My Soul To Take

Les ténèbres, et rien de plus !

Affiche My Soul To Take

Un père de famille schizophrène massacre sa femme enceinte et manque de tuer sa petite fille. Suite à son arrestation, un spectaculaire accident laisse à penser que le Diable est mort, quand bien même l’on ne retrouve pas son enveloppe charnelle. Au même instant s’enchaînent les naissances prématurées... 



Seize ans plus tard, un groupe d’ados, tous liés par le même sceau funèbre (chacun étant lié à la mort de celui que l’on surnomme "Le Tueur"), va devoir affronter le monstre, vraisemblablement de retour pour fêter dignement (à coups de lame) son anniversaire mortuaire. Coup monté ? Farce extrême ? Evénement fantastique ? Allez savoir…

Malgré sa sortie tardive au pays de Superdupont, My Soul To Take a bel et bien été conçu juste avant l’historiquement médiocre Scream 4, puits sans fond de grosses ficelles, de coups de coude parkinsoniens et de tricks scénaristiques dont l’arrogance annonçait, si besoin était, la sénilité précoce de Kevin Cursed Williamson. Quelques années plus tard, un film transgénérationnel, Detention parvenait à rendre hommage au seul véritable Scream (c'est-à-dire le premier) en usant pourtant le temps d’une scène des mêmes gimmicks rubiks cube, artifices et twists périmés du quatrième opus de la saga de Craven, alors réappropriés à des fins de pastiche potache (comme le faisait, avec le slasher des eighties, le classique Week-End De Terreur). Si Scream 4 est une insulte délibérée au genre, à sa richesse évocatrice, à son pouvoir inconscient et à l’imaginaire fécond qu’il peut déployer, My Soul To Take fait figure, malgré ses défauts, d’antithèse plutôt admirable, rendant à un cinéma, peut-être pas ses lettres de noblesse, mais tout du moins son aura premier degré… Tout comme ses divers degrés de lecture.

My Soul To Take

Wes Craven n’a jamais caché son intérêt pour la désagrégation de la cellule familiale (La Colline A Des Yeux, La Dernière Maison Sur La Gauche) et par extension son obsession pour la déroute sanglante voire tout à fait traumatique de bambins dans un corps d’ado, trop tôt soumis aux tragédies de la vie, à des bouleversements meurtriers qui, qu’ils soient fantastiques ou non, sont toujours ancrés dans un quotidien réaliste assurant l’identification du spectateur. Les teen movies de Craven mettent en scène de fragiles protagonistes, héros qui ne le sont pas, mais obligés de le devenir par la force (macabre, tendance gore) des choses. C’est là l’histoire intrinsèque de My Soul To Take, devenant le digne héritier d’une saga juvénile certes imparfaite mais attachante, composée des Griffes De La Nuit, Shocker et Scream. Quelques films qui caractérisent chacun une époque, pas seulement un contexte social mais l’évolution d’un cinéma et l’exploitation de ses caractéristiques, de son ambivalence, de l’étripage de série B devenue série A à la dimension psychanalytique de l’horrifique. Du conte de fées détourné où un croquemitaine au visage brûlé pervertit l’esprit de jeunes filles en fleur au post-moderne Scream (mélange de second degré et de suspens premier degré des plus efficaces, Cf. la scène d’ouverture), chacun de ses films évoque les icônes propres au cinéma d’horreur, ses fantasmagories, ses exagérations visuelles, son caractère esthétique, subversif et réflexif, inconscient et roublard, du "ça" freudien à la conscience des codes. 

My Soul To Take

Et My Soul To Take, digression sur la multiplication des identités et l’ambivalence de l’âge ingrat sous couvert de psychopathe revenu d’entre les morts, d’être un mélange curieux de tout cela. Le film ne joue pas seulement avec les éléments du cinéma de Craven (banlieue quasiment vidée de figures parentales, violence souvent crue, humour et suspens, révélations à tiroirs, cauchemars, groupe d’adolescents, psychokiller fantomatique), mais avec ceux du cinéma d’horreur en général, du charclage sans pitié d’adultes en devenir réduits à l’état de morceaux de viande à l’étude très ambivalente de la folie (comme dans Emprise, le metteur en scène ne prendra pas parti).

Slasher movie délibérément pessimiste, aux textures nocturnes et aux séquences de meurtres moins graphiques que terre-à-terre, qui n’ont jamais été aussi peu "fun and fears" en ce contexte décadent de néoslashers (on en revient ainsi aux premiers Craven), ce modeste divertissement conçu sans la moindre prétention déplacée interroge notre regard à travers une intrigue noire comme la nuit des masques. S’il est question de traiter de la fin de l’innocence (représentée explicitement par un personnage principal de grand enfant un peu autiste) par le biais d’un cadre typé (la communauté étudiante propre aux teen movies, avec sa reine intouchable, son meilleur ami nerd, le gars faible mais courageux, le beau gosse qui ne pense qu’avec ses poings ou son sexe, etc.), Wes Craven souhaite plus largement nous conduire, via un scénario qu’il a lui-même écrit et une mise en scène reprenant les effets choc de Scream, vers une tentative de manipulation de la perception, à l’intérieur d’un genre où le plus subtil déplacement de point de vue (chaque modification de cadrage) peut créer l’angoisse ou réécriture l’histoire.

My Soul To Take

Chaque adolescent représenterait ainsi une facette du tueur et donc, paradoxalement, une identité non-finie et multiple (féminité, brutalité, fragilité, sexualité !), quand notre anti-héros, le bien nommé Bug, se met à rejouer, le temps de plusieurs scènes, les dialogues du film en imitant chaque voix distincte, quand il ne vient pas tout bonnement à reproduire les gestes de son meilleur ami. Création de l’esprit ou faits véritables ? Entre dérision décalée et horreur bien réelle, entre déconnexion de la réalité via un point de vue interne déroutant et craspec charnel, l’équilibre est instable et expérimental, certes objet de maladresses éparses, mais il en émane une série horrifique qui n’existe pas seulement pour ses twists, puisque le twist n’est que chimère. A partir du moment où l’on s’attache à un personnage principal aussi déviant (détaché du quotidien, créant en plein cours un spectacle improbable à base de monstre de série Z, conditionnant l’atmosphère puisque changeant constamment de ton, à la manière du film), à partir du moment où les masques tombent (notamment par rapport aux liens du sang, thématique charnière de l’œuvre) et où les évidences n’en sont plus, toute cette duplicité, traduisant l’ambiguïté de l’esprit (et plus précisément d’une période où cet esprit est contaminé par la découverte des gravités de la vie), finit de supprimer toute notion concrète de vérité. Qui est véritablement le tueur ? Chaque plan n’est-il pas en lui-même un artefact ? Bug n’est-il pas l’homme-orchestre du film, tueur et victime, cible première d’une malédiction tout autant que bras droit de cette malédiction ?

Sans être révolutionnaire, cette idée de pur cinéaste consistant à enchaîner les rêves éveillés, les ruptures, les hallucinations, assure la trituration de ce qui est matériel (les personnalités, les relations humaines, les actions) au profit d’un univers mental incalculable. Or, qu’est-ce que le slasher movie, si ce n’est l’allégorie des désirs les plus primaires (sexe, meurtre) sous forme d’entertainment cathartique où les attentes sont assouvies parfois en dépit de toute vraisemblance, où les déviances de l’esprit se mélangent à la jouissance du coup de couteau s’enfonçant dans la chair ? Le fait de garantir le divertissement via les yeux d’un adolescent, brebis égarée et loup féroce, démontre une véritable compréhension du cinéma d’horreur, où finalement, tout en appréciant la progression narrative du récit et ses surprises illusoires, demeure principalement l’importance du regard porté sur le monstre (le notre étant couplé à celui du premier rôle) la force même du protagoniste et ce qu’il est censé représenter, quand bien même, vous l’aurez compris, les apparences sont trompeuses.

My Soul To Take

En faisant fi de tout cynisme (aucun loup-garou n’adresse un fuck au public et la mort n’a rien d’une blague de collégien) au profit d’une cruelle mélancolie bienvenue (il vaut mieux mourir que de vivre, chaque personnage étant soumis à la pression sociale, l’enfer est sur Terre, et l’on ne peut avancer et devenir héroïque qu’à travers les tripes et les marres de sang), Wes Craven en revient, mine de rien, aux origines du slasher. A la façon du spectral Michael Myers, son boogeyman n’est rien d’autre que "Le Tueur", notion universelle qui ne mène pas vers la réécriture poussive des fondamentaux du genre. On y meurt dans la douleur (une lycéenne se fait calmement vider de son sang comme un cochon), on y vit dans la douleur (mais en acceptant les coups avec le sourire !), et le fait de crever n’a finalement rien d’un théâtre de Guignol mais a tout de la lucidité douce amère de l’ado paumé réagissant au monde qui lui fait face. Le meurtre symbolique du père comme celui de la mère y apparaissent à la façon d’étapes initiatiques funèbres, à la fois indétachables du caractère existentiel du teen movie, comme de la violence du slasher movie.

Essai empreint de tocs (à l’image de son protagoniste ! Cohérence, si si !) mais parfois admirable et indéniablement attachant, My Soul To Take rappelle, par sa tristesse incurable, les quelques vers du poème lugubre d’Edgar Allan Poe Le Corbeau :

"Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus !"




MY SOUL TO TAKE
Réalisation : Wes Craven
Scénario :  Wes Craven
Production : Wes Craven, Anthony Katagas, Iya Labunka…
Photo : Petra Korner
Montage : Peter McNulty
Bande originale : Marco Beltrami
Origine : USA
Durée : 1h47
Sortie française : 1er août 2012




   

Vous n'avez pas les droit pour commenter cet article.

RoboCom.

Informations supplémentaires