Paranoia Agent - Diabolus In Musica
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- Bobine minute par Nicolas Zugasti le 24 août 2013
Batte à musique
Paranoia Agent, série animée de Satoshi Kon décédé il y a trois ans, est remarquable en tous points et ce jusqu’au générique concluant chaque épisode. Félicia Martin, une lectrice, nous a écrit afin d’apporter quelques éclairages sur ce dernier.
Revenons d’abord brièvement sur l’histoire : la jeune Tsukiko Sagi est une conceptrice en plein essor suite au succès de sa peluche kawai, un chien rose baptisé Maromi. Incapable de retrouver l’inspiration, elle est sous pression à l’approche de la deadline pour rendre un nouveau projet que tous dans la boîte espère couronné d’un engouement équivalent. Après une énième journée infructueuse, Sagi se fait agresser alors qu’elle rentrait chez elle. Les deux inspecteurs chargés de l’affaire doutent d’abord de la version de la jeune femme mais voilà que des agressions similaires perpétrées par un mystérieux garçon en rollers dorés et armé d’une batte recourbée se multiplie. Le phénomène du garçon à la batte prenant des proportions démesurées jusqu’à menacer l’intégrité de la réalité elle-même et mener à un final littéralement apocalyptique (le générique du début l’annonce, la série traite en filigrane du traumatisme de la Bombe).
Déroutante, perturbante, d’une incroyable richesse thématique, la série se décline en treize épisodes dont le générique final en apparence apaisant s’avère très dérangeant. Il est composé d’une succession de gros plan sur les personnages principaux de la série, endormis sur l’herbe. Un plan d’ensemble final nous les montre alors allongé les uns à la file des autres pour former un point d’interrogation autour d’une peluche géante de Maromi assise au centre. Mais le profond malaise provient en priorité de la musique accompagnant ces images. Une mélodie ressemblant à une berceuse, mais quelque chose cloche. Les notes ne sonnent pas comme attendues dans ce genre de rythme. Et pour cause.
Ce générique de fin est composé d’un enchaînement de quartes augmentées.
Les trois accords du générique (la majeur, fa majeur et mi mineur) enchaînent les quartes augmentées à trois positions différentes (un accord est généralement composé de trois notes) :
la DO*mi
FA la do
mi sol SI
Le DO dièse, le FA et le SI forment des intervalles nommés "quarte augmentée" ou "tritons"qui s'enchevêtrent. Les tritons sont des intervalles à renversement parfait et considérés comme extrêmement dissonants ; ils donnent à la musique une coloration énigmatique. Un intervalle qui doit son nom au fait qu'il produit exactement trois tons, et chargé d'histoire comme le révèle Wikipédia :
"Le triton a pour particularités d'être un intervalle à mouvement obligé (cet intervalle demande à être résolu du fait de la tension qu'il engendre) et d'avoir lui-même pour renversement (un triton renversé donne un triton). Dans l'harmonie classique, l'intervalle de triton est considéré comme l'intervalle dissonant par excellence.
Pendant le haut Moyen Âge, la composition musicale du chant grégorien n'hésitait pas à faire apparaître le triton dans les mélodies du septième mode, contribuant fortement à son aspect désorientant.
À la fin Moyen Âge, le triton a été systématiquement évité car jugé trop dur à l'oreille, ce qui lui valut le surnom de "Diabolus In Musica", il fut interdit par l'Eglise dans la musique religieuse baroque. Certain compositeurs continuèrent de l'utiliser dans la musique profane pour surprendre et déstabiliser l'auditeur (exemples de compositeurs l’utilisant : Bach, Stravinsky, Black Sabbath ou Slayer).
En raison de cette association symbolique originelle, les sonorités de l'intervalle ont été, dans l'inconscient populaire, culturellement assimilées à quelque chose de diabolique. Aussi, de nos jours, l'emploi du triton tend souvent à connoter un sentiment "malsain" ou "maléfique", surtout quand sa dissonance est utilisée sans fonctionnalité tonale."
Comme c’est éminemment le cas avec ce générique de Paranoia Agent qui apporte un certain éclairage sur la nature spéciale de Maromi, la peluche-star, et sur la psyché perturbée de sa créatrice.
La créature rose converse régulièrement avec sa maîtresse lorsque toutes deux sont isolées. D’ailleurs, le thème du générique s’intitule Maromi et les tritons qui le composent se font entendre lors de leurs apartés. Satoshi Kon, tout en s’ingéniant à créer une ambiance des plus perturbante d’un bout à l’autre de chaque épisode (dans un autre registre, le générique de début est également très troublant), émaille quelques indices sonores pour éveiller notre curiosité et surtout nous faire ressentir les mauvaises vibrations émises par le duo Tsukiko / Maromi.
Ce réalisateur était vraiment un "Genius in Cinema".
MÔSÔ DAIRININ
Réalisateur : Satoshi Kon
Scénario : Seishi Minakami & Satoshi Kon
Production : Mitsuru Uda, Shinsaku Tanaka, Satoshi Fujii
Direction artistique : Kaoru Inoda
Montage : Kachiko Kimura
Bande originale : Susumu Hirasawa
Origine : Japon
Durée : 13 x 25 minutes
Sortie française : diffusion à partir du 1er septembre 2007 sur la chaîne MCMÂ
Commentaires
Avez-vous remarqué sur le dernier plan: le spectateur fait également partie du point d'interrogation , car il se trouve à la place du point ?
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