Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2010
Gare au FEFFS
Le festival européen du film fantastique de Strasbourg (plus communément nommé le FEFFS) organisé par Les Films du Spectre est de retour pour une troisième saison. Après la première partie publiée mardi, voici la suite et fin de mon journal de bord garanti sans adulescents ni néo-geeks en calefouette.
VENDREDI 17 SEPTEMBRE
9H00 : Une grosse journée commence avec la projection presse de Proie d’Antoine Blossier (critique et interview à venir).
11H00 : Je continue avec la projection presse de Reykjavik Whale Watching Massacre de Julius Kemp labellisé "franche première" lui aussi. Ce titre énigmatique qui fut le leitmotiv du spectateur ("méssaveudirkoi ?") trouve son origine en la personne de Gunnar Hansen, né à Reykjavik et immortalisé dans le rôle de Leatherface dans le Texas Chainsaw Massacre de Hooper et qui fait une apparition ici. Oui, vous avez bien lu : une apparition, et pas franchement glorieuse.
Ce choix d’une nullité abyssale se concrétise dans un long-métrage qui se veut fun et dont les héros sont tous des abrutis finis, entre celle qui arrive à se faire violer deux fois dans les vingt premières minutes, les japonais sournois et le personnage du français (maghrébin pour plaire à Eric Besson), crétin perpétuellement bourré, lâche comme pas deux et qui arrive à être le pivot scénaristique le plus con jamais vu d’une intrigue déjà rachitique.
"MES PERSONNAGES NE SONT QUE DES IDIOTS QUI MÉRITENT DE CREVER"
(Julius Kemp)
14H00 : Il est temps de se purger avec la rétrospective Val Lewton et Italian pop. Je commence avec I Walked With A Zombie de Jacques Tourneur, deuxième production horrifique pour la RKO après La Féline. Ce film, séminal dans le genre du zombie movie, est malheureusement recadré au format 1.66 : 1 alors que le format d’origine est 1.37 : 1, ce qui aura le malheur de faire disparaître le chef des acteurs sur pas mal de plans.
16H00 : Je continue avec la projection de La Decima Vittimia d’Elio Petri avec le très viril Marcello Mastroianni et le sex symbol Ursulla Andress, fleuron de la pop italienne et satire sociale où le meurtre est jugé sain par le biais de La Grande Chasse, une compétition gouvernementale meurtrière entre chasseur et chassé. Cette dystopie, dont un remake par John McTiernan fut envisagé il y a une dizaine d’années, n’est pas franchement un chef-d’œuvre mais a le mérite de compiler le meilleur de la pop.
"IL Y A TROP D'EFFETS SPÉCIAUX DANS LE CINÉMA AUJOURD'HUI ! C'ÉTAIT QUAND MÊME AUTRE CHOSE AVANT. J'AI VU LA RÉTRO FRANJU : PAS D'EFFETS SPÉCIAUX !"
(une spectatrice bourgeoise toute en fourrure, finaliste au Ferenczi d'Or, qui pense que Tourneur et Franju tournaient des snuff)
18H00 : C’est au tour de La Féline (ou The Cat People) de Jacques Tourneur, sauveur de la RKO après le four de Citizen Kane, d’être projeté mais avec le même problème de cadrage. L’effet hypnotique des audacieuses expérimentations de Tourneur ne perd malgré tout pas de sa puissance et découvrir "l’effet bus" sur un grand écran est un des temps forts du festival. Le président du jury est d’ailleurs dans la salle pour admirer "la quintessence du cinéma".
20H00 : Je m’infiltre à la projection publique de Proie, dans une salle une nouvelle fois bondée où Jean-François Rauger, natif de Strasbourg, directeur de la cinémathèque et surtout éminent membre du jury du premier FEFFS en compagnie de Caroline Munroe et de Lambert Bava a fait son apparition. La solidité scénaristique garantit une deuxième vision sans aucun problème.
Antoine Blossier et le co-scénariste Erich Vogel viennent ensuite rencontrer un public peu bavard, ce qui va me forcer à anticiper en salle certaines questions de l’interview de demain. Bien m’en a pris, les réponses s’avèreront les plus intéressantes du festival.
22H00 : La séance se finissant trop tard et me privant de Esotika Erotika Psikotica, j’ai le choix entre aller manger et rester pour revoir Reykjavik en présence de son réalisateur. Je dois dire que le repas fut délicieux.
"- AUJOURD'HUI IL Y A TROP D'ARGENT DANS LE CINÉMA D'HORREUR.
- ET C'EST TROP TRASH, ON SE DEMANDE OÙ ILS VONT S'ARRÊTER"
(deux geeks lauréats du Ferenczi d’Or)
00H00 : Je termine le marathon filmique avec Diabolik de Mario Bava. La séance est retardée par les questions/réponses d’un Julius Kemp extrêmement évasif alors que Corrado Farina quitte la projection en trombe, visiblement énervé.
Le festival accueille donc enfin Danger : Diabolik !, après avoir invité Lamberto Bava (assistant réalisateur) et avoir projeté un clip hommage il y a deux ans. Un grand moment du festival pour Daniel Cohen, visiblement très ému. La copie 35 mm (en VF) provient de la cinémathèque, ce qui explique la présence de Rauger et ce dernier va faire un grand laïus sur Diabolik, décrivant l’esprit révolutionnaire du film que Catherine Deneuve quitta lors du tournage de la scène d’amour sur des millions en billets. Rauger regagne sa place, épuisé par sa performance passionnée, et la séance commence.
Ce film franco-italien est le plus important en matière de budget pour Bava, produit par le grand manitou Dino De Laurentiis (misant avec un brin d’opportunisme sur James Bond et Fantomas). C’est la quintessence de la pop italienne : bandes dessinées et cinéma sont directement mis en relation par la source même du film, les célèbres fumetti des sœurs Giussani Diabolik, l’esthétique kitsch est poussé à son paroxysme par un Mario Bava qui a décidé d’exploser les limites de la perception colorée (il semblerait que l’ensemble du spectre visible humain soit contenu dans le film).
Malheureusement, "les privilégiés dans la salle" de Rauger sont pour la plupart plongés dans les bras de Morphée, l’heure tardive n’aidant pas.
SAMEDI 18 SEPTEMBRE
12H00 : La journée se résume à ma rencontre avec les très sympathiques Antoine Blossier et Erich Vogel, les principaux instigateurs de Proie, sous l'oeil attentif du producteur Olivier Oursel, alors qu’un journaliste essaye désespérément de tirer les vers du nez d’un Julius Kemp peu loquace.
"C’EST POUR L’OUVREUSE ?! MAIS C'EST VACHEMENT BIEN L'OUVREUSE !! UN PEU COMME À L'ÉPOQUE DE MAD MOVIES AVEC RAFIK… J’AI L'IMPRESSION QUE C'EST UN PEU LES DERNIERS À FAIRE ÇA"
(Erich Vogel)
La suite de la journée sera marquée par Avatar Edition Spéciale. On ne se refait pas.
Et puis faut bien l’écrire cet article !
DIMANCHE 19 SEPTEMBRE
11H00 : Je découvre Monsters de Gareth Edwards (on imagine l’intense brainstorming qu’a nécessité le titre), un film de SF qui louche vers District 9 sur tous les points (pitch, mise en scène) dans lequel un photographe et la fille de son patron traversent une zone mise sous quarantaine à cause d’une invasion d’extra-terrestres. A l’arrivée, Monsters peine à trouver un vrai rythme, balancé entre des envies de genre et d'autres plus respectables de contemplation sous musique aérienne… Comme si Erick Zonca réalisait District 9.
"SI C'ÉTAIT DU ZONCA IL N'Y AURAIT PAS DE JOLIE FILLE DANS LE FILM !"
(l’imparable Erich Vogel)
14H00 : Séance Italian pop avec Baba Yaga présenté par son géniteur Corrado Farina en version director’s cut. Une belle surprise qui tua dans l’œuf la carrière cinématographique de Farina. Baba Yaga présente pourtant des qualités incontestables, de sa critique acide du milieu radical chic italien de l’époque (leur gauche caviar à eux) aux qualités formelles de l’adaptation des fummeti pour adultes de Guido Crepax.
Le director’s cut, lui, ne répare que quelques coupes de la commission de censure (d’une qualité exécrable à partir de bandes retrouvées dans le grenier du réalisateur), dont deux plans de nus frontaux de Carole Baker et d’Isabelle de Funès.
16H00 : Voici venu le temps de l’unique séance, pour des raisons obscures de primeur de projection à San Sebastian, de Buried de l’espagnol Rodrigo Cortés avec Ryan Reynolds.
Ce pur film concept n’a de fantastique que son tour de force : circonscrire la mise en scène dans un cercueil de quelques mètres carrés, sans jamais en sortir. Un tournage épuisant pour l’acteur qui mit ses nerfs à vif. La tension ne faiblit jamais, grâce à une écriture aussi inventive que sa mise en scène (qui nécessita trois millions de dollars de budget). Et vu les réactions dans la salle, le film risque bien de gagner le prix du public malgré l’injuste projection unique… et peut-être briser l’infernale série des prix du public du FEFFS, couronnant à chaque fois les pires bouses de la sélection (The Substitute de Bornedal et l’affreux Dead Snow).
18H00 : Après cette épuisante expérience claustrophobe, il est temps d’aller voir Rubber. Malheureusement, une professeur de la faculté d’Arts du Spectacle de Strasbourg a eu l’idée du siècle en donnant en devoir à ses 150 élèves la vision du film : la séance est complète, la salle remplie d’étudiants fans de Godard. Et je rate mon rendez vous avec la Canon 5D Mark II sur grand écran.
20H00 : Le festival touche à sa fin, avec la cérémonie de clôture suivie de la projection du nouveau Greg Aaraki, Kaboom, sous une pluie de capotes balancées par la production. Autant dire que cette conclusion n’est pas à la hauteur du festival. Un film fashion pour étudiants fashion dont l’intérêt majeur (la quéquette) est d’une platitude extrême, pas aidé par les têtes de cons qu’incarnent des acteurs pas franchement bandant. Et ce n’est pas l’intrigue de conspiration traité par-dessus la coucougnette que vend le film qui va sauver ce projet, déjà culte chez les hipsters (pour au moins six mois quoi).
L’infatigable Daniel Cohen nous donne les statistiques d’un festival quasi exclusivement financé par des subventions de l’Etat (30 000 euros, soit 30 fois moins que le Fantastic’art de Gérardmer) : environ 4500 spectateurs en salle, 7500 tous évènements confondus.
Le dernier membre du jury, le journaliste italien Manlio Gomaraca présente une vidéo hommage réalisée par ses soins en l’honneur du réalisateur Piero Vivarelli, dont le Satanik fut présenté dans la rétrospective Italian Pop, décédé quelques jours seulement avant sa venue programmée à Strasbourg. La gouaille du bonhomme fait plaisir, entre mégalomanie assumée, taclage de Breillat et propos provocants sur le sexe et la drogue.
"ON REGRETTE QU'IL NE SOIT PAS VENU, ON SE SERAIT BIEN MARRÉ"
(Daniel Cohen)
Le FEFFS repoussant ses limites à chaque édition, l’an prochain promet d’être encore plus fastueux que cette excellente édition. Vivement !
PALMARÈS LONGS-MÉTRAGES
Méliès d’Argent : Buried de Rodrigo Cortés
Mention spéciale du jury : Zwart Water de Elbert van Strien
Prix du public : Buried de Rodrigo Cortés
PALMARÈS COURTS-MÉTRAGES
Nomination au Meliès d’Or : Mr. Foley de DADDY
Prix du public : Mr. Foley de DADDY
Prix du jury jeune : Fard de David Alapont & Luis Briceño
REMERCIEMENTS
A Daniel Cohen (pour la fantastique passion qu'il injecte dans la ville de Strasbourg depuis plus de cinq ans), à Nathalie Flesch (pour son attention), à Consuelo Holtzer (pour son sens de l'organisation rudement mis à l'épreuve), à Flore Tournois et aux bénévoles qui font un énorme boulot et parfois des sacrifices pour rendre tout cela possible (Rock, Stéphane, Daniel et les autres).