Kingsman : Services Secrets

L'espion que j'aimais

Affiche Kingsman: Services Secrets

"J’ai fait Kingsman car notre monde a besoin de héros". Ainsi Matthew Vaughn résume la note d’intention de son dernier long-métrage : renouer avec une conception de l’héroïsme quelque peu oubliée.


Peu de temps après la sortie de son premier film, Layer Cake, Vaughn accepte la proposition de Barbara Broccoli de mettre en images Casino Royale. Vingt-quatre heures plus tard, la productrice se rétracte et jette son dévolu sur Martin Campbell. Une déception pour le réalisateur britannique qui considère L’Espion Qui M’Aimait de Lewis Gilbert comme l’une des origines de sa vocation de cinéaste.
Durant la production de Kick-Ass, Vaughn se lie d’amitié avec le scénariste Mark Millar. Au cours d’une soirée dans un pub, le réalisateur fait part à ce dernier de son désarroi face à la "dark and gritty attitude" d'icônes de la pop culture comme Batman ou James Bond. Suite à cette conversation, Millar se lance dans la conception du comic book Kingsman. Auréolé du succès de X-Men : Le Commencement, Vaughn abandonne sa suite directe pour mettre en images la bande dessinée de son ami.

Kingsman: Services Secrets

L’introduction de Kingsman, qui voit l’échec d’une opération menée par l’organisation éponyme, et l’apparition de crédits humoristiques qui n’est pas sans rappeler le fictif Jack Slater IV de Last Action Hero, laissent place à une scène d’action se concluant sur l’iconisation d’un agent secret au destin tragique. Ainsi est annoncé ce qu'est le projet Kingsman : renouer avec l’imagerie du récit d’espionnage britannique des sixties via le prisme du décalage. Qu’il s’agisse des bases secrètes, des jeunes cadors, des costumes, du bad guy entouré d’assistantes, de la musique rétro, tout l’univers du film renvoie aussi bien aux James Bond glorieux période Connery et Lazenby qu’à la trilogie Ipcress avec Michael Caine en passant par Les Sentinelles De L’Air ou Chapeau Melon Et Bottes De Cuir. Loin de se reposer sur son pastiche visuel et narratif (La Batailles Des Planètes de Hisayuki Toriumi est directement cité), Vaughn et sa scénariste attitrée Jane Goldman transposent astucieusement les codes anachroniques de cette époque dans le quotidien des années 2010 : l’appauvrissement des ressources naturelles remplace la peur nucléaire de la Guerre Froide, le scientifique machiavélique aux soldes d’une organisation terroriste laisse place à un riche philanthrope expert des réseaux sociaux... Des choix qui inscrivent Kingsman dans son époque sans renier son héritage, jouant la carte de la satire à l’égard des puissants, complices d’une apocalypse à venir et n’hésitant pas à négocier leur survie sur le dos de la population mondiale.

Si cette thématique reste assez "simpliste", son traitement sarcastique et léger lui évite une certaine lourdeur propre à d’autres productions contemporaines. La force et la singularité de Kingsman se situent davantage dans ses personnages, notamment son protagoniste principal. À l’instar du récent Jupiter Ascending et de sa femme de ménage appelée à une destinée aristocratique, le jeune voleur des quartiers pauvres de Londres Gary "Eggsy" Unwin (Taron Egerton), fils d’une légende de l’espionnage, reste l’ultime espoir de l’humanité. Tout comme Jupiter Jones, ce sont ses aptitudes héritées de son milieu défavorisé qui lui permettent de prouver sa vraie valeur face à d’autres appelés plus aisés. L'initiation par son mentor Harry Hart, brillamment interprété par un Colin Firth qui fait preuve d’un réel charisme dans les réparties comme dans l’action, appuie l’analogie avec le mythe arthurien (Cf. les noms de code des Kingsmen) sans souffrir d’une distanciation malvenue. Alors qu’une grande partie des productions actuelles désacralise leurs héros sur l’autel de l'humour "méta" ou du "réalisme", le film de Vaughn prend le chemin inverse, s'engageant dans un esprit décalé pour déboucher sur des considérations beaucoup plus sérieuses. La confrontation entre Valentine (Samuel L. Jackson dans un rôle initialement prévu pour DiCaprio) et Hart débute ainsi sur le ton de la parodie avant de verser dans la mélancolie des rêves d’enfance quant au monde de l’espionnage et sur leurs parcours opposés.

Kingsman: Services Secrets


Vaughn, qui estime qu’une scène d’action se doit de raconter une histoire en elle-même, a refait appel à Bradley James Allan pour ses nombreux morceaux de bravoures. Ancien assistant de Jackie Chan, collaborateur attitré d'Edgar Wright et Guillermo del Toro, présent sur Avatar et Les Aventures De Tintin, Allan explore à nouveau les variations chorégraphiques autour de la "danse de l’homme ivre" déjà remise au goût du jour par ses soins avec Le Dernier Pub Avant La Fin Du Monde. Son travail est valorisé par la mise en scène quasi "tridimensionnel" d'un Vaughn exploitant au mieux son budget de quatre-vingt-un millions de Dollars : raccord sur des reflets, surcadrages, importante courte focale, et des excès rejouant le meilleur de On Ne Vit Que Deux Fois et Au Service Secret De Sa Majesté culminant dans un climax au décor digne de Ken Adams. Le jeu de la citation amène le jeune protagoniste lors de ce final à assumer pleinement son statut d'héros de fiction, puis de mythe. Si le cinéaste n'y fait pas preuve de la maitrise d'un Brad Bird, il témoigne cependant d’un amour similaire envers ses personnages et le genre dépeint, genre qui lui a permis de réaliser ses rêves de gosse.
Ce qu’appuie la dédicace finale : cette citation faisant écho au propre passé du cinéaste, il n’est pas impossible de voir en Gary le double fictionnel de Vaughn, ce qui pose Kingsman comme son œuvre la plus personnelle. Qu'elle résulte d'un désir de revigorer un traitement pulp, pop et héroïque considéré comme désuet lui confie le lustre de la profession de foi.




KINGSMAN: THE SECRET SERVICE
Réalisation : Matthew Vaughn
Scénario : Matthew Vaughn & Jane Goldman d'après le comic book de Mark Millar & Dave Gibbons
Production : Matthew Vaughn, David Reid & Adam Bohling
Photo : George Richmond
Montage : Eddie Hamilton & Jon Harris
Bande originale : Henry Jackman & Matthew Margeson
Origine : Grande-Bretagne
Durée : 2h09
Sortie française : 18 février 2015