par le documentaire, chasse à l’homme, clins d’oeils en pagaille à la culture nipponne, services secrets à la ramasse, massacre à coups de grenade sur un champ de bataille… Le spectateur plonge dans les coulisses de cette multinationale de l’humiliation qui emploie des dominatrices curieusement spécialisées (reine des voix, du crachat ou l’effrayante reine de la gloutonnerie, sorte d’anaconda humain), et gérée par une PDG jurant à tout va.
Au Japon, la lettre R symbolise la classification d’un film par l’organisme de censure : R100 s’autorise des interruptions du récit montrant les réactions de cet organisme bien décontenancé par les coups de théâtre de l’oeuvre. D’autant plus décontenancé par le fait que son réalisateur fictionnel s’avère être un sémillant centenaire, visiblement inspiré par Seijun Suzuki, qui autrefois livra des Å“uvres bien plus respectables. Inclassable, son film serait un objet que seuls les plus de cent ans pourraient comprendre, ou bien un véritable hymne à la douleur en réponse à l’hymne à la joie de Beethoven qui accompagne en permanence le héros dans son lot quotidien.Â
Avec ce R100, Hitoshi Matsumoto prouve une nouvelle fois qu’il est, en compagnie de Sono Sion, le réalisateur japonais le plus intéressant du moment.
R100 de Hitoshi Matsumoto, sortie DVDÂ : courant 2015
Réalisateur du très remarqué Berberian Sound Studio, Peter Strickland explore la facette plus fétichiste du sado-masochisme avec The Duke Of Burgundy. Il y suit deux femmes vivant une relation dominante / dominée teintée de jeu de rôles dans un somptueux manoir. Peu à peu, les rôles s’inversent comme leurs jeux déroutent la dominatrice.Â
Berberian Sound Studio rendait un hommage très sensoriel aux bandes sons horrifiques, qui masquait un aspect légèrement autiste du traitement et ses longueurs inhérentes. The Duke Of Burgundy conserve les défauts du premier opus du réalisateur sans parvenir à communiquer la sensualité promise. Mécanique et répétitif, le quotidien de ces deux femmes de peu d’épaisseur ennuie ferme en dehors de quelques expérimentations oniriques intéressantes lors du dernier quart d’heure. Porté par une réalisation appliquée et des plans de belle composition, The Duke Of Burgundy aurait fait plus bel effet en court-métrage.
The Duke Of Burgundy de Peter Strickland, sortie salles : non prévue
CLAUSTROFOBIA
Alex de la Iglesia était présent à l’édition 2013 du PIFFF pour présenter Les Sorcières De Zugarramurdi. Sous la casquette de producteur, il fournit à la présente édition l’un des meilleurs films de la compétition. Le réalisateur laissa toutefois les coudées franches aux talentueux Juanfer Andres et Esteban Roel pour pondre Shrew’s Nest, drame horrifique qui se déroule presque intégralement dans un appartement peu après la guerre civile espagnole.
Traumatisée par la mort de sa mère et les sévices d’un père brisé, depuis disparu à la guerre, Montse a pris sur elle d’élever seule sa petite sœur. Devenue une jeune femme, cette dernière est attirée par l’extérieur et est très courtisée, ce qui préoccupe Montse, agoraphobe. La providence apportera à la tutrice un homme tombé des escaliers de l’immeuble. Elle l’enfermera jalousement dans sa chambre et le soignera sous hautes doses de morphine.
Shrew’s Nest avance sous influence des Peliculas Para No Dormir, série horrifique des années 60 qui secoua l’Espagne et inspira bien des vocations de réalisateurs. Il rappelle aussi fortement le malsain Les Proies réalisé par Don Siegel, dans lequel un Clint Eastwood blessé était recueilli et soigné par des nonnes. Musaranas (titre original) adapte le chaos rampant que Siegel transmettait par l'arrivée d'un élément catalyseur étranger, distillant ici, à travers la psychose de Montse et l’absence d'extérieur auquel se raccrocher, un fort sentiment de claustrophobie. Ce qui aboutit en dernier lieu à une tragédie familiale teintée d’humour noir (influence du maître De la Iglesia) filmée avec panache.
Shrew’s Nest bénéficie grandement de l’interprétation de ses acteurs, Macarena Gomez, connue pour ses talents comiques, incarnant la folie avec beaucoup d’humanité, et l’inquiétant Luis Tosar (Malveillance) en père absent au cœur de l’enfermement de ces personnages tourmentés.
Shrew’s Nest de Juanfer Andrès & Esteban Roel, sortie en salles : non prévue
Avant d’être mondialement connu comme le réalisateur de Rambo, Ted Kotcheff avait envoyé un professeur propre sur lui faire escale dans une ville au fin fond de l’outback australien peuplé de trognes trop amicales pour être honnêtes, trompant leur ennui dans la bière, les paris et les raids sauvages de chasse au kangourou. Le protagoniste s’enferrait dans les mœurs locales, entre répulsion et plaisir, plongeant dans un cercle vicieux rendant de plus en plus incertain son départ.
Projeté sous la bannière de la séance culte, Wake In Fright (Week-End De Terreur) fait partie de ces films qui gagnèrent leur aura sur le tard, amplement méritée tant le chemin de croix ordinaire du héros "civilisé" au milieu d’hommes presque bestiaux mais polis est aussi original que dérangeant.
Dans le grand style des premières années du nouvel Hollywood, la violence de l’expérience du héros et son ressenti sont accentués par la réalisation dynamique et habitée de Kotcheff. La chaleur, la crasse et le malaise suintent du moindre recoin de la pellicule et rendent brillamment compte de l’état psychologique des locaux sans gâcher le plaisir des grands espaces et de la liberté, point d’orgue du cinéma australien, que le réalisateur québécois ne manque pas de mettre en valeur au milieu de ce cauchemar. On y retrouve Donald Pleasence dans un rôle de scientifique en perdition, assurément un des meilleurs de sa prolifique carrière.
La ressortie du film dans une poignée de salles est une occasion à ne pas manquer pour voir ou revoir cette pépite dans les meilleures conditions.
Wake In Fright de Ted Kotcheff, reprise en salles : 3 décembre 2014
C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS
Les sociopathes passent à l’acte au PIFFF 2014, et ils se trouvent parmi nous ! La séance culte dénicha un beau spécimen dans L’Homme Qui Voulait Savoir, en hommage au réalisateur néerlandais George Sluizer, récemment décédé : un néerlandais et sa femme passent leurs vacances en France quand cette dernière disparaît. Quelques années plus tard, l’homme la recherche encore et activement quand le coupable de sa disparition accepte de le rencontrer. Le film s'articulera alors autour de cette question : jusqu’où un mari est-il capable d’aller pour savoir ce qui est arrivé à sa femme ?
Stanley Kubrick trouvait L’Homme Qui Voulait Savoir effrayant, allant jusqu’à disséquer le film avec son regard quasi scientifique. L’insertion de l’horreur dans un contexte identifié, dans une banalité presque documentaire, engendre un profond malaise, renforcé par la plongée dans le quotidien familial du sociopathe responsable de l’enlèvement, brillamment interprété par Bernard-Pierre Donnadieu. Il est lui aussi cet "homme qui voulait savoir", savoir ce qu’il y a derrière le passage à l’acte, et qui finalement y prend goût.
Si L’Homme Qui Voulait Savoir met du temps à se mettre en place, la seconde partie et le face-à -face entre la victime et le bourreau sont exceptionnels. George Sluizer fit un remake américain de son propre film quelques années plus tard avec Jeff Bridges, Kiefer Sutherland et Sandra Bullock nommé La Disparue.
L’Homme Qui Voulait Savoir de Georges Sluizer, disponible en DVD chez Carlotta
Sorti en salles le 26 novembre dernier, Night Call bénéficia d’une avant-première remarquée hors-compétition de cette édition du PIFFF. Derrière ce titre vendu comme la dernière œuvre des producteurs de Drive et affublé du titre du célèbre morceau de Kavisnky emblématique du film de Nicolas Winding Refn se cache Night Crawler, et n’a rien à voir avec Drive.
La première réalisation du scénariste Dan Gilroy justifie peu sa présence au PIFFF, décrivant un état des lieux, certes glaçant, des chasseurs d’image s’inscrivant nettement plus dans le cadre du thriller : un homme prêt à tout pour réussir dans le contexte de la crise économique devient photographe pigiste et se trouve comme un poisson dans l’eau au sein de ce milieu où le reportage choc et le scoop sont prioritaires à toute question éthique.
A l’instar de House Of Cards, Night Call fait l’état des lieux d’un microcosme propice à l’émergence des éléments les plus sociopathes de la société, devenant les mentors de femmes et d’homme réduits à se battre dans un contexte économique les mettant chaque jour en danger. A ce niveau, l'émulation qui se crée entre la journaliste (Renée Russo dans un retour remarquable) et le sociopathe (Jake Gyllenhaal, épatant ambiguïté) est un cheval de Troie restreignant petit à petit les contraintes de la société du spectacle.
La spéculation sauvage sur les clichés, moteur de l’ascension de l’anti-héros, n’a pour limites que les faibles contraintes de la loi, aisément contournables par une personne à l’intelligence froide et suffisamment déterminée dans la réalisation de ses plans, que Gilroy exploite habilement pour en retranscrire l’adrénaline qui s’empare alors du photographe.
Si le Prête A Tout de Gus Van Sant devait avoir un successeur, ce serait sans nul doute ce Night Call. Le détachement du fait divers isolé et l’humour noir en moins, ce qui rend ce thriller d’autant plus dérangeant.
Night Call de Dan Gilroy, sortie salles : 26 novembre 2014
BOUCLE D'OR
Révélés par le foisonnant mais bordélique Undead, les frères Spierig avaient confirmé leur talent avec un Day Breakers nettement plus maîtrisé en 2010 mettant en scène Ethan Hawke et Willem Dafoe. Les revoilà pour une histoire de paradoxe temporel tout aussi remarquable, également porté par l’acteur de Bienvenue A Gattaca. Predestination ne fait pas dans l’originalité mais tire son épingle du jeu dans un scénario brillant et un beau casting qui permettent de tolérer la prévisibilité de l’intrigue.
Les frangins australiens parviennent à emporter le spectateur dès les premières minutes en exploitant la familiarité d’un pub puis dévoilant une intrigue qui n’a, a priori, que peu de rapport avec le récit qui nous intéresse. Réalisation fluide, coups de théâtre justifiés et une excellente Sarah Snook dans un rôle aux multiples facettes, Predestination croise avec innovation les fondamentaux du genre sans le prendre de haut. Les Spierig se placent avec ce dernier effort en bonne position parmi les nouveaux défenseurs d’un cinéma de genre honnête et efficace.
Contrairement à  Looper, Predestination n’aura pas les honneurs d’une sortie en salles alors qu'il possède tous les atouts d'un futur petit classique de SF qui se bonifiera avec le temps.Â
Predestination de Peter & Michael Spierig, sortie DVD et Blu-ray : 1er décembre 2014
PALMARÈS
ŒIL D'OR – PRIX DU PUBLIC : Spring de Justin Benson & Aaron Moorhead
ŒIL D'OR – PRIX DU COURT-MÉTRAGE FRANCAIS : Puzzle de Rémy Rondeau
ŒIL D'Or – PRIX DU COURT-MÉTRAGE INTERNATIONAL : The Boy With A Camera For A Face de Spencer Brown
PRIX DU JURY COURT-MÉTRAGE : Puzzle de Rémy Rondeau
MENTION SPÉCIALE : Shadow de Lorenzo Recio
PRIX SPÉCIAL CINÉ+ FRISSON LONG-MÉTRAGE : Alléluia de Fabrice du WelzÂ
PRIX SPÉCIAL CINÉ+ FRISSON COURT-MÉTRAGE : Shadow de Lorenzo Reccio