Gérardmer 2015 : La Légende De Viy

Tournez cosaque

Affiche La Légende De Viy

Présenté hors-compétition, le troisième long du réalisateur kazakhe Oleg Stepchenko nous fait quitter la SF du film d'ouverture (le remarquable Ex Machina) pour nous projetter dans les ténébreuses forêts d'Europe de l'Est du XVIIIème siècle.


Nous y suivons les aventures de Jonathan Green (le toujours fiable Jason Flemyng), cartographe perdu dans une région isolée de l'Ukraine qui semble être la proie des sorcières et autres forces démoniaques. Il lui faudra compter aussi bien sur son esprit cartésien que sur les croyances locales pour percer le mystère de la malédiction ensevelissant les habitants terrorisés sous une impénétrable chape de plomb.

Avant de se lancer dans sa nouvelle adaptation de l'excellente histoire fantastique de Nicolas Gogol, Viy, Stepchenko a visiblement fait ses devoirs. La trame initiale du récit de Gogol est suivie d'assez près, du moins dans un premier temps. Plus significatif encore est le respect évident que le cinéaste manifeste envers le métrage éponyme de 1967 de Konstantin Yershov et Georgi Kropachyov tant l'apparence du jeune "philosophe" Khoma Brout que celle de la sorcière de l'église abandonnée renvoient directement à l'esthétique de ce Viy ancienne version. La similitude entre les visages des deux actrices, pourtant séparées de plus de cinquante ans, en est même troublante.



Au-delà de cette honorable déférence envers son prédécesseur (qui, il faut le reconnaître, n'a en rien perdu de sa force évocatrice, comme on peut le constater ci-dessus) et du socle visuel que celui-ci constitue, Stepchenko va également puiser son inspiration dans d'autres œuvres cinématographiques afin de mieux nourrir son univers. Notamment au détour d'un démon que conjure le prêtre du village dans le but d'impressionner ses ouailles et les garder sous sa coupe, dont le design est une réminiscence frappante de celui apparaissant dans Rendez-Vous Avec La Peur, chef-d'œuvre de Jacques Tourneur. Ce même court passage donne également l'occasion à Stepchenko d'emprunter au célèbre Haxan certaines illustrations des sabbats de sorcières. Et que dire de ces branches noueuses prenant vie dans l'Eglise et cherchant à agresser le pauvre Khoma Brout ? Evil Dead n'est pas loin. L'ombre du Sleepy Hollow de Tim Burton non plus : le personnage de Jonathan Green, homme de science aux théories avant-gardistes isolé dans une communauté superstitieuse et confrontée à des événements surnaturels qu'il ne peut rationnellement expliquer, apparaît comme un décalque marqué d'Ichabod Crane. Quant à l'étrange équipement manié par le protagoniste, son look d'inspiration steampunk rappelle plus d'une fois celui utilisé par le héros du Van Helsing de Sommers. Enfin, on retrouve quelques touches d'un esprit que ne renierait pas le Terry Gilliam des Frères Grimm.

La Légende De Viy


Malheureusement, la diversité de ces sources d'inspiration se retourne assez rapidement contre Viy. Stepchenko n'est que trop rarement capable de relier entre eux ces références et d'en faire un tout cohérent. Les lignes narratives se multiplient, souvent de manière inutile, ce qui donne l'impression de plus en plus nette que le réalisateur a eu les yeux plus gros que le ventre. Cette inconstance se prolonge à un niveau plus formel, La Légende De Viy présentant un souci frappant de montage : plus d'une fois les séquences successives ont l'air d'avoir été hachées en petits bouts puis reliées tant bien que mal ensemble au lieu de former un récit harmonieux. Il n'est cependant pas exclu que ce problème soit en partie causé par des coupes imposées en haut lieu pour la composition d'une "version internationale", la durée annoncée du film ne correspondant pas à la durée effective de la projection. Les différents passages se déroulant en Angleterre, en complet décalage avec le reste de l'histoire et n'apportant strictement rien à un niveau purement narratif (voire pire, cassant systématiquement le rythme du film), donnent du crédit à cette idée de version internationale faite de bric et de broc. Mais le plus gros défaut de ce Viy nouvelle génération est sans doute le syndrome Scooby-doo auquel cède Stepchenko : en cherchant à donner une explication rationnelle à la quasi-totalité des événements auxquels les protagonistes sont confrontés, le metteur en scène ôte à son film une grande partie de la magie, de la dimension mystique et folklorique que le film originel parvenait à canaliser. On est loin de l'imagerie prodigieuse véhiculée par la nouvelle de Gogol, à la source vive de certains des meilleurs récits de Mike Mignola et de son célèbre Hellboy (Le Cercueil Enchaîné pour n'en citer qu'un).



Enfin, les puristes pourront reprocher à Stepchenko de dénaturer la menace incarnée par Viy lui-même, transformant ce sinistre roi des Gnomes aux paupières d'airain en un simple démon, plus vengeur que réellement maléfique.
Finalement, il est un peu dommage que lorsque les russes se mettent à faire des blockbusters à l'américaine, ils en copient également les défauts.

La Légende De Viy d'Oleg Stepchenko, sortie française : 15 mai 2015




   

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