A Serious Man
- Détails
- Critique par Guénaël Eveno le 27 janvier 2010
O brother, where am I?
1967. Larry Gopnik vit dans une belle maison dans un jolie banlieue du Midwest. Le confort d’une femme, de deux grands enfants et la communauté juive pour guider sa vie. Larry Gopnik est exemplaire. Un type bien qui fait les choses bien.
Mais ce qu’il ne sait pas c’est que sa femme le trompe avec Sy Abelmann, que son frère (Richard Kind, l’inoubliable Paul de Spin City) est dans un plus sale état qu’il ne pense et que son fils, qui prépare sa Bar Mitzvah, préfère écouter Jefferson Airplane en fumant des pétards qu’il paye au petit dealer de la classe avec piqué à sa sœur, soeur qui ne pense qu’à se faire refaire le nez. Le jour arrive où sa femme lui annonce qu’elle veut divorcer pour s’installer avec Sy. Dès lors, le petit monde de Larry implose à petit feu.
A Serious Man c’est Le Sens De La Vie par les frères Coen, la crise existentielle la plus fendarde et la plus absurde qu'on ait pu voir au cinoche. Telle la malédiction tant crainte par la femme juive du petit conte du prologue, le mauvais sort s’abat sur le pauvre Larry Gopnik. Argent, confort, titularisation, tout est menacé. Viennent alors des questions en pagaille et en package auxquelles il ne peut trouver de réponse. Et toujours selon le même prologue, la méthode est : "dans le doute tue la question et laisse faire la religion". "Va voir le rabin, il va t’aider". Un argument comique savoureux qui inaugure une ronde qui durera pendant une grande partie du film. Le rabbin c’est un peu le psy juif, il y en a de toutes sortes, un psy qui peut vous baratiner sans rien dire pendant des heures, un autre qui raconte une histoire sans répondre à la question, un autre qui passe ses journées immobiles sans décocher (ou presque) un mot. Aucun d’entre eux n’a de réponse. Si Larry et le jeune rabbin pensent que les plus vieux auront l’expérience nécessaire pour lui répondre, la progression en âge des dignitaires est inversement proportionnelle à leur aptitude à résoudre les questions de la vie, le plus âgé se contentant de ressortir les paroles de "Somebody To Love" de Jefferson Airplane au fils Gopnik le jour de sa Bar Mitzvah. Il n’y a pas de réponse, il suffit juste de laisser passer et la vie continue. Pauvre Larry. Ce n’est pas la religion qui te viendra en aide.
Â
Larry Gopnik, interprété avec dévouement par le très bon Michael Sthulbarg, a pourtant toujours tout fait dans les règles, avec le plus grand sérieux, donnant du sens à ses moindres gestes. Quoi de plus normal pour un prof de physiques ? Tout devrait s’expliquer par une équation et même le principe d’incertitude d’Heisenberg a un théorème. Tout a une raison d’être à sa place. Et d’un seul coup on prend conscience que le rationnel se voit attaquer de toutes parts par l’illogisme et le non-sens. Ce n’est pas parcequ’on se comporte bien que les choses se passeront au mieux (assertion qui est le point de départ de la carrière criminelle du Walter White de Breaking Bad, autre personnage de professeur hautement "coenien"). L’embrouille est là , dans toutes ces personnes qui lui tournent autour, pour la plupart malveillantes. Un élève Sud-Coréen parvient à semer du désordre dans un discours parfaitement logique. A l’issue d’une conversation confuse, le père de ce même élève lui dit d’accepter le mystère. Le nouveau mec de sa femme le console tout en lui faisant les pires coups par derrière. Il s’embourbe à chercher un sens à tous ça, il fait des cauchemars, ses rêves trahissent des envies, notamment avec la femme sexy et libérée d’à coté. Larry aurait dû regarder les films des Coen, il y aurait vu qu’en face d’un homme sérieux, il n’y a rien d’autre qu’un trou béant d’absurdités. Sa propre histoire n’a rien à envier à celles de son prédécesseur Ed Crane dans The Barber, faite de non-dits, de lignes narratives avortées (ainsi va la vie), de vue biaisée sur ses proches, de choses dont on attend le sens et d’un climax qui s’annonce génial et paf, le film est fini. Une nouvelle habitude chez le duo si l’on voit le non-climax de No Country For Old Men et le dénouement absurde de Burn After Reading. Mais les frères formulent ici un miroir direct au final de leur prologue. Comme on ne saura jamais si l’homme abbatu lors de ce prologue était un dibbouk (un esprit malin attaché au corps d'un hôte dans la mythologie juive), on ne saura pas plus ce qui est arrivé à Larry. Cette incertitude de tous les instants qui vient ronger le héros, et qui a contrarié les plans de nombreux personnages avant lui, ne sera jamais vraiment comblée. Et le spectateur de vivre intimement la frustration du personnage.
Â
Comme l’a si gentiment conclu un groupe de comiques anglais dans les années 80, le sens de la vie on le cherche encore, on vous préviendra quand on l’aura trouvé. Mais avec si peu de réponses, les Coen parviennent tout de même à nous pondre un petit bijou teinté de la nostalgie d’une enfance passée dans la culture hébraïque, où chaque dialogue et chaque situation respire un amusement nimbé de satire envers leur communauté d’origine, cette grande famille. A Serious Man n’entre cependant dans aucun des deux pendants coeniens. Alors que le prédécesseur tentait de faire une synthèse de leurs deux grosses influences (film noir et comédie), celui-ci serait à ranger du coté de Barton Fink. Comme ce dernier, en dépit d'un sujet très théorique, il ne fait que respirer le cinéma des frangins de la première à la dernière image, ce qui est déjà un genre à part entière : personnages typés et hauts en couleur (sur ce coup, aucun des acteurs n’est réellement connu), héros largué, gêne constante, situations entremêlées et absurdes et moments de génie qu’on ne pourrait retrouver autrepart (la Bar Mitzvah du gamin complètement stone, la géniale scène qui illustre l'affiche du film, le partage de marijuana avec la voisine, chacun des rêves de Larry), le tout dans une fluidité scénaristique qui n'a rien à envier à The Big Lebowski.
Le Jefferson Airplane et la musique Yiddish opposent dès le départ la vie plan-plan du père et la débauche du fils, celle-ci n’étant sans doute qu’un accident d’une existence qui sera sûrement aussi rangée que celle de son ancêtre. Carter Burwell se charge d'y ajouter sa touche indisociable du cinéma des frangins alors que la photographie de Roger Deakins met superbement en valeur la petite banlieue résidentielle de Larry. La réalisation des Coen est toujours aussi maîtrisée, malléable au gré des scènes, passant de la plus grande étrangeté à un académisme fait pour suivre les redoutables performances des acteurs (et ce filou de Roderick Jaynes et toujours un monteur de talent). A la vue du tableau de chasse que l'incertitude a dressée dans les films des frêres Coen tout le long de leur carrière, A Serious Man n’est rien de moins qu’un aboutissement thématique qui offre à Larry Gopnick une place méritée au panthéon des anti-héros coeniens. On se demande si on peut franchement l'envier.
A SERIOUS MAN
Réalisateurs : Joel & Ethan Coen
Scénario : Joel & Ethan Coen
Producteurs : Tim Bevan, Eric Fellner, Joel & Ethan Coen, Robert Graf
Photo : Roger Deakins
Montage : Roderick Jaynes (aka Joel & Ethan Coen)
Bande originale  : Carter Burwell
Origine : USA
Durée : 1h45
Sortie française : 20 janvier 2010Â