Live By Night
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- Critique par Nicolas Zugasti le 3 février 2017
Trois hommes et un Coughlin
En tant que fresque criminelle d'envergure, le nouveau long-métrage de Ben Affleck n'a pas les moyens de ses ambitions. Mais si on le considère comme récit plus sensible qu'épique, Live By Night est une belle réussite.
Un équilibre presque bancal qu'incarne finalement la double casquette portée par Affleck, le metteur en scène doué voyant ses efforts contrebalancés par les performances en dents de scie de l'acteur. Ce n'est pas le plus expressif ni subtil des interprètes, cependant il sait faire bon usage de ses postures balourdes et monolithiques. Fincher s'en est d'ailleurs merveilleusement servi pour les besoins du personnage de falot absolu du mari de Gone Girl. Ici, Affleck a du mal à faire transiter les émotions de son personnage tourmenté mais sa raideur crédibilise la dangerosité et l'implacabilité de ce gangster pétri de principes.
Dix ans après Gone Baby Gone, Affleck adapte de nouveau un roman de Dennis Lehane : l’action prend place durant la période charnière de l’entre-deux guerre bornée par la prohibition et la grande dépression économique des années 30 qui creusera un peu plus les inégalités entre classes sociales. De retour de la Grande Guerre, Joseph Coughlin (Affleck dans un rôle envisagé au départ pour Leonardo DiCaprio) ne veut plus être dépendant de qui que ce soit et souhaite redevenir maître de sa destinée. Il se lance alors dans des petits braquages avec deux complices en prenant ses distances avec les deux plus grandes familles mafieuses de la ville se livrant à une lutte sans merci. Mais son amour pour la belle Emma (remarquable Sienna Miller), la maîtresse du chef du clan irlandais, l’oblige à s’impliquer plus qu’il ne voudrait et le devrait. Les deux tourtereaux rêvent de vivre leur amour hors de cet univers violent, et la perte pour Joe sera à la hauteur de cet enjeu. Pour rebondir et surtout se venger, il intègre le clan rival italien et reprend le trafic de rhum à Tampa afin de le faire prospérer et ainsi contrôler la Floride.
L’intention d’Affleck était de prime abord de rendre hommage aux classiques du film de gangsters de l’âge d’or (on pense aux œuvres de Raoul Walsh et Howard Hawks). La reconstitution est fidèle, soignée, la photo léchée de Robert Richardson (chef op’ de Quentin Tarantino) magnifie décors et personnages, le glamour contraste efficacement avec l’ambiance de film Noir. Visuellement abouti, d’autant qu’une fois de plus le réalisateur se montre particulièrement à l’aise pour mettre en boîte quelques séquences d’actions enlevées, Live By Night peut décevoir par sa narration empruntant aux codes du rise and fall, genre sublimé par Scorsese et De Palma, avec des accents "leoniens" de Il Était Une Fois En Amérique, mais peinant à en retrouver le souffle et l’ampleur. On peut également regretter qu’il ne développe pas sa riche toile de fond abordant la construction du pays par l’exploitation des immigrés, le racisme ou encore le délitement du rêve américain. S’il s’agit pour Joe Coughlin de parvenir à imposer ses règles, le propos ne repose pas sur la construction d’un empire mais se contente d’une ambition plus intime liée au parcours de cet anti-héros sans cesse contraint de démontrer qu’il est capable d’assumer l’image qu’il renvoie.
Si le titre fait référence à la nuit, les séquences nocturnes sont pourtant bien restreintes. Malgré la lumière éclatante baignant les scènes en Floride, l’intervention du Ku Klux Klan et le destin tragique de Loretta Figgis, la fille du représentant de la loi local (impressionnante Elle Fanning), imprègnent les images d’une tonalité plus sombre. Il en va de même pour Coughlin, moralement tiraillé entre les actes violents qu’impose sa fonction et sa recherche du compromis capable de satisfaire tous les protagonistes du business.
Film après film, tout en perpétuant l'héritage classique de maîtres (Clint Eastwood, Sidney Lumet, Michael Mann, John Frankenheimer), Ben Affleck continue de creuser son propre sillon. Soignant ses images et son découpage, prenant le temps de poser son intrigue, il s'évertue à développer des thématiques en rapport avec la condition de ses personnages et leur champ d'action. Dans The Town, le personnage d'Affleck, Doug MacRay, était soumis à des traditions, à un héritage paternel à préserver. Un déterminisme social ici évacué puisque Joe, par ses actes, se détache de son père, haut gradé de la police de Boston. Néanmoins, sa disparition dans l’histoire est compensée par le père de Loretta (Chris Cooper) et les chefs de clans mafieux, autant de personnages incarnant trois figures paternelles conditionnant ses actions. Live By Night entretient ainsi d’étonnantes similitudes avec la deuxième réalisation de Ben Affleck et peut être apprécié comme un miroir. Pas seulement parce qu’il est aussi question d’un braqueur de Boston aspirant à une existence moins agitée en Floride. Là encore, il est question de la recherche d’une harmonie personnelle qui passe par l’amour, dans un premier temps, d’Emma puis de Graciella Suarez (Zoé Saldana). Mais cela se traduit également à travers le parcours de Loretta, la martyre de la luxure, qui, de retour à Tampa après son cauchemardesque voyage à Los Angeles, n’aura de cesse de prêcher pour une vie exempte de toute souillure morale et physique.
Ses interventions et sa place dans le récit convoquent alors une notion de rédemption qui infuse le reste du métrage mais ne sera pas pour autant une finalité. Non pas qu’elle sera intrinsèquement impossible mais inévitablement contrariée par la voie choisie par chacun des protagonistes. Ce qui importe véritablement pour Joe Coughlin est ce que Emma, Graziella et Loretta vont attiser au fond de lui. Trois femmes comme autant de muses dont le chant, tel celui des sirènes mythologiques, le séduit éperdument. En y cédant, il ne provoque pas sa perte mais déblaie un chemin vers une forme d’apaisement intérieur. Soit la possibilité d’un retour inespéré à l’équilibre, aussi bien personnel qu’en matière de justice et de rapports entre individus, même si les conséquences d’une vie tumultueuse lui interdiront tout sentiment d'achèvement. Soit les questions qui innervent la filmographie de Ben Affleck depuis ses débuts derrière la caméra et que l’on aurait tort de réduire à un point de vue moralisateur.
LIVE BY NIGHT
Réalisateur : Ben Affleck
Scénario : Ben Affleck d’après le roman de Dennis Lehane
Producteurs : Chay Carter, Dennis Lehane, Ben Affleck, Leonardo DiCaprio, Chris Brigham…
Photographie : Robert Richardson
Montage : William Goldenberg
Bande originale : Harry Gregson-Williams
Origine : États-Unis
Durée : 2h09
Sortie française : 18 janvier 2017