Lovely Bones
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- Critique par Guénaël Eveno le 16 février 2010
Un ange passe
Déjà quatre ans que King Kong a disparu des écrans, des vacances méritées, quelques promesses de rééditions manquées pour ses classiques, un petit coup de pouce à la génération montante via la production par le sympathique District 9. Mais réjouissons nous, Peter Jackson is back in town.
En préparation du deuxième Tintin dont la sortie est prévue en 2012 et de la production de Bilbo Le Hobbit (réalisé par Guillermo del Toro), on aurait pu penser que Lovely Bones n’était qu’un film de transition pour un Peter Jackson besogneux déjà embarqué vers une nouvelle décennie faste. Mais c’était mal connaître le bonhomme qui ne peut s’empêcher de s’approprier ce qui lui tient à cœur, ici le best seller de Alice Sebold, La Nostalgie De L’Ange pour nous autres français. On y suit Susie Salmon, une adolesçante de 14 ans au cœur des années 70, passionnée par la photo, choyée par sa famille. Jusqu’au jour où le voisin l’attire dans son repaire et latue. Elle se retrouve alors propulsée dans un paradis merveilleux qui ne lui fait pas oublier les siens, ni que son meurtrier rôde toujours.
A l’instar du magnifique Créatures Célestes avec lequel Lovely Bones ne manquera pas d’être comparé, Peter Jackson s’aventure sur le terrain d’un crime horrible en choisissant cette fois le terrain de la victime. On se doutait que face à un tel sujet, il devrait abandonner l’humour noir qui ponctue ses films et qui ne manquait pas dans son exploration de l’histoire de Pauline Parker et Juliet Hulme. Les premiers choix de Jackson et de ses co-scénaristes Fran Walsh et Phillippa Boyens sont d’abord désarçonnant, privilégiant des moments ne reconstituant pas le sel de ceux décrits dans le roman.Puis ils choisissent d’éluder le viol là où il était parfaitement décrit et ressenti comme tel. Un choix d’autant plus étonnant de la part de l’homme qui a su montrer sans détour l’horreur du matricide ou le meurtre de Déagol par son cousin dans Le Retour Du Roi. On retrouve pourtant la même tension froide et interminable qui conduit au crime de Créatures Célestes dans ce moment où l’agneau se dirige immanquablement dans l’antre du loup et que l’inévitable se produit. Le montage alterné nous montre le lien avec le foyer (la famille est à table) qui se brise peu à peu, jusqu’à ce qu’il disparaisse pour nous enfermer avec Suzie. La voici désormais entre les mains de l’homme qui va la tuer, et il n’y a plus d’échappatoire. Le meurtre ne sera pas une plus grande souffrance, tellement peu qu’un doute perceptible surgit de par la soudaineté de son décès.
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Les repères spatiaux de Susie se brisent. Elle se retrouve face à son meurtrier qui se repaît de son action. Nous voilà face à la réalité en même temps que l’héroïne dans une scène magistrale qui emprunte beaucoup au passé horrifique du réalisateur. Qui y a-t-il de pire pour une adolescente de 14 ans que de perdre ses repères ? Peut-être la mort. C’est dans un cri tétanisant que Suzie réalisera ce qui c’est réellement passé, l'irréversible. La relative sobriété du métrage se transforme alors en un film qui fait voler les repères spatiaux et temporels, brillante idée pour une représentation cinématographique de l’entre-deux du roman, ce lien ténu entre le paradis et la Terre, première réussite de Jackson sur un point où beaucoup se seraient cassés les dents. Il déconstruit les lieux, instaure une temporalité différente entre le réel et le parcours de Suzie dans son paradis, dégage un climat flottant et incertain entretenu tout du long du film par la bande originale envahie par l’ambiant de Brian Eno. Lovely Bones transporte le spectateur au-delà des repères classiques, recadrant pour un nouveau médium ce qui n’était principalement qu’une succession d’émotions et d’instantanées que le roman parvenait à diffuser sur plusieurs années. Suzie partage encore des lieux, mais surtout des relations. Dans cette anarchie temporelle et spatiale, ce que Jackson a réussi de plus beau est ce lien inaltérable entre la fille défunte et son père. Ainsi même dans son paradis, elle partage avec lui une connexion que Jackson parvient à exprimer sans aucun mot, à l’aide de la grammaire cinématographique la plus élémentaire (des champ contrechamps de l’un à l’autre), de divers accessoires renvoyant à des souvenirs communs (le pingouin, les instantanés qu’elle lui a légués) ou à une symbolique particulière (la bougie). Chacun dans un monde, mais définitivement liés, l’occasion de partager des scènes merveilleuses, un des ciments du roman, devient la sève du film en une poignée de scènes bouleversantes. Ces scènes compensent à elles seules le relatif abandon du personnage clé de Ruth, la jeune lycéenne fascinée par les morts.
Les choix du réalisateur ne font que peu apparaître les lovely bones qui ponctuent pourtant le speech final de Susie, tous ces liens tissés en conséquence de sa mort. S’il choisit de peu les traiter, ils sont placés en filigrane au détour d’une scène (à la manière de relation Faramir / Eowyn dans Le Retour Du Roi) ou perceptibles dans le jeu des acteurs. Même s'il ne peut s’empêcher de s’exciter sur les figures pittoresques, tel la mamie cocasse jouée par Susan Sarandon ou la silhouette terrifiante de Stanley Tucci, c’est avec une finesse étonnante que Jackson dépeint les membres de la famille de Suzie. Cette dernière est l’adolescente qu’il cherche à immortaliser, virevoltante, changeante, pleine de vie. Saoirse Ronan ne fait qu’une avec la caméra de Peter Jackson. Son cinéma emprunt de vitalité et d’exubérance cadre lui-même à merveille avec la vision d’une adolescente de 14 ans. S’il abandonne certains thèmes, Jackson se saisit d’autres qu’Alice Sebold avait noyés au cours de ces chapitres. Ainsi la punition de George occupe une place toute choisie dans l’ossature du film là où il n’était qu’une conclusion parmi d’autres. Logique tenant du choix effectué au final, à la fois fidèle à l’oeuvre et nécessaire dans sa volonté de compacter le temps du récit pour donner plus d’impact au climax.
Dans la progression de Lovely Bones, le réalisateur revient par échelon à l’expressionnisme émotionnel auquel il nous avait habitué depuis Le Seigneur Des Anneaux. Ce climax imprévisible qui pourra passer pour du sentimentalisme mal placé chez qui ne goûte point les blockbusters du Néo-Zélandais, est en fait la parfaite fin pour son personnage, la seule qui permette à l'adolescente de réellement s’accomplir. Il nous rappelle en conclusion que Susie Salmon est comme ce pingouin coincé dans ce paradis enneigé. Elle sera à jamais un instantané, une photographie de ce qu’elle était à 14 ans dans la douceur ouatée de l’adolescence. Mais elle sourit. Elle n’a fait que passer, et elle nous souhaite une merveilleuse vie. Son histoire est un film qui ne ressemble à aucun autre, une expérience pleine et entière qui prouve que Peter Jackson est encore le plus à même de nous captiver et nous émouvoir.Â
LOVELY BONES
Réalisateurs : Peter Jackson
Scénario : Peter Jackson, Frances Walsh & Philippa Boyens d’après le roman d'Alice Sebold
Production : Peter Jackson, Carolynne Cunningham, Frances Walsh, Tessa Ross, James Wilson, Steven Spielberg…
Photo : Andrew Lesnie
Montage : Jabez Olson
Bande originale : Brian Eno
Origine : Nouvelle-Zélande, USA, Angleterre
Durée : 2h08
Sortie française : 10 février 2010