Community + Rick And Morty
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- Série TV par Nicolas Zugasti le 11 novembre 2015
Feels good
Community et Rick And Morty sont deux séries très inventives pour formaliser via des personnages extrêmes un comique de situation dans lequel la pop culture est aussi nécessaire que célébrée.
Deux épisodes de leurs dernières saisons en sont emblématiques, il s'agit de Basic RV Repair And Palmistry pour la saison 6 des dingos de Greendale et Look Who's Purging Now, épisode 9 de la deuxième saison du rip-off de Doc et Marty.
Si chacune des séries ne ménagent pas leurs protagonistes, elles portent tout de même un regard compatissant envers leurs travers et leurs tourments. Et jouent remarquablement avec nos repères pour confronter les héros et les fans à de profonds bouleversements dans leurs habitudes. Cette inquiétude face au changement qui traverse les épisodes (valable également pour Rick And Morty, le premier épisode illustre le véritable but de Rick, faire perdurer le duo : "...Rick And Morty forever and forever a hundred years...") est un enjeu primordial reflétant les propres attentes des téléspectateurs qui, semaine après semaine, aiment retrouver des personnages familiers à l'évolution significative, mais pas trop. Or, Community et Rick And Morty ont très vite remis en cause le principe de restauration d'un environnement sécurisant en mettant à l'épreuve l'unité du groupe/duo comme l'unité narrative. Les délires meta-textuels, les épisodes concept et la création de timelines différentes menacent sans cesse de faire craquer la structure de Community tandis que Rick And Morty nous confronte à des règles spécifiques inhérentes aux mondes et dimensions visités où l'impasse ne peut être contournée que par la grâce d'une progression empirique durant laquelle les choix opérés font advenir le pire (Aurélien Noyer explique parfaitement ces mécanismes). A tel point que bien souvent la conclusion sera incroyablement radicale pour Rick et Morty avec, par exemple, la saisissante tentative de suicide de Rick (2x03 – Auto Erotic Assimilation), la destruction des clones du savant (2x07 – Big Trouble In Little Sanchez) et évidemment la fuite de leur monde "cronenberg-isé" pour une dimension où ils remplaceront leurs versions récemment décédées (1x06 – Rick Potion N°9).
Également en jeu, l'unité familiale qui doit formaliser un cadre où les héros peuvent se développer et se ressourcer. Pour Community et Rick And Morty, ce terme doit être entendu dans un sens métaphorique tant les véritables familles des personnages apparaissent dysfonctionnelles au possible avec relation au père problématique et conflits permanents. A noter que la seule fois où la famille Smith et le grand-père sont sur la même longueur d'onde c'est lorsqu'ils sont sous influence de parasites mentaux extra-terrestres (2x04 – Total Rickall). Le petit groupe de Greendale recompose ainsi une famille de cœur permettant d'atténuer leurs difficultés d'adaptation tandis que Rick et Morty forment un duo "seul contre le monde", ou "les mondes" vu leur propension à visiter planètes inconnues et dimensions parallèles.
Les événements permettent de cimenter leurs relations voire leur interdépendance tout en les confrontant à la fragilité de leur persistance. C'est éminemment le cas dans leurs dernières saisons respectives, la sixième pour Community, la seconde pour Rick And Morty, menaçant la composition du groupe/duo. Pour le comité de sauvegarde du campus, cela passe par le départ d'un membre historique de plus (Shirley après Pierce et Troy) et l'addition des nouveaux arrivants, Elroy Patashnick (Keith David) un créateur marginal d'univers vidéo et Francesca "Frankie" Dart (Padget Brewster) chargée par le doyen de tempérer les dépenses de l'établissement. Une rationalisation qui touche également les motifs narratifs habituels puisque Dean Pelton n'usera d'aucun déguisement excentrique et aucun épisode concept n'exacerbera la folie douce innervant cette université pas comme les autres (mais ce n'est pas pour autant que tout est sous contrôle). Il y a bien un retour du paintball (6x11 – Modern Espionage) mais la partie se développera de manière clandestine avant l'explosion du dernier acte, appuyant le ballottage constant de cette saison entre l'irrépressible envide de céder à ses démons et le désir d'accepter les directives de Francesca afin de progresser. Ce qui ne manquera pas de créer un certain sentiment de panique, notamment pour Jeff, quant au potentiel éclatement éclatement du groupe lorsque chacun aura trouvé sa voie.
Pour Rick et Morty, leur fonctionnement particulier sera chahuté par l'émergence de Summer, la sœur aînée du jeune garçon, en tant que possible et plus efficient compagnon de Rick. En tous cas, elle modifie indéniablement leur dynamique en intervenant plus fréquemment. De plus, la complicité et la complémentarité d'un ado apportant un contrepoint moral et ingénu au cynisme du savant fou seront largement rebattues : Rick, plus encore que dans la première saison, manipule sans vergogne son petit-fils (jusqu'à ses gênes, voir sa transformation dans le end tag de The Ricks Must Be Crazy). Les tentatives de Morty pour préserver les vies que Rick est prêt à sacrifier ou dont il n'a que faire entraînent des conséquences qui vont l'éprouver physiquement et psychologiquement.
Un parcours initiatique tortueux et torturé mettant à mal sa santé mentale comme l'illustre terriblement l'épisode 9 de la saison 2, Look Who's Purging Now. Parallèlement, l'épisode 10 de la sixième saison de Community, Basic RV Repair And Palmistry va tout aussi durement confronter notre groupe d'études à une perte de repères les propulsant au bord du précipice. Deux épisodes remarquables qui représentent chacun à leur manière un point de bascule décisif pour leurs héros.
TROIS SEMAINES PLUS TÔT
Incapable de réfréner ses pulsions de consommateur primaire très influençable (6x01 – Ladders et 6x07 – Advenced Safety Features), Dean Pelton a acheté sur Internet une main en plastique géante. Frankie est parvenue à trouver quelqu'un pour la racheter et voilà toute l'équipée en route dans le camping-car d'Elroy, la main sanglée sur le toit. Malheureusement, ils sont contraints à l'arrêt à cause d'une batterie défectueuse. En panne sur une route peu fréquentée, la situation va rapidement s'envenimer lorsque le doyen, déjà opposé à se séparer de cette main, va céder à la panique, provoquant des frictions avec les autres membres et à l'intérieur même du groupe. La maison roulante d'Elory, ce foyer peu conventionnel, symbolise alors parfaitement leur microcosme et le récit donne lieu à un bottle episode d'anthologie : pour reprendre le contrôle, Abed tente d'invoquer un flashback situé trois semaines plus tôt. Un méta retour en arrière qui ne résout rien puisque dans la diégèse Abed ne fait que stimuler un souvenir dont la modification n'entraînera aucune répercussion réelle. A son grand dam. La vie d'Abed est structurée en fonction des codes et références qu'il maîtrise et évoque perpétuellement. Cette interdépendance entre imaginaire et réalité illustre la nature du lien qui l'unissait à Troy et le définit par rapport aux autres. Ici, il est comme Dean Pelton, en totale perdition. Logique que les deux se retrouvent sur toit du camping-car pour palabrer (et tenter d'inverser la situation de manière à la fois hilarante et touchante) puis que ce soit l'intervention d'Abed qui convainc Pelton d'ouvrir la porte du véhicule dans lequel il a fini par se retrancher seul, au bord de la crise de nerfs.
Et c'est Frankie qui parvient à faire retrouver ses esprits à Abed complètement obnubilé par le contrôle du flashback. Non pas en le secouant physiquement comme Jeff mais en s'adaptant à son jeu : Francesca contourne l'impasse en faisant jouer à Abed un flash-forward dans le futur, seule façon de solutionner le passé (donc leur présent).
C'est donc l'Americano-pakistanais qui délivre le Jeff speech (un transfert qui sera une constante dans cette saison 6, chaque membre du groupe prenant la parole à la manière de l'avocat tout en conservant sa spécificité, preuve de leur connivence et même de leur communion absolue) : “I have discovered the meaning of the giant hand. A hand has two functions; to grip and to release. But without both of these powers it is useless. Like newborn infants we grab what comes near us. Hoping to control it, taste it, jam it into another child's eye. But the time we spend in control of our world is the time we spend letting go of others. Ideas, stories, pride, girls in soft sweaters, video games, buttered noodles... Grip one for too long and you lose so much that you've never held. This giant hand was sent to all of us as an invitation to increase our mastery over the power to hold on...and let go.”
Un des discours les plus inspiré de la série, qui synthétise parfaitement cette saison et sans doute aussi l'état d'esprit de Dan Harmon face à sa création.
Le pouvoir de saisir à des fins de contrôle ne peut se départir de celui de relâcher la pression, les ressentiments. Un lâcher-prise qui s'adresse au Dean puis à au reste de ses amis lorsqu'il se tourne vers eux et qui, bien évidemment, lui est prioritairement destiné. Soit accepter qu'on ne puisse pas tout rembobiner ou monter comme on le voudrait.
Dans le fantastique avant-dernier épisode de la saison 2 de Rick And Morty, Look Who's Purging Now, Morty va lui aussi être durement confronté à son incapacité à influer les événements selon son mode d'action et de pensée usuels. Mais lorsqu'il se laissera aller, ce sera de manière on ne peut plus extrême. En panne de produit lave-glace pour nettoyer le pare-brise de leur soucoupe, Rick et Morty rejoignent la première planète à proximité et font la connaissance d'habitant affables qui une fois l'an purgent leurs plus bas instincts en recourant au meurtre et au massacre en toute impunité. Soit, comme le fait remarquer avec enthousiasme Rick, un remake du film The Purge (American Nightmare en français (sic)). A noter que les habitants de cette planète sont des félins humanoïdes, Roiland et Harmon s'amusant du contraste avec les chats des vidéos YouTube rivalisant d'actions toutes plus mignonnes. Mais alors qu'ils ne doivent être que de fugaces spectateurs, Morty incite Rick à intervenir lorsqu'une jeune féline en détresse est acculée, prête à être massacrée.
C'est le début des ennuis pour le duo qui devra prendre une part plus active dans ce sanglant festival. Soumis à l'énorme pression des situations périlleuses traversées aux côtés de Rick depuis le début de leur collaboration, ainsi que de ses frustrations sexuelles, Morty va ici littéralement péter un plomb. Sa raison commence à vaciller lorsqu'il doit endurer le récit poussif du script écrit par le gardien du phare qui a accepté de les accueillir. Un scénario dont l'action se situe trois semaines plus tôt...
Dans Basic RV Repair And Palmistry, Jeff montre des signes d'agacement face l'habituel délire méta d'Abed et perd surtout patience lorsque ce dernier fait part de la nécessité pour eux de recourir à ce genre de flashback. A travers diverses figures, Harmon exprime son désarroi face à ce procédé narratif privilégiant la facilité au détriment du développement du récit.
PULSIONS
Morty perd ses nerfs lorsque son hôte lui reproche d'avoir exprimé avec honnêteté son opinion sur son histoire. Morty est surtout excédé par sa fonction et, en poussant le gardien dans les escaliers, montre qu'il refuse désormais son rôle de garçon tempéré, gentil, tentant de satisfaire et ménager tout le monde. Et c'est une fois revêtu de la combinaison spéciale créée par son grand-père qu'il va définitivement libérer sa rage. On ressent alors l'énorme frustration accumulée par les règles de Rick qui vont à l'encontre de sa nature bienveillante. Le déchaînement de violence qui s'ensuit est d'autant plus perturbant que l'on voit Morty éructer de rage sur la chanson Feels Good de Tony Toni Tone.
Le contrepoint formé par cet air cool fonctionne à deux niveaux, soulignant la satisfaction de se laisser-aller mais questionnant la sensation de bien-être censée en résulter. D'autant qu'un peu plus tard, Morty s'acharne sur les cadavres de pauvres hères qui cherchaient seulement à se cacher. Le climax montre un autre massacre (toujours sur Feels Good) s'abattre sur cette fois sur la caste des privilégiés ayant fomenté cette purge annuelle comme moyen de contrôle de la population. Dans ce contexte de violence généralisée, cette rétribution vengeresse apparaît plus justifiée, en tous cas plus justifiable, mais remet néanmoins en cause le degré d'appétence pour ce genre d'exactions. La tuerie n'en est pas pour autant plus jouissive.
Ce récit à la progression extatique se conclut par ce qui semble être un changement durable : les responsables de la purge éliminées, cette dernière n'a logiquement plus lieu d'être et les habitants peuvent reconstruire des relations plus saines. Mais à peine le vaisseau de Rick et Morty parti, tout recommence à dégénérer à vitesse grand V, ce qui les incite à reconsidérer l'idée d'une purge une fois par année... Un caustique final d'une grande noirceur, comme dans la plupart des épisodes de cette seconde saison mémorable, qui souligne le caractère fragile et biaisé de l'entente des deux héros.
En toute fin d'épisode, Rick fait croire à Morty que sa folie meurtrière était due à l'ingestion d'une barre de Yummy' Yums contenant du "purgenol". Or, le plan final sur cette confiserie montre l'absence de cette molécule néfaste. Le garçon n'est pas encore prêt à accepter, et donc contrôler, sa part d'ombre. Par ce mensonge, le grand-père fait preuve d'un peu de mansuétude envers son petit-fils (toute la saison verra une évolution du caractère de Rick, montrant plus d'intérêt, voire même de compassion pour les Smith) dont il ne veut pas traumatiser l'innocence, leur dynamique ayant besoin de la bienveillance naturelle de Morty, pour ne pas dire sa naïveté. Autant dire que le pauvre garçon n'a pas fini d'en baver ("...Rick and Morty forever, forever a hundred years...").
Community et Rick And Morty ont certes des confections diamétralement opposées mais s'appuient sur des personnages aux aspirations pas si éloignées dans lesquelles le téléspectateur peut se retrouver et se projeter. Leurs délires caustiques et iconoclastes ne sont que désopilants, ils ont également pour enjeu l'initiation de leurs personnages, et par extension de leur audience, pour accepter que tout n'aille pas forcément pour le mieux.
Avec ces deux saisons vraiment étonnantes, Dan Harmon et ses auteurs nous promènent bien souvent sur le bord du précipice séparant le rire du plus profond désespoir. Car après que chacun ait tenté de contrôler tous les tenants de son existence sans jamais y parvenir, il sera temps de laisser aller.
RICK AND MORTY 2x09 – LOOK WHO'S PURGING NOW
Showrunner : Dan Harmon
Réalisateur : Jay Chandrasekhar
Scénario : Dan Harmon & Dan Guterman
Producteurs : Dan Harmon, Chris McKenna, Andres Andrade, Jake Aust, Jason Ramos…
Photo : Buzz Feitshans IV
Montage : Ruthie Aslan
Musique : Ludwig Göransson
Pays : USA
Durée : 26 minutes
Diffusion : 12 mai 2015
Network : Yahoo
COMMUNITY 6x10 – BASIC RV REPAIR AND PALMISTRY
Showrunner : Justin Roiland & Dan Harmon
Réalisateur : Dominic Polcino & Pete Michels
Scénario : Justin Roiland, Ryan Ridley & Dan Harmon
Producteurs : Justin Roiland, Ryan Ridley, Dan Harmon, Dan Guterman, Delna Bhesania…
Montage : Lee Harting & Ken MacKenzie
Musique : Ryan Elder
Pays : USA
Durée : 23 minutes
Diffusion : 27 septembre 2015
Network : Adult Swim