Breaking Bad - saison 5, épisode 14 : Ozymandias
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- Série TV par Nicolas Zugasti le 25 octobre 2013
The King down
Le trailer de promotion de la seconde partie de la saison 5 de la fantastique série Breaking Bad, faisait entendre la voix de l’interprète de Walter White, Brian Cranston, lire le poème de Percy Bisshe Shelley, Ozymandias.
"J’ai rencontré un voyageur venu d’une terre antique
Qui m’a dit : « Deux immenses jambes de pierre dépourvues de buste
Se dressent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,
À moitié enfoui, gît un visage brisé dont le sourcil froncé,
La lèvre plissée et le sourire de froide autorité
Disent que son sculpteur sut lire les passions
Qui, gravées sur ces objets sans vie, survivent encore
À la main qui les imita et au cœur qui les nourrit.
Et sur le piédestal il y a ces mots :
« Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois.
Contemplez mes œuvres, Ô Puissants, et désespérez ! »
À côté, rien ne demeure. Autour des ruines
De cette colossale épave, infinis et nus,
Les sables monotones et solitaires s’étendent au loin."
Un sonnet relatant l’inévitable chute d’un roi et de son empire dont il ne reste que des ruines. Et cet épisode raconte exactement comment tout finit par s’étioler définitivement pour Walt.
Attention, passé cette limite, ça spoile un peu.
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C’est Rian Johnson (Looper, Brick, les épisodes Bug et Fifty One)  qui a l’insigne honneur de mettre en scène cet épisode clôturant bon nombre d’intrigues (même si certaines choses resteront à résoudre dans les épisodes restant) et il le fait divinement. Une réalisation au cordeau d’une grande maîtrise qui permet d’ingurgiter un foisonnement narratif impressionnant. C’est bien simple, les grands moments d’émotion qui vous clouent à votre siège se succèdent de la première à la dernière minute et grimpent en plus en intensité.
On commence doucement avec un flashback se situant au moment de la première collaboration de Jesse et Walt dans le camping car de la meth. Un petit moment nostalgique pour mesurer le chemin parcouru jusqu’à leur détestation respective. Et tandis que Walt et Jesse prennent l’air pour attendre le refroidissement de leur préparation, on voit Walt préparer son mensonge à sa femme. S’en suit une conversation avec elle qui gobera tout sans sourciller et se conclura par leur marque d’amour réciproque.
Une conversation des plus anodines qui se tient alors que Skyler est en train d’empaqueter une affreuse statue en porcelaine de clown triste pour s’en débarrasser. Un échange dont on ressent que les échos sont tout aussi applicables à la situation actuelle et empreint d’une certaine touche prophétique, le clown triste n’est ce pas Walt dont la maladresse n’a d’égal que sa laideur morale ? Et cette statue couchée de ce clown que l’on emballe renvoie au poème et à la statue de ce roi des rois gisant dans un champ de désolation.
On poursuit très fort avec la résolution immédiate de la fusillade de fin de l’épisode précédent, le cadavre de Steve gît par terre, Hank est touché à la jambe et n’a plus de munitions, Walt est toujours entravé dans le véhicule et Jesse semble avoir disparu du sien. Jack et sa bande de suprémacistes règnent quand retombe la poussière. Jack met en joue Hank et Walt tente par tous les moyens de le sauver, proposant même les 80 millions de dollars enterrés non loin. Plus qu’un membre de sa famille, Hank est un homme qui a gagné son respect au fil des années, peu importe leur différend actuel. Et lorsque l’agent de la DEA lance à son beauf "You're the smartest guy I ever met, and you're too stupid to see he made up his mind ten minutes ago" les larmes commencent à perler aussi bien chez Walt que pour le téléspectateur complètement tétanisé. Car tout comme Walt, on avait compris qu’effectivement Jack était résolu à buter le flic mais qu’il était peut être possible de gagner du temps pour renverser la situation, comme souvent arrivait à le faire Walt / Heisenberg. Sauf que justement, Walt n’a plus sa longueur d’avance, ne maîtrise plus rien. On assiste donc à des adieux déchirants à un personnage extrêmement attachant par ses pointes d’humour parfois graveleuses, son intuition et sa ténacité. Tué d’une balle dans le crâne, Hank s’effondre et Walt dévasté en fait de même dans une posture rappelant celle de Gus dans l’épisode 8 de la saison 4, Hermanos lorsque Don Eladio, le boss du cartel exécute son "frère" en affaire. Ce n’est que le début des "réjouissances" et on est déjà dans tous ses états.
Puis après avoir recouvré une certaine contenance, Walt demande à ce que Jack remplisse sa part du contrat et élimine Jesse retrouvé planqué sous un véhicule. C’est Todd qui diffère l’exécution, persuadant son oncle qu’il vaut mieux d’abord savoir ce que Jesse a révélé aux flics. Et alors qu’ils emmènent le camé, Walt détruit pour de bon son psychisme en révélant qu’il a assisté sans rien faire à l’overdose mortelle de Jane. Une ultime révélation à son ancien partenaire qui peut également tenir lieu de dernière confession, comme si Walt voulait se libérer du dernier poids qui lui pesait. Encore une fois, il le fait pour lui car à cet instant, il n'y a rien qui justifie que Walt en parle si ce n’est pour satisfaire sa personne (Jesse n’est pas tué selon ses souhaits alors autant qu’il vive avec ce tourment en plus). Sa relation ambivalente avec Jesse (tantôt protecteur, tantôt le rabrouant) aura fluctué durant toute la série et aura surtout révélé que les sautes d’humeur de Walt à son encontre étaient dues au fait que Jesse ne répondait pas exactement comme il le désirait. A-t-il jamais eu quelque chose à faire de ce pauvre Jesse ?
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Marie, prévenue avant la mort de son mari que Walt avait été appréhendé, se précipite à la station de lavage dire à Skyler que tout est fini et qu’il faut apprendre la vérité à Walt Jr. alias Flynn. Ce dernier, incrédule, a du mal à accepter la triste réalité. Un personnage qui aura eu très peu de grands moments, pas qu’il ait été délaissé mais sa position d’innocent l’empêchait d’interférer avec les agissements de son paternel. Maintenant que tout est sur la table, il va pouvoir faire étalage de ce qu’il a dans le ventre.
Cela survient lorsque de retour à leur domicile, Skyler et ses enfants trouvent Walt en train de préparer les valises et intimant sa famille à faire de même pour se tirer au plus vite. Comprenant que Hank a été tué sinon par Walt lui-même du moins par sa faute, sa femme se saisit d’un couteau de cuisine et s’empoigne avec son mari. Walt parvient à reprendre l’arme, Skyler est à terre et Junior s’interpose courageusement, faisant barrage de son corps. La mise en scène accentue grandement l’effet puisque au départ, une fois de plus Junior est placé hors du déroulement principal. Protégé par sa mère, il est en retrait dans le cadre, à l’entrée de la pièce, tandis que ses parents tourneboulent dans le salon. Il acquiert ainsi un statut plus actif lorsqu’il pénètre soudainement dans le champ pour s’opposer à son père ayant repris l’avantage et s’approchant de sa mère à terre. C’est lui qui désormais la protège et le plan qui suit légèrement en plongée, puisque du point de vue de Walt, montre Junior s’imposer dans le cadre et reléguer du même coup Walter hors de ce cadre.
Le plan qui suit reprend la position de début du combat à terre sauf que c’est désormais Walt, déboussolé, titubant, lâchant doucement le couteau qu’il tenait, qui va adopter l'attitude tenue plus tôt par Junior à l’entrée du salon. Un renversement de situation autant imprimé par l’action des personnages que porté par la réalisation tout simplement magistral. C’est l’heure du grand départ pour le chef de famille qui, face à son fils téléphonant à la police, ne peut que s’enfuir, se saisissant au passage de Holly.Â
On se retrouve fréquemment durant cet épisode à avoir du mal à respirer et à cet instant on a littéralement le souffle coupé. Avantage de l’enregistrement, on peut se permettre une pause histoire de reprendre ses esprits et digérer tout ce qu’il vient de se passer. Un arrêt bénéfique qui prépare à peine à la conversation téléphonique choc entre Walt et Skyler qui va suivre.
Surveillée par la police à son domicile, Skyler tente de gagner du temps pour permettre de repérer l’appel et s’enquiert de Holly. Walt se lance alors dans une tirade immonde en laissant parler son côté Heisenberg, insultant et menaçant Skyler mais surtout la dédouanant de ses agissements ("I built this. Me. Me alone. Nobody else!"). Une conversation téléphonique faisant écho à celle du pré-générique. L’ambiance et les paroles échangées n’ont évidemment plus rien à voir mais on devine derrière les mots très durs de Walt qu’il a malgré tout encore des sentiments pour sa femme, et que ceci est sa manière de lui dire une dernière fois qu’il l’aime.
Il lui offre une porte de sortie, ce que comprend Skyler et le spectateur, aussi abasourdi qu’elle. Johnson faisant passer cet état de compréhension par un changement d’angle de vue adéquat en évacuant du cadre l’environnement immédiat de Skyler (police, famille) pour ne conserver que son visage meurtri en gros plan. Des constructions de plans subtiles et significatives du même genre qui jalonneront tout l’épisode pour accentuer un peu plus l’émotion qui nous étreint et illustrer l’état d’esprit des personnages concernés. D’ailleurs, cela se poursuit dans la foulée avec un plan montrant Walt proche de craquer et se mettre à sangloter mais dont un dernier effort lui permet de conserver ce ton "heisenbergien" pour totalement endurer la charge des événements. Poignant.
Finalement, Walt relâchera Holly en la plaçant dans un camion de pompier dans une caserne. A cette occasion, un plan sur un échiquier montrera en gros plan le roi blanc complètement isolé dans un coin. Mis en échec mais pas encore mat, avec deux pions devant lui. Ce qui présage que ce cher Walter White a encore de la ressource pour, peut-être, non pas s’en sortir mais reculer l’échéance afin de régler quelques problèmes. Il est parvenu à regagner de l’avance, du temps. Qu’il accentuera en embarquant dans le véhicule de l’effaceur l’emmenant hors du cadre de ses méfaits, un chien traversant alors la route après le véhicule disparu dans l’horizon. Walt n’est pas un chien enragé comme Jesse mais un chien errant, un chien sans foyer.
Dernière image d’un épisode d’anthologie, un sommet télévisuel autant que cinégénique. Une putain de succession ininterrompue de baffes en pleine gueule pendant quarante cinq minutes. On en ressort complètement groggy, lessivé. Et inquiet par ce qu’il peut encore arriver, notamment à ce pauvre Jesse désormais aux mains des néo-nazis, enchaîné au labo supervisé par Todd, pesant sur lui la menace envers sa "famille", Andréa et son fils Brock, dont une photo trône sur un pilier.
Bon dieu, la chute n’est pas encore terminée…
BREAKING BAD - OZYMANDIAS
Réalisation  : Rian Johnson
Scénario : Vince Gilligan & Moira Walley-Beckett
Production : Vince Gilligan, Mark Johnson, Gina Scheerer, Brian Cranston, Peter Gould…
Photo : Michael Slovis
Montage : Skip MacDonald
Musique : Dave Porter
Interprètes : Bryan Cranston, Anna Gunn, Aaron Paul, Dean Norris, Betsy Brandt, RJ Mitte...
Origine : USA
Durée : 47 minutesÂ
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