L'illusionniste
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- Critique par Guénaël Eveno le 29 juin 2010
Les creux de la rampe
Jacques Tatischeff est un illusionniste en proie aux changements de son époque, la fin des années 50. Ne remplissant plus les salles de spectacle, il est contraint de voyager toujours plus loin. Alors qu'il officie en Ecosse, il rencontre une jeune femme qui décide de le suivre.
Sept ans après Les Triplettes De Belleville, Sylvain Chomet revient pour adapter un scénario écrit par Jacques Tati et que celui-ci n'a pas pu tourner. Le réalisateur de Jour De Fête ne souhaitait pas confier le rôle de l’illusionniste à un autre comédien, car trop proche de lui, mais avait prouvé par le passé une trop grande maladresse pour interpréter le personnage. Il le délaissa donc pour tourner Playtime. Lorsque Sylvain Chomet, souhaitant utiliser un extrait de Jour De Fête pour Les Triplettes, en demanda l’autorisation à la fille de Tati, celle-ci lut le storyboard et elle se persuada que L’Illusionniste pourrait se faire sans acteur et que Chomet était l’homme qu’il fallait.
Le résultat final prouve qu’elle a eu du flair. Jacques Tatischeff, homonyme du réalisateur, est aussi un double troublant du Tati filmique auquel on aurait ajouté une dextérité dans l’art de la magie propre à susciter l’émerveillement. Sa vie n’est pourtant pas des plus enviables.
Nous démarrons à la croisée des époques, alors que l’électricité tend à révolutionner les spectacles vivants des music-hall, les juke-box et le rock anglais commencent à susciter la fascination des adolescents et des jeunes adultes. Il en résulte la mise à l'écart des magiciens, acrobates et marionnettistes, un état de fait que Chomet retranscrit avec un humour léger dans une scène représentant le rappel en boucle des Britoons, caricature des Beatles, alors que le magicien attend son tour avec son compère lapin récalcitrant. Un tour qui ne viendra jamais. Il capte ensuite la nécessité d’adaptation de ces artistes, certains se recyclant dans la publicité en oubliant leur amour propre tel notre illusionniste, d'autres finissant de manière plus cruelle, alcooliques et dépressifs.
Chomet suit ces laissés pour compte à travers l’errance de son personnage affable qui traîne ses guêtres toujours plus au nord, rattrapant ce monde qui est déjà virtuellement derrière lui, avec à ses cotés une jeune fille qu'on peut considérer comme sa fille adoptive. Dès leur rencontre, en Ecosse, une relation naturelle se crée entre Jacques et Alice, un lien exprimé très justement par la relative absence de dialogue, un quotidien lascif mais souvent très émouvant dans les rapports qui se tissent laconiquement. L’illusionniste tient à entretenir la flamme de l’émerveillement de la jeune fille en faisant apparaître de beaux objets et en lui dissimulant la difficulté de sa vie. Elle, de fille de la campagne écossaise se mue en citadine tandis que le magicien passe par des heures sombres, ses illusions devenant peu à peu un talent au service de la société de consommation.
En dépit du ton, Sylvain Chomet n'abandonne pas son dessin pittoresque, ni les gros traits humoristiques et caricaturaux de ses personnages des Triplettes. Mais il n’hésite pas à s’orienter dans une veine plus humaniste. En dépit de passages burlesques très marqués (l’excellente scène busterkeatonienne de la perte du lapin ou celle de la voiture), L'Illusionniste a laissé tombé une partie du rythme comique des Triplettes De Belleville pour laisser aller son récit au gré de ses personnages. Un rythme plus lent mais moins factice, qui prend le temps de faire durer des plans truffés de détails.
En voyant le résultat, on comprend que l’équipe logée à Edimbourg (80 animateurs !) qui a composé le gros de l’animation n’a pas chômé. Le coup de crayon, la fluidité des mouvements des personnages, importante lorsqu’il s’agit de décrire le magicien, le dispute à la beauté des scènes. En particulier la restitution des paysages d’Ecosse, une incartade au scénario original (qui se situait à Prague) que Chomet prend son temps à magnifier. Ayant lui même vécu à là -bas, il connaît toutes le potentialités de ces lieux du bout du monde au climat si changeant, qu’elles soient visuelles ou narratives. Il invite le spectateur à se laisser bercer, à prendre le temps de ressentir visuellement les lieux et les sentiments des personnages. Il sera nettement aidé par la musique douce amère qu’il a lui-même composée. Décrivant le passé, il ne se complaît pourtant jamais dans une nostalgie qui aurait pu faire de L’Illusionniste un film d’animation pour vieux. Il décrit un nouveau monde sans excéder l’observation des répercussions sur des hommes et conclut sur une prise de conscience, sans doute un retour aux sources pour son héros meurtri (vers une hypothétique famille ?).
La fin, déchirante, somptueuse et toute en retenue, sonne une sorte de résignation pour ceux de l'époque précédente, et la fin d'une forme de magie pour l'arrivée d'une autre, achevant d'en faire un film universel qu'on pourrait transposer à chaque période transitionnel d'un art. Les magiciens n’existent pas ? Après avoir vu L’Illusionniste, je suis persuadé du contraire.
L'ILLUSIONNISTE
Réalisateur : Sylvain Chomet
Scénariste : Sylvain Chomet d’après un scénario de Jacques Tati
Producteur : Jinko Gotho, Philippe Carcassonne, Jake Eberts, Bob Last, Sally Chomet….
Directeur artistique : Bjarne Hansen
Montage : Sylvain Chomet
Bande originale : Sylvain Chomet
Origine : France
Durée : 1h20
Sortie française : 16 juin 2010