Le retour de l'asiaxploitation

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Affiche Les Seigneurs de la Guerre

L'année 2009 marquerait-elle le retour fracassant de la sinoxploitation en France, avec ces films asiatiques charcutés pour le marché international et des distributeurs peu soucieux de respecter l'intégrité artistique ?


Pour les cinéphiles, c'est forcément une situation scandaleuse qui témoigne du mépris affiché des distributeurs cherchant à tout prix à remplir leurs caisses. Des réactions cinéphiliques simplistes qui démontrent à quel point cette audience baigne dans une vision fantasmée du cinéma sans connaître les réalités actuelles.


LARD
Le cliché admis dans la tête des cinéphiles en France, c'est qu'un réalisateur décide un beau jour de faire un film pour la beauté de l'Art. C'est seul qu'il compte réaliser son film d'auteur. Que la presse viendra alors décrypter, (psycho)-analyser lors de sa sortie pour l'oublier deux jours plus tard.
Rappeler que le Cinéma c'est aussi et surtout une industrie c'est, du moins en France, rabaisser l'Art au rang d'un vulgaire produit de consommation à destination des masses populaires. Les cinéphiles préfèrent donc vanter le produit culturel sans sourciller devant la présence du mot produit. Après tout, ce n'est pas comme si un film était fait pour être vu par le plus grand nombre.

Et quand un public nourri au culte de l’auteur rencontre des cinémas ouvertement commerciaux, il demeure sur ses positions en oubliant qu’un Chang Cheh et un Kenji Misumi servaient une industrie qui bouclait les films en quinze jours dans les meilleures périodes. Aujourd’hui, la plupart des réalisateurs asiatiques sont passés d’artisans à hommes d’affaires.

Ce cliché vérifiable à chaque instant sur n'importe quel forum du Net donne une bonne idée de la difficulté d'associer cinéma à industrie chez des spectateurs consacrant le résultat dit artistique. Il faut dire qu'à l'exception de previews promotionnelles, la presse française n'accorde pas d'importance aux étapes de production d'un film : savoir comment un film se fait reste anecdotique.
Ainsi lorsqu'un film asiatique arrive en France dans une version internationale remontée, les spectateurs appellent à la censure sans jamais interroger le film en amont, ni même leur propre considération du cinéma.

Daiei Studio
Daiei Studio : derrière ces murs, des films d'auteurs, comme Gamera



LA MACHINE ASIATIQUE
En amont, les producteurs sont beaucoup moins complexés quant à la réalité du cinéma. En Asie comme ailleurs, il s'agit de rentabiliser cet investissement artistique. Faire du cinéma commercial n’est pas un problème métaphysique. Mais à la différence de l'Occident, l'Asie reste culturellement isolée. Alors que la pire série américaine pourra connaître une exploitation mondiale, difficile de dire la même chose pour la plupart des pays asiatiques. Combien de J- dramas - séries japonaises - sont visibles à des heures de grande audience sur des chaînes hertziennes ? Zéro ?

Une situation bien heureuse pour un producteur asiatique, il dispose d'un marché international à conquérir. Une réalité que les réalisateurs ont aussi totalement intégrée. Un fait que certains réalisateurs ont totalement compris. Mais ce n'est pas tout de vouloir exporter des films, il faut encore pouvoir intéresser des acheteurs. C'est dans cette optique qu'on se retrouve dans le cas de grandes productions avec plusieurs montages adaptés à différents pays. Par exemple, garder en vie des acteurs selon leur popularité dans différents pays asiatiques, couper les scènes humoristiques lourdes pour l'Occident ou encore des références historiques trop spécifiques. À cela, il y a aussi des raisons plus pratiques concernant la diffusion des films, un format 90 minutes reste plus adapté aux diffusions salles et TV.

Ces pratiques ne touchent pas l'ensemble de la production des pays asiatiques, mais plutôt les films représentant un certain "pari financier". À l'exemple d'un grand spectacle épique chinois comme Les Trois Royaumes.


CINÉMA ASIATIQUE : ÉCHECS ET MAT
Pour les distributeurs étrangers, les versions internationales assurent un "meilleur degré d'exigence par rapport au produit acheté". Effet renforcé dans un contexte de crise, et d'un désintérêt grandissant du public envers le cinéma asiatique.
En France, que ce soit au niveau des sorties salles et DVD, les distributeurs et éditeurs établissent un même constat. Majoritairement, on parle de déception voire de flop. En cette moitié d'année 2009, la distribution salles de films asiatiques a été divisé de moitié, avec moins de sorties classiques, films intimistes coréens et plus d'inédits grand public soutenus par des campagnes promo nationales.

En dépit de cette volonté de toucher une large audience, les résultats déçoivent. The Chaser, plus grand succès coréen 2008 attire seulement plus ou moins 55 000 spectateurs. Quand Les Trois Royaumes sort en France, le film continue de faire un ravage aux box-offices asiatiques. Ici, il finira par faire dans les 550 000 spectateurs. Pourtant jusqu'ici, la fréquentation des salles 2009 est meilleure que l'an passé.

On assiste alors à une situation paradoxale : des films asiatiques recevant un traitement promotionnel normal avec version adaptée au marché local (dans le cas du film de John Woo) n'arrivent toujours pas à rencontrer leur public. En dehors des questions de diffusion (entre 50 et 80 salles en petite moyenne) et de la qualité de la sélection des films,
le cinéma asiatique traverse une période creuse. Seuls quelques films visant un public bien spécialisé parviennent à marcher, comme Still Walking de Kore-Eda ou Ong Bak 2 façon EuropaCorp.
Rappelez-vous en 2005, Jean-Pierre Dionnet disait fièrement vouloir remplir les rayonnages asiatiques des magasins DVD en France. Moins de trois ans plus tard, les spectateurs ont déserté ces rayons désormais bien remplis, lassés de tomber à chaque fois sur des purges. L’inondation du marché par les éditeurs marque l’apogée d’une politique fatale où la quantité a primé sur la qualité. Une politique tellement efficace qu’elle a contribué à refroidir l’intérêt des spectateurs pour quelques années.

Dans l'état actuel, les versions courtes proposent un meilleur rapport qualité / résultat, permettant au moins aux films d'être distribués.
Aussi, faut-il rappeler que ce phénomène reste mineur, l’accumulation récente de versions courtes en France donne une fausse idée de la situation.
Oui, mais il reste la fameuse question de l'intégrité artistique !

Ong Bak 2
"T'es bête ou quoi ?", c'est ce qu'entendent les spectateurs pendant Ong Bak 2. Besson aime la subtilité c'est son dada



DANS LES HAUTEURS CANNOISES
Festival mondialement réputé, sommet de l'intégrité artistique et de la funeste politique des auteurs, Cannes commence pourtant à accumuler des choix douteux. Cette année, alors que la majorité du public s'interrogeait sur les liens existant entre la présidente du jury et le grand vainqueur de la Palme d'Or, personne n'a remarqué  que 90% des films asiatiques sélectionnés en compétitions étaient... des co-productions françaises. Dont certaines ont été bien sûr récompensées. Comme le souligne l'e-zine Ecrans d'Asie, de plus en plus de réalisateurs asiatiques cherche des co-producteurs français en sachant que c'est un pont d'or dans le monde des auteurs internationaux. À croire que la politique des auteurs est un vrai bordel, dans tous les sens du terme.

La sélection cannoise est tellement importante que le festival fait directement (ou non) pression sur les productions en cours. L'exemple le plus célèbre, c'est Tarantino et son Inglourious Basterds remonté avant sa sortie internationale. Pour le montage cannois, seule sa légende subsistera sur quelques forums.
Les productions asiatiques se retrouvent aussi précipitées : des semaines de tournage amputées, des scènes tournées trop rapidement, un montage impossible à rattraper... Autant dire qu'avant même d'arriver à une première version finalisée, le film respecte les délais cannois avant une quelconque intégrité artistique. Par exemple, les coréens Bong Joon-Ho pour The Mother et Kim Jee-Woon pour Le Bon, La Brute Et Le Cinglé sont des "victimes" de Cannes. C'est-à-dire que les films  que vous verrez / avez vus - qu'importe la version - ne respectent pas totalement la "vision" de leurs auteurs. Et parfois, malgré les efforts de la production, la promesse de sélection en compétition officielle s’envole pour quelques détails. Le paradoxe Cannois ?

MarchEdu film de Cannes
Le Marché du film de Cannes, juste un musée des horreurs lolantes pour la majorité de la presse française. Quid des deals conclus là-bas ? "Pas assez mdr".



CATCH 22
Dans la situation actuelle, des producteurs et réalisateurs asiatiques calibrent certains films selon les pays alors même que l'audience n'est plus au rendez-vous. Là où autrefois c'était les distributeurs qui broyaient tous les films selon leurs envies, aujourd'hui, c'est au coeur même des projets que se trouve l'étape d'un possible broyage. Tout ça pour enfanter des films hybrides.
Les différences entre les quelques versions internationales ou asiatiques dévoilent surtout la réalité économique d'une industrie en Asie
où le cinéma est ouvertement commercial. Une conception difficile à faire comprendre à un public cinéphile élevé dans l’illusion du 7ème Art.
Quel choix pour les distributeurs français, entre des ayants droit qui imposent leurs versions, les réactions énervées de certains fans, des ventes décevantes, pendant que la critique presse et/ou la promotion dans les médias sont en perte d'influence ? Ces mêmes distributeurs qui continuent à proposer des films asiatiques inédits avant le reste de l'Occident (Crows Zero 2, Serbis...). Le tout avec les aides du CNC pour assurer une certaine diversité ?

Cela permet la sortie des Ozu et Yoshida qui n’intéresseront que quelques universitaires naphtalinés, ou encore ces inédits récents adoptant de nouveaux titres ouvertement similaires à d’autres (Kingdom of War mixe Les Seigneurs de la Guerre et Les Trois Royaumes ; Crazy Lee comme Crazy Kung Fu). Et dans le pire des cas, les éditeurs maîtrisent depuis dix ans l’art de la tagline du Dragon Doré,  invoquent sifu Tarantino et ses "ce film est un chef-d’œuvre" (est-ce qu’on parle du même film ?).

Mais dans tous les cas, le cinéma asiatique est aujourd’hui prisonnier de son étiquette, coincé quelque part entre un faire-valoir culturel, une chinoiserie-neuneue et un piège à cons.

Katsuni
Katsuni, nouvelle ambassadrice du cinéma asiatique ?



   

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