La Proie
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- Critique par Nicolas Zugasti le 22 avril 2011
Traque sur la ville
Les sorties rapprochées d’A Bout Portant de Fred Cavayé et La Proie d’Eric Valette consacrent le retour des séries B(urnées) de très haut standing dignes de Verneuil et Boisset, maniant avec brio spectacle populaire et exigences formelles. Ah non madame, rien à voir avec La Fille Du Puisatier !
Avec Une affaire D’Etat en 2009, Eric Valette démontrait ses capacités à traduire à l’écran sa volonté de redonner un nouveau souffle au cinéma de genre à la française, mêlant des considérations politiques tumultueuses à un traitement sans fioriture de l’action. Son nouveau film, La Proie, vient confirmer cette tendance et surtout l’ancrage de Valette dans le paysage cinématographique comme une valeur sûre (le spectacle et les émotions sont bien présents) sans pour autant perdre son imprévisibilité. Une œuvre faisant sans peine un peu plus oublier son intermède américain durant lequel il aura commis le nanardesque Hybrid (que celui qui n’a jamais pêché lui jette le premier tentacule !).
Incarcéré suite à un casse, Franck Adrien (Dupontel) purge sa peine sans faire d’histoire, attendant impatiemment le jour de sa proche sortie. Son univers est partagé entre un ancien complice décidé à lui faire cracher l’endroit où il a planqué le fric et un compagnon de cellule clamant son innocence pour le viol d’une mineure de 16 ans dont on l’accuse. Et c’est vrai qu’il a pas l’air bien dangereux ce binoclard chétif. En sauvant Jean-Louis Maurel du mauvais sort que lui réservait une bande de détenus, Adrien s’attire sa sympathie et se crée un lien de confiance suffisant pour qu’Adrien lui révèle le lieu de la planque afin que Maurel en fasse bénéficier sa femme et sa fille lorsque ce dernier est libéré. Sans nouvelles de sa famille, s’imaginant le pire suite à la visite d’un officier de Gendarmerie (Sergi Lopez) affirmant que Maurel est une saloperie de pédophile en série, Franck Adrien s’évade et entreprend de retrouver Maurel pour lui faire sa fête. Bien sûr, il sera lui-même pourchassé par les flics qui en plus croiront qu’Adrien est le responsable des crimes commis par Maurel…
Une intrigue simplissime, prétexte à un traitement parfaitement jouissif dans sa caractérisation (les nombreux seconds rôles sont épatants et surtout crédibles, même Serge Hazanavicius en flic buriné, c’est dire !) et dans sa réalisation.
Avec cette traque aux multiples facettes s’étendant sur une partie du territoire français (on passe du périph’ parisien au sud méditéranéen), le réalisateur ne se contente pas de reproduire ce que l’excellent A Bout Portant avait si bien su mettre en images et où Albert Dupontel le taulard remplaçerait Gilles Lelouche l’aide-soignant. Il conteste sans arrêt la linéarité du récit par l’adjonction de plusieurs lignes narratives portées par des personnages différents et qui en venant croiser la course de Franck Adrien l’obligeront à des bifurcations aussi physiques que psychologiques. L’existence de ce braqueur est déterminée par la confiance qu’il peut accorder à ses proches, ses compères ou des rencontres et le récit va constamment remettre en cause ses acquis. Et comme l’implication et l’identification du spectateur marchent à plein régime, nous partagerons les doutes étreignant Dupontel. Qui croire, à qui confier son histoire, sa vie ? Autant de questions qui reviendront lancinement entre deux morceaux de bravoures.
Et ces derniers sont légions, magnifiés par une réalisation au cordeau, sans fioritures, et par le dévouement de Dupontel qui exécute lui-même toutes ses cascades. Ecrit comme ça, cela paraît accessoire mais il faut voir le niveau des actions insensées exécutées par ce timbré ! Certes, Dupontel s’est façonné un physique approprié mais l’on reste tout de même sans voix devant certaines séquences. A l’instar d’A Bout Portant avec la course poursuite finale de Pour Elle, La Proie semble décidé à développer sur une heure trente, la course-poursuite d’Une Affaire D'Etat en l’améliorant sous tous rapports. Mais ce n’est pas une manière de montrer, de prouver que Valette en est capable. Il pense constamment à l’intérêt narratif de son film sans se focaliser outre mesure sur les scènes d’action rythmant le récit. Utilisant les différents personnages pour relancer la machine et intervertir sans cesse les positions, de sorte que chacun, à un moment donné, devient la proie de l’autre.
 Si l’on peut regretter quelques facilités scénaristiques et des dialogues dissonants, ces menus défauts sont vite balayés par une histoire mouvementée qui n’oublie pas de faire poindre une certaine émotion. Celle naissant de la détermination presque surnaturelle d’Adrien à se relever pour continuer à rechercher sa fille ou le malaise émanant de ce psychopathe de Maurel à la normalité véritablement effrayante dont l’accoutrement (banane, petit pull noué sur les épaules, jusqu’aux Burlington apparaissant fugacement) et le comportement (c’est un hôte charmant) le rendent insoupçonnable. Valette injecte ainsi une bonne dose de perversité au sein d’un spectacle ouvertement grand public, suscitant des sentiments dérangeants.
Enfin grand public, mieux vaut qu’il soit averti car le film ne lésine pas sur la violence sèche, qui claque, et prenant des tons différents selon les différentes ambiances créées. C’est d’ailleurs un des tours de force de La Proie, de passer naturellement du film de prison âpre à la poursuite type Le Fugitif jusqu’à la traque finale faite d’observation et de dissimulation en passant par le western. Ce dernier étant superbement mis en valeur par un scope de toute beauté magnifiant les paysages nationaux. D’ailleurs, le film assume pleinement son identité franchouillarde, ne reniant jamais les spécificités locales et s’inspirant ouvertement du mode opératoire de Fourniret et de ses liens avec le gang des postiches.
La Proie marque vraiment une étape de plus dans le cinéma de genre à la française et dans le cinéma de Valette. En effet, ce dernier élargit à chaque film son champ d’action, passant de la cellule de Maléfique aux bureaux feutrés d’Une Affaire d’Etat et aujourd’hui le grand air de La Proie, et parallèlement semble se lâcher de plus en plus dans sa mise en scène qui acquière ainsi une plus grande maîtrise. Autrement dit, La Proie n’annonce que du positif et pourquoi pas, dans un plus ou moins proche avenir, la concrétisation du western fantasyste Dark Guns.
LA PROIE
Réalisateur : Eric Valette
Scénario : Laurent Turner & Luc Bossi
Production : Luc Bossi
Photo : Vincent Mathias
Montage : Christophe Pinel
Bande Originale : NOKO
Origine : France
Durée : 1h43
Sortie française : 13 avril 2011