Les Derniers Parisiens
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- Critique par Nicolas Bonci le 2 mars 2017
Le crépuscule du soir
Les premières images montrent ces Derniers Parisiens slalomer entre les touristes prostrés sur le boulevard de Clichy. Si la plupart des locaux ignore ces amas inertes, d'autres comme Nas (extraordinaire Reda Kateb) semblent se demander ce qu'ils foutent là .
Après 24 mois de ballon, Nas entend malgré tout exploiter son territoire, qui se limite à la nuit et au Prestige, gentil rade de Pigalle géré par son frère Arezki (le parfait Slimane Dazi). Mais lui rêve de tranquillité, voire de se tailler au loin, et avec l'agent de probation de Nas.
Sur cet humble canevas, la clique de La Rumeur brode une chronique naturaliste à contretemps des œuvres "conscientes" siglées de "diversités" et autre label tout neuf (d'une industrie qui se prévaut pourtant depuis longtemps de sa diversité, bref). Par les tribulations d'une fratrie blessée et de leurs potes, Hamé et Ekoué ne dénoncent pas un quelconque système, rarement défini donc souvent figé, marais didactique menant à des produits tout aussi figées. Ils préfèrent claquer un regard désenchanté sur un mouvement, celui de la muséification de Paris, de sa gentrification et de la place de plus en plus réduite laissée aux gens.
Complexe et insaisissable en cent minutes, le phénomène n'appelait pas la frontalité de De L'Encre, leur mini-série de 2011 pour Canal+, charge contre l'industrie musicale et les baudruches d'agrément telle que leur slameur Diomède. De cet évitement résulte un maillage malin du quartier de Pigalle qui n'en est plus un (tout tient sur un morceau de boulevard), où coiffeurs, épiciers, boutiques et trottoirs font office d'agora impromptue pour les canailles du coin, laissant aux vestiges (les boîtes de malandrins, les bars à hôtesses, les bonneteaux) le rôle d'attractions désuètes pour touristes et marginaux. Sous l'œil de Lubomir Bakchev (qui éclaire les films de Julie Delpy et de Kechiche), cette autoscopie s'avère véritablement subversive, passionnante et vivante ! Tout paraît forcément plus vivant lorsqu'on prend le pouls de quelque chose qui bouge plutôt que le théoriser sous bocal. Faisant logiquement la part belle à la longue séquence, aux pistes inexplorées et à l'impro (parfois trop), les réalisateurs ne rechignent pas à ouvertement mettre en scène les lieux (porte dérobée pour passer la caméra, jeu de miroir pour les regards, train travelling, et ce superbe plan pivot du film où un Nas euphorique et un projecteur forment un stroboscope). Même lorsque le cadre se fait plus hésitant, l'énergie des personnages nous rapproche davantage du geste de cinéaste que du zoom d'ethnographe.
Film de caïds désarmés, Les Derniers Parisiens n'est pas une Å“uvre de rébellion mais d'extraction. Ici le rapport à l'argent n'est pas un reliquat de l'abrutissement néo-libéral, prétexte à consommer des objets sans valeur et vivre consommer Paris en touriste (Divines et cie). L'argent est un moyen, un moyen de fuir la capitale et sa banlieue (Arezki) ou de clamer son droit à vivre dans son quartier comme on l'entend (Nas). Cerné par les pigeons, Nas s'échine à les faire roucouler lors de soirées décalquant le monde qui les engendre (et les amener à casquer pour se faire prendre en photo devant un mur de sponsors. Terrifiant). Mais si Nas se demandait ce qu'il foutait là , c'est alors plus par acte manqué que par naïveté qu'il se retrouve le bec dans l'eau. Vient le moment du bilan pour les deux frères, et ce magnifique échange en panoramiques où s'intercale l'un des rares inserts du film : un plan sur des pigeons.Â
Lucides mais vaillants, nos derniers parigots pansent leur spleen de Paris, et "leurs pensées prennent maintenant les couleurs tendres et indécises du crépuscule".
LES DERNIERS PARISIENS
Réalisation : Hamé Bourokba & Ekoué Labitey
Scénario : Hamé Bourokba & Ekoué Labitey
Production : Hamé Bourokba, Ekoué Labitey, Benoit Danou...
Photo : Lubomir Bakchev
Montage : Karine Prido
Bande originale : Demon & Pepper Island
Origine : France
Durée : 1h45
Sortie française : 22 février 2017