J'Ai Vécu L'Enfer De Corée [2/2]

Bleus au casque

Affiche J'ai Vécu L'Enfer De Corée

On l'a vu dans la première partie, Fuller n'hésite jamais à aborder le thème du racisme dans des contextes douloureux. Il le traite déjà dans The Steel Helmet d’une manière assez subtile.


Alors qu’ils viennent de monter un poste d’observation dans un temple bouddhiste perdu en territoire ennemi, les membres du peloton du Sergent Zack parviennent à capturer un officier nord-coréen.
Celui-ci commence à discuter avec le Sergent Tanaka, autre membre du peloton et ami du Sergent Zack. Le nord-coréen essaie de "retourner" le Sergent en lui rappelant que pendant la Seconde Guerre Mondiale, le pays pour lequel Tanaka se bat, les USA donc, a parqué dans des camps de concentration les citoyens d’origine japonaise comme lui. Tanaka encaisse le coup et laisse entendre que ses parents (voire lui-même) en ont fait l’expérience.

Fuller tape fort : il n’hésite pas à mettre sur la table un détail historique relativement peu connu mais parfaitement authentique et ce, alors que tout cela est encore très frais (ça date de moins d’une décennie) et constitue un sujet tabou.

L’officier nord-coréen tente également de semer le trouble dans l’esprit du Caporal Thompson, l’infirmier du peloton, en lui renvoyant toute la difficulté de sa condition de noir en Amérique. "Ils ont déjà du mal à accepter de manger à côté de toi ici, au front. Alors imagine un peu quand tu seras de retour chez toi !" Encore une fois, Fuller gratte où ça ne sent pas bon et regarde la vérité en face : oui, l’Amérique des 50's (et donc, par extension, le spectateur de son film) est raciste. Mais de manière très intéressante, Fuller ne s’en tient pas là et, fidèle à un humanisme que l’on a déjà souligné plus haut, délivre un message de confiance en un meilleur avenir.


J'ai Vécu L'Enfer De Corée
 

Certes, Tanaka et Thompson ne nient pas les constatations du nord-coréen, mais ils ne s’y résignent pas. Et ils ne s’en servent pas non plus comme prétexte pour sombrer dans la haine eux-mêmes. Tanaka souligne qu’il est Américain avant tout et que si ses origines posent des problèmes à d’autres gens, ça n’est pas son affaire.
De son côté, Thompson souligne l’évolution de la société, très lente mais inexorable, vers un idéal sans racisme : "Oui, quand je monte dans un bus, je ne peux m’asseoir qu’à l’arrière. Mais il y a vingt ans, je n’aurai pas pu monter dans le bus du tout. Et dans vingt ans, peut-être que je pourrai m’asseoir où je veux."

Tout ça pour conclure par un message d’une grande sagesse : "Certaines choses mettent juste plus de temps à changer que d’autres."

Ce n’est pas une sorte de paternalisme déguisé de la part de Fuller. Ce n’est pas non plus de la résignation. Ce n’est même pas de l’idéalisme. C’est juste de l’espoir. Jamais naïf ni irréaliste. Un espoir qui apparaît d’ailleurs comme remarquablement prémonitoire quand on le réévalue à une époque où Obama est le Président des USA.


L'humanisme de Fuller se fait également sentir à d’autres moments du film : à ce titre, l’entrée du peloton dans le temple bouddhiste qui servira de point d’observation est tout simplement superbe. Sans que la moindre consigne ne soit transmise, tous les soldats retirent leurs casques en entrant dans le temple. Comme par réflexe devant la majesté et la sérénité émanant de l’immense statue trônant au milieu de la pièce. Le Lieutenant donne alors l’ordre de ne toucher à rien, ce qui dénote d’un respect du caractère sacré de l’endroit. Même l’officier nord-coréen ne sera pas traité sans égards, le Caporal Thompson prenant le temps de donner l’absolution (version bouddhiste) à cet ennemi lorsque ce dernier agonisera. Car tout homme garde le droit à un instant de paix avant de mourir.

On peut néanmoins se poser la question de savoir si Fuller a gardé jusqu’au bout cette confiance en l’humanité. A la vision de la scène de Shock Corridor évoquée dans la première partie (et tournée plus d’une décennie après The Steel Helmet) tout comme à la clarté des retombées personnelles du film White Dog sur sa carrière, il est malheureusement permis d’en douter.


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DOMMAGES COLLATERAUX
- Interviewer: Fascim?

- Fuller: Enemy of Mankind!

- Interviewer: Communism?

- Fuller: Enemy of Mankind!

- Interviewer: Democracy?

- Fuller: (hésite p
uis sourit) Mankind!

Extrait du documentaire La Machine A Ecrire, Le Fusil Et Le Cinéaste de Adam Simon.


Ce ne sont d’ailleurs pas les réactions virulentes lors de la sortie de The Steel Helmet qui ont du encourager Fuller dans sa vision optimiste des choses.

The Steel Helmet
sera effectivement accusé d’être un film pro-communiste. Aussi clairement insensées que ces critiques fussent, elles se focalisaient sur le constat sans appel qu’émet Fuller, via le personnage de l’officier nord-coréen, sur la problématique du racisme ambiant aux USA et en tiraient la conclusion que Fuller, en dénigrant l’Amérique, faisait volontairement le jeu des communistes. Bref, elles préféraient tuer le messager annonciateur de mauvaise nouvelle plutôt que de se confronter à la triste réalité dénoncée par Fuller. Bel exemple d’usage de la technique de l’autruche.

Cette critique est d’autant plus inepte qu’à la vision du film, on se rend bien compte que l’ennemi communiste est présenté comme ne respectant aucune valeur. Les soldats nord-coréens se déguisent en paysans pour mieux piéger les patrouilles américaines. De son côté, l’officier nord-coréen ne se laisse pas arrêter par le caractère sacré du temple bouddhiste (pourtant sa propre religion) dans lequel il s’est réfugié et y attaque (dans le dos !) une sentinelle américaine.

Pire : ce personnage n’a même pas de considération pour son propre peuple et méprise à haute voix le sort subi par le petit Short Round.


Récapitulons : Fuller dépeint l’ennemi comme déloyal, cruel, lâche et sans honneur ni pitié. On a connu des "apologies du communisme" plus flatteuses.

Un autre angle d’attaque des critiques sera l’absence de glorification des soldats américains. On reprochera ainsi à Fuller d’avoir montré un gradé abattre un prisonnier de guerre, acte totalement interdit par les lois militaires et les règles d’engagement. Fuller clouera néanmoins le bec de ces autres détracteurs en affirmant avoir été le témoin direct de ce genre de comportement pendant la seconde guerre mondiale.


Heureusement, The Steel Helmet ne sera pas uniquement la cible de critiques. On peut ainsi constater une influence positive de ce film sur certaines autres œuvres artistiques. Ne prenons que le nom du très jeune coréen accompagnant le Sergent Zack : Short Round. Est-ce bien une coïncidence si le jeune compagnon (asiatique lui aussi) d’Indiana Jones dans Le Temple Maudit porte le même nom ?

Cette influence ne se retrouve d’ailleurs pas uniquement dans le domaine du cinéma. Le Sergent Zack a très probablement servi de modèle pour la création d’un autre personnage de soldat, mais issu des comics celui-là : le célèbre Sergent Rock des éditions DC Comics.

On retrouve chez ces deux "guerriers" (appellation à prendre au sens propre) nombre de traits de caractère communs : le jusqu’auboutisme, le professionnalisme sans faille, le courage, l’intelligence du combat, le sens tactique, le rôle de leader et d’exemple pour les autres hommes, le statut de légende parmi ses frères d’armes. Sans oublier le même grade (et le même amour des cigares).

Tout comme Zack, le Sergent Rock fait partie de l’infanterie américaine. Ses aventures se déroulent lors de la seconde guerre mondiale, sur le front européen ; autrement dit, là où Zack (et Fuller…) a également livré bataille. Mais il y a plus : on retrouve chez ces deux héros une sorte de destin inéluctablement lié à la guerre. Comme si leur statut de personnification du vrai soldat (dans ses qualités comme ses défauts) leur interdisait de faire autre chose que de combattre.


J'ai Vécu L'Enfer De Corée
 

La biographie fictive du Sergent Rock va d’ailleurs dans ce sens : ce personnage est censé être tué par la toute dernière balle tirée lors de la Seconde Guerre Mondiale alors qu’il protégeait un enfant. Comme si un tel personnage, de par sa nature, ne pouvait pas survivre à la guerre. The Steel Helmet donne la même dimension d’ "éternel soldat" au Sergent Zack. Evidemment, il y a tout son passé de vétéran de la WW II, que l’on a déjà évoqué. Mais au détour d’une scène onirique en diable, Fuller va encore plus loin. Il nous montre un Zack à moitié assommé par un éclat de projectile lors d’une offensive ennemie. Zack est KO debout, hagard au milieu du brouillard des détonations, et, dans sa confusion, revit le débarquement en Normandie. Le message est clair : la guerre est en lui pour toujours. Fuller terminera d’ailleurs son film par une phrase sonnant comme un amer constat : "Cette histoire n’a pas de fin."
Bref, le Sergent Rock et le Sergent Zack : même combat. D’ailleurs, il n’y a pas de hasard : on l’a déjà dit plus haut, Gene Evans, l’interprète de Zack, a également joué le rôle d’un soldat dans un autre film de Fuller (Fixed Bayonets). Le nom de son personnage dans ce film ? Le Sergent… Rock.


De manière plus anecdotique, le dénouement dantesque (mais avec Garth Ennis au scénario, pouvait-il en être autrement ?) du comics Punisher: Born au cours duquel le camp militaire du protagoniste est assailli par des centaines (des milliers ?) de Viêt-Congs renvoie immanquablement au final complètement fou de The Steel Helmet où des vagues sans fin de nord-coréens attaquent le temple dans lequel est retranché le peloton de Zack.


En guise de conclusion, disons que The Steel Helmet, c’est (dans le désordre et de manière non exhaustive) : un témoignage sans fard sur la vie des soldats en temps de guerre, une réflexion subtile sur le racisme présent en Amérique, des scènes d’action réalistes, une ambiance inimitable et authentique, des acteurs remarquables et impliqués et une influence durable sur tout un pan de la représentation artistique de la guerre.

Et pour tout ça, Fuller n’a eu besoin que de dix jours de tournage, un budget de 100 000 dollars (autant dire presque rien) et 85 minutes de film. Mais pour un homme qui a quelque chose à dire et qui sait comment il doit le dire, il n’en faut pas davantage.

Car, que cela soit à la guerre ou au cinéma, preparation is everything.


THE STEEL HELMET

Réalisateur : Samuel Fuller
Scénario : Samuel Fuller

Production : Samuel Fuller
Photo : Ernest Miller
Montage : Philip Cahn
Bande originale : Paul Dunlap
Origine : USA
Durée : 1H25
Sortie française : 30 avril 1952




   

Commentaires   

0 #1 Virlogeux-Juncker 09-03-2018 14:45
Je ne connaissais pas ce film de Fuller. Pour moi, Fuller c'est avant tout "Big Red One", en particulier pour la scène de Libération du Camp de Concentration. Il faut dire que mon père cvirlo.jimdo.com/.../... et ma grand-mère fr.wikipedia.org/.../... ont été déportés.

Et cet épisode de "Big Red One" a été pour moi traumatique. Mon père a été libéré par les soldats de la 82ème Air Born (un film et des photos ont été prises comme à Falkenau) et ma grand mère est passée par le Crématoire du camp de Ravensbrück.

En regardant ce film, j'ai retrouvé dans l'entrée dans le temple boudhiste en contrepoint aux images de la libération du camp dans le film de Fuller.

Même lenteur, même attention, même sidération pour ce groupe de soldat que celle du héros du film ouvrant la porte du four.

Je me retrouve aussi dans les positions antifascistes antifasciste de Fuller.

D'une certaine manière, il est, aussi, proche, d'autant plus proche à cause de ses origines juives, de mon grand oncle maitron-en-ligne.univ-paris1.f r/.../ qui a été son contemporain.

Amicalement

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