Quelques Minutes Après Minuit
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- Critique par Nicolas Zugasti le 13 janvier 2017
Écorcé vif
"Tire-larmes", "larmoyant", "manipulation"... Voilà quelques qualificatifs qu'on a pu lire à propos de Quelques Minutes Après Minuit. Plus qu'une certaine insensibilité, ces termes pourraient illustrer une difficulté à se laisser aller. Ça tombe bien, c'est le sujet du film de J.A. Bayona.Â
Il est vrai que l'on pourrait s'y méprendre à la lecture du synopsis : Conor, un pré-ado d'une douzaine d'années, supporte difficilement l'état de santé déclinant de sa mère. Son père est parti vivre aux Etats-Unis, ses relations avec sa grand-mère sont des plus froides et il se fait molester par certains de ses camarades de collège. L'ambiance est peu réjouissante, les images ternes, bref on navigue en quasi dépression. Pourtant, le cinéaste ne force jamais le trait de la situation désespérée à laquelle Conor est confrontée. Au contraire, l'exposition présente un jeune garçon débrouillard, qui ravale sa fierté après s'être fait rosser, sans jamais fondre en larmes, avant de veiller sur sa mère. Cependant, il bouillonne intérieurement, jusqu'à l'apparition d'un arbre anthropomorphe qui va l'aider à dépasser sa douleur via trois histoires dont Conor détient la clé interprétative.
Comme pour L'Orphelinat et surtout The Impossible, Quelques Minutes Après Minuit est un projet de mise en scène pensé pour inciter au laisser aller aux émotions et symboles que convoquent les images. En ce sens, Bayona est le digne rejeton de Guillermo del Toro et Steven Spielberg. Tous les éléments narratifs et visuels prennent sens en s'intègrant naturellement autour d'un propos unique sur la difficulté de s'abandonner à ses sentiments. Ce monstre prenant vie, issu de l'immense if trônant dans le cimetière proche de la maison de Conor, renvoie paradoxalement à l'arbre de vie de la Kabbale qui symbolise les lois de l'univers, le lien du macrocosme et du microcosme, mais aussi à Yggdrasil, l'arbre-monde de la mythologie nordique. Un motif que l'on retrouvait dans The Impossible, annonçant le terme d'un parcours amenant la famille à un profond changement intime. Il en va de même pour Conor, sa confrontation avec cet arbre né de son imaginaire va l'aider à faire sauter les verrous de sa psyché afin de le conduire à une meilleure connaissance de lui-même. Plus prosaïquement, les apparitions de son compagnon intervenant précisément à minuit et sept minutes permettent de stopper la course du temps et donc de reculer l'inéluctable, la mort prochaine de sa mère.
Le monstre, interprété par Liam Neeson grâce à la performance capture, maquillage numérique qui ouvre le champ des possibles pour les acteurs, est ainsi le catalyseur des sentiments du garçon. Ses manifestations dans le monde de Conor sont aussi impressionnantes que ses récits sont poétiques, charriant des sensations aussi ambivalentes que la colère et l'apaisement, la peur et l'espoir. Allégorie du trouble psychanalytique de Conor, les séquences le mettant en scène font appel à divers procédés graphiques, notamment pour les histoires racontées, tels que la peinture, l'aquarelle, le fusain. Comme les deux précédents films de Bayona, il est ici question de la mort, du deuil, de la relation mère-fils, de transcendance, mais plus que de les ressasser, le réalisateur en développe d'autres facettes via la transmission à travers l'art (les divers supports visuels, les visionnages de films de Conor avec sa mère, la passion de la famille pour le dessin, la maison est truffée d'illustrations diverses). Par sa prédominance dans les contes du monstre, le dessin figure un passage entre les deux mondes prenant en tenaille le jeune Conor, qui se traduit par les branchages du monstre enveloppant de plus en plus les espaces autour du héros.Â
Quelques Minutes Après Minuit se distingue également par la qualité de sa direction d'acteurs, avec en point d'orgue le jeune Lewis MacDougall et une Felicity Jones méconnaissable, pas seulement physiquement si l'on se réfère à sa plate performance dans Rogue One. Bayona amène ses personnages à dépasser leurs simples fonctions narratives, comme le père qui dépasse son postulat de base pour une figure plus humaine intimant de lâcher prise. Vivant aux Etats-Unis il ne cesse de répéter à son fils de le rejoindre mais ce dernier refuse complètement d'envisager cette possibilité, il n'est pas prêt à se projeter dans un futur sans sa mère à ses côtés. D'autant que sa relation avec sa grand-mère maternelle, interprétée avec justesse par Sigourney Weaver, est des plus compliquées car leurs difficultés à communiquer symbolisent les rapports conflictuels qu'entretient Conor avec ses propres sentiments et le monde des adultes. Il n'est alors pas étonnant que c'est en brisant littéralement ce qui tient le plus à sa grand-mère qu'il parvient à lui exprimer enfin tout ce qu'il a sur le cÅ“ur lors d'une scène bouleversante où toute la science de la durée du plan de Bayona permet à Weaver de nous faire comprendre qu'elle a compris.Â
L'an dernier, Le Bon Gros Géant illustrait une relation similaire entre un enfant et un monstre le recueillant suite à son appel inconscient, mais le film de Spielberg développait une dimension féerique que ne possède pas celui de Bayona, beaucoup plus sombre par son traitement et ses thèmes. On est loin de l'accès à un univers fantasmagorique capable d'apaiser les angoisses, les doutes, la douleur. Au contraire, ce monde figuratif ne cesse de raviver ces émotions afin de s'y confronter, les embrasser pour enfin les accepter. C'est un récit d'apprentissage à la dure où la renaissance ne peut advenir que par la destruction, par la perte. Pour Bayona, tout est une question de croyances. Dans L'Orphelinat, croire c'est voir, avec The Impossible, la survie de la mère tient à sa capacité à croire qu'elle retrouvera son fils et donc le reste de sa famille. Ici, Conor veut croire à l’efficacité du traitement inoculé à sa mère. Mais à chaque fois, cette foi est mise à mal, ou devient un talisman inopérant. Avec Quelques Minutes Après Minuit, le cinéaste espagnol entérine l'idée que le recours à la fantasmagorie n'est certes pas salvateur pour le corps mais demeure un magnifique moyen de panser les maux de l'âme.Â
PS : Petit rappel de Monsieur Bobine sur la nécessité de redécouvrir The Impossible :
A MONSTER CALLS
Réalisateur : Juan Antonio Bayona
Scénario : Siobhan Dowd & Patrick Ness d'après le roman de Patrick Ness
Production : Patrick Ness, Jeff Skoll, Belen Atienza, Alvaro Augustin, Sandra Hermida...
Photo : Oscar Faura
Montage : Jaume Marti & Bernat Vilaplana
Musique : Fernando Velazquez
Origine : Espagne
Durée : 1h48
Sortie française : 4 janvier 2017
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