The Driver
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- Rétroprojection par Nicolas Zugasti le 10 avril 2017
Héros de conduite
Walter Hill, le franc-tireur du Nouvel Hollywood à la carrière bien remplie (et toujours active), est surtout reconnu pour les cultes 48 Heures et Les Guerriers De La Nuit. Pourtant, son deuxième long est peut-être le plus remarquable.
Assistant-réalisateur sur L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison, Bullitt de Peter Yates ou Prends L’Oseille Et Tire-Toi de Woody Allen, scénariste de Guet-Apens de Sam Peckinpah, Hill avait une bonne connaissance du milieu lorsqu’il se lance dans la réalisation en 1975 avec Le Bagarreur, mettant en vedette Charles Bronson et James Coburn. Un premier essai concluant, grâce notamment à l’interprétation sans failles de Bronson, qui lui ouvre les portes d’Hollywood. Humble artisan, Hill enchaînera les films sans déchaîner d'enthousiasme, hormis 48 Heures et Les Guerriers De La Nuit donc, mais fera preuve d’une redoutable efficacité grâce à un classicisme hérité des Aldrich, Fuller ou Huston au cours de ses cinq décennies d'activité (même si sa production à partir des années 90 est plus éparse et moins tranchante, avec tout de même les sympathiques Dernier Recours, Les Pilleurs ou Un Seul Deviendra Invincible, compensant par une implication accrue dans quelques séries télé comme Les Contes De La Crypte ou Deadwood).
Sa meilleure période reste le début de sa carrière avec quelques perles oubliées comme Le Gang Des Frères James, Sans Retour, Les Rues De Feu et bien sûr The Driver. Ce dernier peut même apparaître comme un cas à part dans la filmographie de Walter Hill tant le style détonne. Déjà adepte d’un découpage précis et sans fioriture, Hill dégraisse ici jusqu'à l’abstraction : les rues de Los Angeles sont étrangement vides, l’épure du métrage se reflète dans l’absence de patronyme pour ses personnages principaux, désignés uniquement par leur fonction. Le Chauffeur (Ryan O’Neal dans un rôle d’abord destiné à Steve McQueen) est un spécialiste de la conduite échevelée engagé par des malfrats pour quitter les lieux de leur méfait le plus rapidement possible. Il est inlassablement poursuivi par Le Flic (The Detective en VO), formidable Bruce Dern toujours sur la corde raide, qui va jusqu’à contraindre une autre équipe de gangsters à lui tendre un piège. Ce duel entre deux protagonistes très semblables est parasité par La Joueuse (The Player, interprétée par Isabelle Adjani), femme fatale témoin du dernier casse. La caractérisation minimaliste du trio telle que consignée par Hill dès la première page de son script est remarquablement traduite à l'écran par une mise en scène sèche, presque atone, définissant avec précision leur relation sans que nous connaissions les détails de leur background.
A l’origine de la création du jeu vidéo Driver (1999) de Martin Edmondson, source d’inspiration prégnante du Drive de Nicolas Winding Refn, The Driver a également infusé le premier long-métrage cinéma de Michael Mann, Le Solitaire (1981) par son ton, son ambiance et ses personnages (Franck et Le Chauffeur, bien que mus par des objectifs différents, se rapprochent dans leurs attitudes économes en mots). Plus récemment, le film de Walter Hill a servi d’étincelle au Baby Driver d’Edgar Wright.
Thriller, polar, film de casse, The Driver est un peu tout cela mais il se distingue avant tout par le jeu du chat et de la souris qui anime l’as du volant et le policier lancé sur ses traces. Deux loups solitaires principalement animés par une relation conjuguant respect et animosité, qui ne semblent s’épanouir que lorsque l’action de l’un doit entraîner une réaction de l’autre. Le duel vire carrément à l’obsession pour Le Flic qui utilise et insulte ses coéquipiers pour arriver à ses fins. Irascible envers ses collègues, envers les bandits qu’ils tentent de manœuvrer pour attirer Le Chauffeur dans un piège, Le Flic ne semble apaisé qu’en présence de ce dernier, comme si son plaisir résidait avant tout dans cette chasse ludique et tant pis si la proie parvient in fine à s’échapper. Voir cette drôle de séquence finale où Le Flic et un bataillon d’uniformes apparaissent comme par enchantement pour enfin débusquer Le Chauffeur.
Western urbain déroutant et envoûtant, The Driver cale son rythme sur deux superbes séquences d’action automobiles, même si elles n’égalent pas celles de French Connection, Bullitt ou Police Fédérale Los Angeles (mais qui pourra un jour rivaliser ?), leur l’objectif n’étant pas forcément d’en mettre plein la vue. Elles encadrent le récit pour établir la symbiose du Chauffeur avec la ville. Pratiquant une ascèse, un mutisme et une rigueur évoquant Jef Costello dans Le Samouraï de Melville, Le Chauffeur se définit principalement par le véhicule qu’il conduit et maîtrise à la perfection, adoptant sa froideur mécanique, les deux entités fusionnant pratiquement (impression renforcée par l'absence totale d'émotion derrière le volant). Pour échapper à la police, Le Chauffeur s’enfonce ainsi dans le moindre recoin pour disparaître. Lorsque qu'il pourchasse, il lui faut quelques instants pour immobiliser sa victime. Du reste, la dilatation du temps est un enjeu de ces séquences à la durée inhabituelle : que la poursuite s’éternise et que Le Chauffeur parvienne malgré tout à ses fins (le temps joue pour lui) illustrent sa maîtrise de l’environnement et des trajectoires qu’il y dessinent. D’autant que les inserts de ses actions participent à la fluidité du découpage, soulignant un peu plus sa mainmise sur le film.
De ces deux séquences pivots, la première est la plus classique dans son déroulé, mettant en branle le régime spectaculaire du genre. La deuxième, nettement plus longue, verse dans le suspense avec un cache-cache original entre deux tires dans un entrepôt. Mais les deux se distinguent par une ambiance sonore dont est absente la moindre musique intra ou extra-diégétique. Seuls les tôles froissées, sirènes, klaxons et crissement de pneus rythment une bande instaurant une dimension quasiment onirique. Ce que l'épatante dilatation de la deuxième poursuite et la conclusion ironique de The Driver accentuent à merveille !
THE DRIVER
Réalisation : Walter Hill
Scénario : Walter Hill
Production :Â Lawrence Gordon & Frank Marshall
Montage : Tina Hirsh & Robert K. Lambert
Photo : Philip H. Lathrop
Musique : Michael Small
Origine : USA
Durée : 1h31
Sortie française : 23 août 1978