Sweeney Todd, Le Diabolique Barbier De Fleet Street

The agony horror picture show

Affiche Sweeney Todd, le Diabolique Barbier de Fleet StreetLe cas est polémique, l'affaire loin d'être entendue. Pour beaucoup, Tim Burton possède toujours le même génie créatif, la même poésie macabre, le même sens du conte et du récit, et démontre en sus depuis quelques années une capacité à s'adapter à différents genres.


Pour d'autres, le réa associable de Burbank est fini, essoré, incapable de se renouveler après avoir bénéficié d'une reconnaissance à tous les niveaux : public dès ses premiers films, critique avec la trilogie magique que composent
Edward Scissorhands, Batman Returns et Ed Wood, professionnelle avec la galerie de stars de Mars Attacks! et la commande d'un blockbuster estival par une Major (Planet Of The Apes) et enfin sociale avec son mariage et la naissance de son fils.

Je ne vais pas faire plus de mystères, je fais hélas parti des seconds, restant  encore hébété devant cet outrancier reniement artistique qu'est
Big Fish. Tourné sur le décor des Teletubbies et gavé de fadaises propres à rassurer Famille de France ("les fabulations c'est pas bien", "l'imaginaire se doit d'être construit sur le modèle de la réalité", cf. le redressement de la marque de fabrique de Burton qu'est la maison de traviole), ce gros poisson avait plus le goût du silure que du mérou. Quant à Charlie Et La Chocolaterie, outre une absence totale d'enjeux ou de péripéties, et une direction artistique faisant penser à du Burton digéré par Robert Rodriguez, la transformation des garnements en monstres reste encore en travers de la gorge. Dorénavant pour Burton, sortir des sentiers battus est proscrit, passible d'une punition humiliante : devenir un freak. Ce retournement idéologique était stigmatisé par le jeune héros, parfait, propre, normal, récompensé in fine pour sa gentille apathie durant tout le métrage.
Bref, l'auteur de
Beetlejuice se normalise, donne à son nouveau public le minimum syndical d'extravagances vidées de substance et d'iconoclastie, punit les freaks et tourne à vide, ne trouvant plus de sujets faisant écho à son ancienne marginalité.

Sweeney Todd, le Diabolique Barbier de Fleet Street
Depp, toujours plus grimé en Burton

Le voir adapter la comédie musicale Sweeney Todd pouvait laisser augurer un retour aux sources salvateur. Quoi de mieux pour Burton qu'un opéra gothique à base de vengeance ensanglantée et de cannibalisme en plein Londres victorien, histoire de montrer qu'il est toujours en forme le pépère ? Rien, en effet ; rien de mieux si ce n'est une comédie musicale proposant des compositions beaucoup moins convenues, voire insipides. Car le premier souci de Sweeney Todd, Le Diabolique Barbier De Fleet Street est sa bande son, d'une fadeur aussi pesante qu'elle est omniprésente (80% des dialogues sont des chansons). De fait, le décalage et l'ironie morbide nés de la rencontre improbable entre la comédie musicale en costumes et la vendetta gore, qui avait sûrement plu à Burton dans le projet, ne fonctionne jamais, et procède de plus à un détachement émotif avec le sort des personnages.
Le film est donc raté sur ce point, mais contrairement à ses récentes bouffonneries bien-pensantes, Burton assume au moins une note d'intention horrifique jusqu'au bout : c'est très sanguinolent, sans happy end ni rémission pour le personnage principal. Or le cinéaste a beau embrasser à bras-le-corps l'aspect Grand Guignol au point de proposer une photo monochrome permettant à ses grandes gerbes de sang de mieux contraster à l'écran (ce qui suffit à quelques uns pour lui passer de la pommad),
Sweeney Todd n'en reste pas moins désespérément morne et jamais excitant, le cinéaste allant jusqu'à céder à la facilité de l'auto-citation pour remémorer à ses fans de lointains souvenirs (oui merci Tim, on avait vu le lien barbier - rasoirs - Edward Scissorhands), quand il ne transforme pas tout simplement l'échoppe de son héros en petite boutique des erreurs : comment ne pas être effaré par le générique du début en CGI d'une laideur toute Uwebollienne ?  La grandiloquence gothique à la Burton, c'est bien, mais quand le trait est forcé au point de transformer l'arrivée sur Fleet Street en bande démo technico-hystérique digne de Pitof, c'est mal. Et quel intérêt de dramatiser à outrance le désir de vengeance d'un homme si au bout d'une demi-heure sa Nemesis se pointe de son plein gré chez lui, tend courtoisement sa gorge et attend gentiment d'être tranché avant que le scénariste ne se rende compte qu'il reste encore une heure vingt de métrage et n'interrompe la scène par un rebondissement bienvenu ?

Mais après tout sommes-nous peut-être trop vieux ou trop ronchons pour accepter de voir un cinéaste brillant nous ayant fait rêver gamin devenir l'ombre de lui-même, tout en étant célébré par ceux qui l'ignoraient du temps de sa splendeur. S'il y en a qui apprécient le Burton d'aujourd'hui, grand bien leur fasse. Ce n'est pas faute d'expliquer en long, en large et en travers pourquoi il est difficile pour une partie de ses admirateurs d'adhérer à sa récente filmographie et au retournement de veste qu'elle véhicule, que ce retournement soit voulu par l'auteur ou inconscient. Même si pour ma part, devant l'essence même de ce
Sweeney Todd et le ratage qui en émane, faisant suite à un quasi-remake d'un de ses fleurons (The Corpse Bride Vs. L'Etrange Noël De Mr Jack), je ne peux m'empêcher de penser que le cas Burton est plus complexe que cela : peut-être ne cherche-t-il pas sciemment à faire du Burton light, mais juste à redevenir Tim Burton.

3/10

SWEENEY TODD: THE DEMON BARBER OF FLEET STREET
 
Réalisateur : Tim Burton
Scénario : John Logan d'après la comédie musicale de Stephen Sondheim, High Wheeler & Christopher Bond
Production : Richard D. Zanuck, John Logan, Laurie MacDonald…
Photo : Dariusz Wolski
Montage : Chris Lebenzon
Musique : Stephen Sondheim
Origine : USA / GB

Durée : 1h55
Sortie française : 23 janvier 2008




   

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