Gangs Of Wasseypur - Partie 1
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- Critique par Guénaël Eveno le 7 décembre 2012
The gone father
La première partie d’une des surprises de la Quinzaine des réalisateurs de Cannes débarque en DVD ce 4 décembre. Au menu des réjouissances, l’affrontement de familles indiennes sous fond de gangs et de pouvoir des années 40 à nos jours.
Wasseypur est un district entourant Dhanbad, la capitale du charbon indienne. En apparence innocente, son histoire est bien plus mouvementée qu’elle ne laisse croire, car elle regorge de vrais salauds qui se disputent la part du lion. Tout commence en 1940 lorsque l’ambitieux et sans pitié Shahid Kahn pille des trains de céréales anglais en se faisant passer pour le bandit Sultana. Exclu de son village, il doit travailler dans la mine du magnat Ramadhir Singh, devenu propriétaire depuis l’Indépendance de l’Inde. Il devient bientôt son homme de main. Au courant des ambitions de celui-ci, Singh décide de le supprimer, ainsi que son jeune fils Sardar. Le serviteur de Shahid parvient à s’enfuir avec le gamin avant l’arrivée des tueurs. Dès lors, Sardar ne vivra plus que pour venger la mort de son père.
Gangs Of Wasseypur est une œuvre fleuve de cinq heures qui fut divisée en deux parties pour les besoins de sa distribution en France. Connu pour une poignée de réalisations sortant des sentiers battus (Black Friday, Dev D, The Girl In Yellow Boots) et pour sa volonté de se démarquer des canons de Bollywood, Anurap Kashyap frappe fort et juste pour ce dixième long-métrage, évoquant les tourments post-coloniaux de son pays au travers de la vie des hommes de ce district minier. Des tourments causés autant par l’ambition des uns (à qui l'occupant anglais a remis les clés du pouvoir), que par des raisons plus primales : vendetta, jalousie, trauma familiaux. L’opposition se crée et perdure entre clans (les Khan, les Singh et les bouchers Quraychites) sur une aire géographique restreinte, donnant à voir des territoires désorganisés, un pouvoir corrompu et une certaine forme d’anarchie et d’absurde dans le déroulement des événements.
Pour que l’Inde se reconstruise, ses hommes devront payer le prix du sang. Il est difficile de ne pas penser au Parrain de Francis Ford Coppola à la vision du film, tant dans le rapport au pouvoir qui s’en dégage que par l’histoire de la construction d’un crime organisé. Il en est une variation intéressante. Sardar Khan s’apparente à un Vitto Corleone (version Parrain 2) déviant, construisant pour satisfaire son désir de vengeance un réseau et semant les graines d’une famille amenée à jouer un rôle important. Le rapport au père est biaisé, se construisant dans un mélange d’absence et de respect bien souvent au centre des actes des personnages, et qui se transmet de père en fils. Sardar Kahn a aussi un peu de Sonny Corleone, de par ses infidélités chroniques et son côté chien fou. Cependant, Gangs Of Wasseypur désamorce le drame par un humour et un trait forcé qui réduisent souvent la portée des intentions du réalisateur. On sent un recul sur le milieu et un traitement sec de la violence qui témoigne de la modernité d'un film plus orienté sur la forme vers Scorsese et les westerns italiens que vers les classiques de Coppola.
S’il livre une saga aux accents occidentaux, Anurag Kashyap ne rejette pas Bollywood en bloc. Lorsqu’il convoque ses sirènes, c’est à dessein, pour mettre en exergue une culture, une histoire, des images qui tiennent compte d’archétypes de relations figés dans une époque précise. Les rapports de séduction entre hommes et femmes, sur-dramatisés et dirigés comme dans nombre de classiques indiens (mais sans les danses) rendent bien compte de cet idée de mythification discrète. Les chansons modernes ou traditionnelles, souvent drôles et paillardes, tiennent lieu de chœur antique, décrivant les sentiments des personnages et annonçant pour certaines l’ironie du destin qui pèse déjà sur eux. Nous sommes au cœur du récit raconté par le serviteur de Shahid Khan, et ce que nous voyons n’est qu’une marche vers la scène d’ouverture du film qui expose un affrontement sensé signer la fin de la guerre, mais qui se termine lui-même dans le sang. Soit une malédiction portant sur plusieurs générations.
Le mythe est également contenu dans la mise en avant de personnages forts qui ont été bouffé par leur quartier autant qu’ils lui ont donné son histoire. Il y’a beaucoup de personnages dans Gangs Of Wasseypur, et ils ne seront pas, pour certains, immédiatement reconnus. Cependant, le réalisateur ménage une construction par chapitres et des inserts de titres qui mettent en lumière les plus importantes figures, de sorte qu’ils sont aussitôt identifiés comme étant des éléments à suivre. L’interconnexion entre les personnages tragiques et leur milieu rappelle La Cité De Dieu et Sur Ecoute. On y retrouve la même volonté de s’inscrire à hauteur d’homme (sans toutefois pousser les considérations dickensiennes), à explorer l’intimité de grandes figures tout en portant les mythes qui laisseront une trace dans l'histoire de leur ville.
Anurap Kashyap s’arroge de bien prestigieuses références. Il s’en montre souvent à la hauteur en ce qu’il parvient à les transcender pour donner un tout original et bien ancré dans sa culture. L’équipe du réalisateur a effectué un travail de reconstitution admirable et les acteurs sont tous autant impliqués pour porter ce scénario romanesque. On peut néanmoins relever quelques approximations et un flottement parfois peu justifié qui suspend en vol des conflits pour les voir revenir des années plus tard. Quelques portraits un peu simplistes et des répétitions viennent s’ajouter à la liste, mais rien qui n’empêche de rester accroché durant les 2h40 du film. Le temps passe si vite que lorsque sonne le final de cette première partie, on a aussitôt envie d’enchaîner pour savoir ce que vont devenir les personnages qui nous ont été si brillamment introduits et qui restent en suspens.
L’attente se prolongera jusqu’au 26 décembre prochain, date de la sortie nationale de la deuxième partie. Un timing parfait qui permettra aux retardataires de se jeter sur la galette livrée par Blaq Out pour découvrir un des films les plus aboutis de cette année et être à jour pour savourer sa suite en salles.
GANGS OF WASSEYPUR
Réalisateur : Anurag Kashyap
Scénario : Anurag Kashyap, Akhilesh Jaiswal, Sachin K. Ladia & Syed Zeeshan Qadri
Production : Anurag Kashyap & Sunil Bohra
Photo : Rajeev Ravi
Montage : Shweta Venkat Mathew
Bande originale : Sneha Khanwalkar
Origine : Inde
Durée : 2h40
Sortie française : 26 juillet 2012 Â