Le Bon, La Brute Et Le Cinglé

I'm a cinephile but that's okay

Affiche Le Bon, La Brute et Le Cinglé

Marre des traditionnelles agapes de fin d’année, vous avez besoin d’exotisme ? Le dernier film de Kim Jee-Woon, cinéphile patenté, est pour vous puisqu’il se propose d’agrémenter le western avec une sauce orientale.


Kim Jee-Woon partage avec ses compatriotes de la nouvelle vague du cinéma coréen le goût des belles images. Mais contrairement à Park Chan-Wok, Kim Ki-Duk ou Bong Joon-Ho, lui ne s’embarrasse pas de sous-textes politique ou social, seul compte le spectacle et le plaisir pris à le visionner. Après voir revisité avec classe le film fantastique avec Deux Sœurs, puis le polar et le film noir avec A Bittersweet Life, le réalisateur poursuit son exploration des films de genre en s’attaquant au western.
Un genre considéré comme obsolète ou moribond et qui pourtant n’en finit pas de renaître partiellement (800 Balles de La Iglésia, Kill Bill de Tarantino, Exiled de Johnnie To ou L’Ennemi Intime de Florent-Emilio Siri) ou de manière plus éclatante avec le très réussi 3h10 Pour Yuma (en dépit de Russel Crowe) (nd nicco : et Open Raaaaaaaange !!).
Et si Le Bon, La Brute Et Le Cinglé s’avère inférieur à ces modèles, il est bien plus qu’un simple décalque oriental du classique de Leone.

SPAGHETTI AU PAYS DU MATIN CALME

Leone, LE réalisateur de référence quand bien même son apport, certes essentiel, à la redéfinition des codes d’un genre ne saurait occulter le travail des Corbucci, Solima ou Valeri, pionniers du western européen et plus particulièrement italien. Le western spaghetti qui aura infusé la cinéphilie mondiale et influencé son versant asiatique. Notamment en 2002 avec le thaïlandais Les Larmes Du Tigre Noir de Wisit Sasanatieng ou plus loin de nous la série animée Captain Harlock (aka Albator) qui reprenait dans quelques épisodes certains motifs parmi les plus significatifs (les cache poussière, les long manteaux, les regards appuyés, les duels, etc). Il est assez drôle de noter que ce bon capitaine se voit réincarné dans le personnage de la Brute (Lee Byung-Hun) qui arbore le même look.

Le Bon, la Brute et le Cinglé
 

Le Bon, La Brute Et Le Cinglé prend le risque de ce mesurer à ce monument qu’est le classique Le Bon, La Brute Et Le Truand en en reprenant le fil narratif mais en dynamitant les figures imposées par des emprunts à d’autres cinématographies (on pense à Peckinpah, à Woo, au Wu Xia Pian). L'action du film se situe en 1930 en Mandchourie, terrain de rivalités entre plusieurs puissances (Chine, Japon et Corée). Une volonté expansionniste illustrée par nos trois lascars en titre qui poursuivent la carte d'un hypothétique trésor. Carte récupérée tout à fait par hasard par le Cinglé au cours de l’attaque dantesque du train transportant un haut dignitaire japonais. Une situation qui donnera lieu à un road movie effréné et parsemé de morceaux de bravoures aussi rythmés que parfaitement réalisés : l'attaque initiale du train, le gunfight dans le marché fantôme et surtout  la course-poursuite finale dans les plaines mandchoues mettant au prise l'armée japonaise, des résistants coréens, la Brute, le Bon, tous sur les talons du Cinglé, véritable bip-bip motorisé. Chaque séquence étant marquée par son déchaînement de violence et son humour omniprésent, décalé et virant parfois au scatologique. Visuellement impressionnant (la photo de Lee Mo-Gae et Oh Seung-Chul est superbe), Le Bon, La Brute Et Le Cinglé est un divertissement qui tourne parfois à vide, le contexte historique ne servant que de toile de fond jamais directement connectée à la quête des trois personnages. Soit l'inverse de Le Bon, La Brute Et Le Truand où la guerre de sécession s’avérait être un véritable moteur narratif jusqu'à mettre l'intrigue en perspective. Toute chose absente ici puisque la carte au trésor demeure un McGuffin dont l'enjeu est bien trop diffus. Ce qui intéresse véritablement le coréen, c'est jouer avec ses trois protagonistes jusqu'à remettre en cause leurs caractéristiques fondamentales, le Bon ne l'est pas tant que ça et le Cinglé est bien plus dangereux que ses pitreries ne le laissait présager. Et si le triel final renvoie évidemment à celui du chef-d'oeuvre de Leone, il s'en démarque par sa conclusion déceptive puisque rien d'autre ne sera résolu que le besoin primaire de descendre l'autre. Au final, le film se conclue avec un spectateur aussi désorienté que le Cinglé.
Ce dernier, mis en valeur par Kim Jee-Woon vole littéralement la vedette aux deux autres, aidé par l'interprétation sans failles de Song Kang-Ho, habitué des films de Bong Joon-Ho.

 

Le Bon, la Brute et le Cinglé
 


L'OMBRE DE TARANTINO

Loin d'être le chef-d'oeuvre annoncé ici ou là, Le Bon, La Brute Et Le Cinglé reste un film très plaisant pour les amateurs de spectacles roboratifs. Il s'avère cependant très intéressant du fait des comparaisons qu'il entraîne avec le cinéma d'un autre cinéphile patenté, Quentin Tarantino ! Il est vrai que Takashi Miike a favorisé le brouillage des cartes avec son baroque Sukiyaki Western Django (un direct-to-DVD peut-être plus respectueux et fidèle encore au western spaghetti) où Tarantino jouait le double rôle du conteur de l’histoire et passeur entre deux cinéphilies. Peut être aussi du fait de l’emploi de la chanson Don’t let me be misunderstood et de l’hommage direct à Leone… Toujours est-il que le nom du réalisateur américain revient dans de nombreuses critiques (voire plusieurs fois dans un seul paragraphe).

Pour Kévin Dutot de DVDRama :
"Si certains crient au génie en voyant les films ultra-référencés (parfois à la limite du plagiat) de "Maître "Tarantino, que devrions-nous dire du cinéaste coréen d'A Bittersweet Life qui signe ici un western oriental hallucinant dont la virtuosité n'a d'égal que son humour et sa générosité. Kim Jee-Woon, contrairement à Tarantino, construit une œuvre à part entière dont les références ne viennent que renforcer le propos et non le faciliter. Au son du Don't let me be misunderstood version Santa Esmeralda (une façon ingénieuse de dire à Tarantino d'arrêter de piller le cinéma asiatique), bien plus propice et explosif que dans Kill Bill, la séquence vaut tout simplement toutes les plus belles poursuites de ces dix dernières années réunies ! Indy, McClane et consœurs peuvent se rhabiller."

Pour Laurent Dijan de feu Studio :
"Après le western spaghetti, voici le western nouilles sautées. En l'occurrence un hommage déjanté aux joyaux de Sergio Leone, signé d'un Coréen speedé qui aurait avalé du Tarantino au petit déjeuner."


Enfin pour Patrick Antona du site Ecran Large :
"Mais en ménageant une pirouette finale aussi ironique que savoureuse, Kim Jee-woon transforme l’essai et se révèle ici supérieur à un Quentin Tarantino qui dépasse rarement le stade de l’hommage un peu servile. D’ailleurs ce dernier n’est pas oublié, Kim Jee-woon s’appuyant sur la mélodie du disco-flamenco Santa Esmeralda (comme dans Kill Bill) pour rythmer les principaux moments de bravoure de son film."

Des commentaires qui illustrent le désir de démonter à peu de frais sur le dos de Kim Jee-Woon le cinéphage Tarantino, considéré sinon comme l’homme à abattre du moins à rabattre, mais qui dénote surtout d’une totale incompréhension de leur cinéma respectif. Pourquoi l’étalage sincère et naïf de cet amoureux transis du cinéma d’exploitation (au sens large) gêne autant alors qu’il ne fait que perpétuer le cycle naturel d’œuvres en inspirant d’autres ? Il est peut être bon de rappeler que John Ford a influencé Akira Kurosawa qui lui-même a vu son Yojimbo revisité par Leone avec Pour Une Poignée de Dollars. Le Bon, La Brute Et Le Cinglé ne peut être considéré comme une mise au point envers l’œuvre de Tarantino, Kim Jee-Woon ne fait que suivre la trace laissée par ses aînés. Bizarrement, on sera plus indulgent avec le coréen que l’américain taxé trop souvent de plagiat servile quand bien même les deux procèdent d’une démarche identique : jouer avec les codes du genre pour construire leur propre univers. Oui, on peut rapprocher les films des deux réalisateurs mais pas uniquement sur les seules réutilisations d’une chanson ou de motifs leonien ! Les deux entretiennent un même rapport à la violence abordée de façon distanciée, elle est très stylisée et concourt à l’esthétique du film. Ce sont avant tout des cinéastes-spectateurs jouant avec les références ou détournant les clichés afin de s’amuser des réactions et attentes des spectateurs en provoquant un décalage.
Seulement l’œuvre de QT atteint une virtuosité méta-textuelle (Jackie Brown et Kill Bill en premier lieu) absente des films de Kim Jee-Woon, très beaux objets où le coréen a parfois tendance à trop se faire plaisir quand Tarantino articule ses films autour d’un regard de spectateur, le sien mais avant tout le notre.

Le Bon, la Brute et le Cinglé
 

Alors arrêtons les comparaisons stériles et sachons apprécier ce film pour ce qu’il est, un spectacle visuel étonnant qui mélange les registres avec bonheur et se trouve magnifié par un Scope majestueux rendant les plaines mandchoues aussi belles que celles de l’ouest américain, tout en donnant une identité formelle qui se démarque de la simple accumulation de références cinéphiles. Drôle et endiablé, Le Bon, La Brute Et Le Cinglé s’apprécie avant tout au premier degré. Ce qui limite son impact mais en ces temps de bessonerie pas de quoi bouder son plaisir.

7/10
JOHEUNNOM NABBEUNNOM ISANGHANNOM

Réalisateur : Kim Jee-Woon
Scénario : Kim jee-Woon & Kim Min-Suk
Production : Choi Jae-Won & Miky Lee
Photo : Lee Mo-Gae & Oh Seung-Chul

Montage : Nam Na-Younf
Bande originale : Dalparan & Chan Young-Gyu
Origine : Corée du Sud
Durée : 2h08
Sortie française : 17 décembre 2008




   

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