The Birth Of A Nation
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- Critique par Guillaume Meral le 9 février 2017
Stars and tripes
A Hollywood, les destins tout tracés n’existent pas. L’aléatoire s’applique à tout le monde, et particulièrement à ceux qui se baladent au sommet de la célèbre colline trop pris par la vue pour se méfier de leur exposition.
Ce n’est pas Nate Parker, réalisateur et acteur principal de The Birth Of A Nation, qui dira le contraire. Un deal record avec Fox Searchlight pour les droits de distribution, un buzz monstrueux, les Oscars en approche : rien ne semblait en mesure de se mettre en travers du triomphe annoncé d'une œuvre portée à bout de bras pendant sept ans depuis les dithyrambes extatiques au festival de Sundance 2016. Sauf peut-être une affaire de viol impliquant Parker déterrée quelques mois avant la sortie. Protestations et justifications de l’intéressé n’y feront pas grand-chose. Etouffé par la polémique, The Birth Of A Nation n’aura jamais l’occasion de profiter de la visibilité que Sundance devait lui garantir. Dans l’ombre du scandale et malgré une presse favorable, le film se plante et voit ses chances de concourir aux Oscars réduites à néant.
On sait que les liens entre l’artiste et sa création deviennent indéfectibles dans la polémique, on ne devrait donc pas s’étonner de l’addition payée par la seconde pour une affaire qui n’engage que le premier. Néanmoins après visionnage, on s’interroge sur la réalité de ses chances dans la saison des récompenses. Non pas qu’il s’agisse d’un de ces machins over-buzzés dont le sujet surclasse toutes considérations artistiques jusqu’à amalgamer le propos et son articulation (la recette du film dit "nécessaire"). Bien au contraire tant les partis-pris viscéraux revendiqués évitent les tapis rouges de la catharsis réconciliatrice. Car à l’inverse des œuvres abordant des plages douloureuses de l’histoire afro-américaine (12 Years A Slave, Le Majordome et dans une moindre mesure Selma), The Birth Of A Nation ne dresse pas son militantisme en totem oscarisable. Ni ne met en scène son indignation pour embrayer sur l’importance du vivre-ensemble prompt à amener larme à l’œil de l’électorat WASP démocrate. Ni ne s'inquiète d'aller trop loin et de mettre les hérauts médiatiques en défaut. The Birth Of A Nation refuse d’être un film nécessaire.
De toutes évidences, Nate Parker a payé suffisamment cher les conditions de son indépendance pour ne pas céder au moindre compromis afin de raconter cette histoire. Celle de Nat Turner, premier esclave à avoir mené une révolte sanglante contre ses maîtres, qui se servaient de ses dons de prêcheur pour asservir leur cheptel. Ne vous attendez pas au confort mainstream des œuvres ménageant des points de repères pour votre zone de confort : The Birth Of A Nation est un cauchemar éveillé, une peinture de l’enfer qui n’offre aucune échappatoire au spectateur. Préférant les codes du cinéma de genre à ceux du biopic, c’est au film d’horreur que renvoie Parker pour véhiculer son propos. Le teint blafard des personnages blancs, les reflets nocturnes aux accents violacées sur leur peau en font un peuple de démons jouissant du droit de vie et de mort (et bien plus) sur leurs asservis. Ce traitement s’immisce jusque dans les instants les plus anodins contribuant à appuyer l'imagerie délétère de l’ensemble (voir le personnage d’Armie Hammer dont les crises de conscience n’empêchent en rien la monstruosité véhiculée par sa représentation). Parker tranche le débat, aucun protagonniste "blanc" positif (à l’exception peut-être de la mère jouée par Penelope Ann Miller) pour racheter la mauvaise conscience d’un public qui ne manquera pas de le qualifier de complaisant ou de démonstratif tant Parker table sur l'émotion pour nous immerger dans le point de vue des victimes de cette situation.
Car contrairement aux films cités plus haut, The Birth Of A Nation est le projet d’une vie pour un homme qui s’identifie totalement au personnage, se demandant comment amener le spectateur à partager son regard. Si l’on devait le rapprocher d’une Å“uvre traitant d’un sujet similaire, c’est davantage Django Unchained que l’on retiendrait pour cette peinture d’un monde moralement déréglé, régi et habité par des visages déformés par le vice. L’ambiance messianique qui habite le film se révèle ainsi parfaitement à -propos avec ses partis-pris visuels. Au point de presque réussir à antidater son époque malgré l’importance déterminante de son contexte. Si l’influence de Mel Gibson a souvent été mentionnée, ce n’est pas tant en raison de sa violence graphique (certes présente, mais davantage tributaire du climat d’étouffement général) que les accents de contes bibliques qui cimentent le parcours du personnage. A l’instar du réalisateur de La Passion Du Christ (auquel on pense fortement), les convictions de Nat Turner forgent sa vision du monde et conditionnent sa formulation formelle et narrative, devenant même un instrument d’émancipation lorsque les versets prêchés avec fougue se muent en appel à la violence légitime et à la révolte. On ne connait pas assez Parker pour déterminer s’il partage les convictions de Gibson. Reste que l’acteur/réalisateur est suffisamment habité par cette histoire pour laquelle il s’est battu contre vents et marées pour en retranscrire l’essence de la plus fiévreuse des manières. Au diapason de la mise en scène, son interprétation relaye l'idée d’un artiste consumé par ce qu’il filme et interprète (et tant pis si ça déborde un peu). Même certains aspects de l'Å“uvre sur le fil du rasoir, comme le léger manque d’épaisseur de l’image numérique, jouent très vite en sa faveur en abolissant toutes codifications esthétiques entre le spectateur et l’écran. Comme s’il s’agissait de lui coller la tête dans un univers déliquescent pour le confronter à une réalité passée, hors des images d’Epinal et des indignations pavloviennes.Â
La puissance d’évocation des images et le talent de Parker pour distiller ses intentions dans le moindre des partis pris achèvent d’incarner The Birth Of A Nation dans un régime mythologique antédiluvien, il s’en faut de peu pour que le réalisateur transcende l’affaire d’un point de vue narratif. Corseté dans la brièveté de la révolte de Turner, Parker peine à négocier le virage guerrier dès lors que l’affrontement se substitue aux prêches. Là où un Gibson conçoit la violence et le conflit comme excroissances de sa profession de foi, The Birth Of A Nation souffre de difficultés à faire écho avec son propos dans le troisième acte, comme s’il avait déjà tout dit. Frustrant à l’aune des formidables promesses déroulées en amont, mais qui suffisent à acter la singularité précieuse de l’ensemble. Car le projet matérialise sur grand écran ce que l’Amérique post-Obama (sans parler de l’autre) ne veut affronter : la psyché collective d'une communauté afro-américaine frappée de stress post-traumatique centenaire.Â
The Birth Of A Nation n’a ainsi rien d’un film nécessaire au sens où il n’adapte pas une réalité conflictuelle à une grille de lecture arrangeant sa représentation. Nate Parker suggère que peu importe les efforts déployés pour se rassurer, pour regarder vers l’avant, l’horizon américain restera constamment obscurci par cette tâche indélébile de son histoire. Les vérités dont on a besoin sont rarement celles que l’on veut entendre.Â
THE BIRTH OF A NATION
Réalisation : Nate Parker
Scénario : Nate Parker & Jean McGianni CelestinÂ
Production : Nate Parker, Tony Parker, David S. Goyer...
Photo : Elliot Davis
Montage : Steven Rosenblum
Bande originale : Henry Jackman
Origine : USA
Durée : 2h00
Sortie française : 11 janvier 2017