Gerardmer 2015 : Ex Machina
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- Bobine minute par l'ouvreuse le 30 janvier 2015
La peau sur l'OS
Cette 22ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer a démarré sous le signe de la SF avec le très prometteur premier essai en tant que réalisateur du scénariste Alex Garland.
Auteur du roman La Plage à l’origine du film de Danny Boyle et des scénarios de 28 Jours Plus Tard et Sunshine, Garland s’est déjà constitué un actif cinématographique solide. Sous la houlette du producteur Peter MacDonald (Petits Meurtres Entre Amis, Trainspotting…), il peut enfin déployer ses talents de conteur derrière la caméra en prenant de front la thématique ambitieuse et actuelle de l’Intelligence Artificielle.
Ces dernières années ont vu naître une poignée de films intimistes à budget modeste qui combinent robotique et anticipation de manière à mettre en évidence la proximité des robots avec leurs concepteurs : Eva et The Machine, également présentés avec un certain succès en 2012 et 2014 à Gérardmer, Robot And Frank et la série Real Humans ont démontré chacun à leur manière que l’IA est moins une question de Science-Fiction que de potentialités concrètes. La frontière entre le cybernétique et l’humain tend à s’effacer à mesure que l’Homme parvient à théoriser sa propre originalité. Ainsi ces fables modernes portent en elles des questions fondamentales sur notre essence. La spécificité de Ex Machina par rapport à cette vague se situe dans l’approche de Garland qui, à l’instar de Danny Boyle, est fortement intriquée dans l’air du temps, rendant son récit plus apte à parler au spectateur de 2015. La proximité du monde, des personnages et des concepts explicitement utilisés ici (instrumentalisation des réseaux sociaux, moteurs de recherche, application du test de Turing) établit la nécessité d'une réflexion sur ces thèmes.
Ex Machina narre l’aventure d’un jeune programmeur, Caleb (Domhnall Gleeson, Il Etait Temps), qui se voit offrir l’opportunité de passer une semaine avec le richissime créateur du moteur de recherche pour lequel il travaille, Nathan (Oscar Isaac, Inside Llewyn Davis). L'informaticien se rend vite compte que cette offre dissimule sa participation au test qui finalisera le grand projet du magnat : la validation de la première IA sous la forme du robot humanoïde Ava.Â
Ce qui frappe à la vision d’Ex Machina est la cinégénie du produit fini et la confiance de Garland en ses propres capacités de cinéaste. Ainsi, la scénographie remarquablement réfléchie des séances entre Caleb et Ava font régulièrement interroger le spectateur sur la réelle nature des deux interlocuteurs : qui est réellement prisonnier ? Qui manipule l’autre ? L’espace ample dans lequel évolue Ava contraste étrangement avec la place étriquée occupée par le jeune Caleb, pourtant censé être en contrôle de la situation. Le choix des matériaux constituant le décor dans lequel évoluent les protagonistes est lui-même signifiant : le lieu de vie du concepteur d’Ava se trouve majoritairement composé de bois ou autre matière organique là où la chambre d’Ava est faite d’éléments artificiels.Â
Installant une atmosphère contemplative et une topographie épurée prompte à susciter un cheminement réflexif (le huis-clos se marie harmonieusement avec la progression du récit). Garland règle une partie d’échec entre les trois personnages principaux faisant état de la pleine possession de ses moyens de scénariste. Scénariste mais plus seulement, Garland sollicitant les sens du spectateur avec un art probablement cultivé au contact de son compadre Boyle. Sa mise en scène se pare d’une élégante sensualité, la féminité d’Ava est mise en avant comme un caractère inhérent à sa personne sans jamais sombrer dans le voyeurisme ou la vulgarité. Ainsi, c’est un habillage et non un strip-tease qui conclue la découverte de l’autre. Et pour soutenir son effort, Garland peut compter sur l'implication visible d'un trio d'acteurs remarquable issu de la génération montante anglaise, Isaac en tête. Un bien beau début pour ce cru de Gérardmer 2015 !
Ex Machina d'Alex Garland, sortie française : 27 mai 2015