Her
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- Critique par Nicolas Bonci le 25 mars 2014
Air doll
Dans Une Créature De Rêve en 1985 la bonne amie numérique du nerd s'incarnait dans le corps de Kelly LeBrock. Quinze ans plus tard elle restait bloquée sur l'écran du visiophone de Thomas Est Amoureux. En 2014 elle n'est plus qu'une voix dans le crâne de Theodore, héros solitaire de Her.
Le quatrième film de Spike Jonze contribue à désincarner un peu plus le fantasme de la compagnie numérique à mesure que les progrès technologiques nous en rapprochent. En limitant l'existence de Samantha, intelligence artificielle en charge du système informatique de Theodore, à une voix dépourvue d'avatar et de quelconque interface tactile, Jonze ramène l'interaction homme/machine à des usages qui nous sont devenus communs ces dernières années : parler en public à des personnes absentes, partager des moments en envoyant vidéos et photos, paniquer lorsque la connexion est perdue. L'idée permet au spectateur d'accepter très facilement un postulat aussi saugrenu qu'un type tombant amoureux de son ordinateur, et de livrer un sous-texte sur ce que sont devenus les rapports humains, entre ubiquité virtuelle et dispersion du réel. Sentiment renforcé par le métier de Theodore, qui passe ses journées à dicter (et non écrire) des lettres romantiques pour ses clients. Il est déjà lui-même une voix qui simule l'amour.
Le plug auditif de son PC collé dans l'oreille, Theodore va donc apprendre à faire le deuil de son divorce, ramené dans le monde des vivants par une conscience (con scientia – avec science). Car Samantha, bien que drôle, émouvante et sensible, reste un programme dont la tentative d'incarnation par une intermédiaire de chair et de sang est un désastre pour Theodore (c'est le seul personnage vêtu de noir de tout le film). Her est ainsi l'histoire d'une reprogrammation. Paramétrée par Theodore pour Theodore, l'IA est l'intériorité de celui-ci, la petite voix qui lui permet de construire sa citadelle intérieure. Il s'inscrit en cela dans la droite lignée des personnages de Spike Jonze, de Craig Schwartz entrant dans le cerveau de John Malkovich à Max, sorti de son igloo et avalé par le maximonstre KW pour être sauvé. Â
Couleurs chaudes, vêtements des passants plus colorés lorsqu'il est amoureux, architectures des lieux calqués sur son humeur, inserts de son ex-femme : tout Her est la citadelle de Theodore, Jonze faisant même régulièrement commenter la musique du film par son héros, révélant au spectateur que ce qu'il pensait être une bande son extra-diégétique était en fait des compositions de Samantha jouées dans son oreille. Et lorsque Theodore apprend une mauvaise nouvelle, son ascenseur arrive subitement à un étage au décor noir (le seul du film).
Mais plus que d'avoir su cadrer pendant deux heures un personnage qui parle tout seul, la vraie réussite de Spike Jonze avec Her se tient dans la veine anticipatrice de son script. Débarrassé des artefacts qui encombrent d'autres dystopies sur un sujet proche (Real Humans, l'épisode Be Right Back de Black Mirror), Jonze projette l'omniscience de l'intelligence artificielle comme condition propre à l'amour universel, et donc inassimilable par l'Homme. Ramené violemment au monde matériel (annoncé par l'impression du livre tiré de ses lettres d'amour), Theodore n'a pas d'autre choix que de laisser partir une compagne devenue entité évanescente.
Les reprogrammations de l'un et de l'autre sont terminées, Theodore va alors peut-être voir ce qu'il avait sous les yeux depuis le début : lorsque son système d'exploitation est déconnecté, il affiche un brin d'ADN.
HER
Réalisateur : Spike Jonze
Scénario : Spike Jonze
Production : Spike Jonze, Megan Ellison, Vincent Landay…
Photo : Hoyte Van Hoytema
Montage : Jeff Buchanan & Eric Zumbrunnen
Bande originale : Arcade Fire
Origine : USA
Durée : 2h06
Sortie française : 19 mars 2014
Bonus : Scenes From The Suburbs, le court-métrage réalisé par Spike Jonze pour Arcade Fire.