Gangs Of Wasseypur - Partie 2
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- Critique par Guénaël Eveno le 7 janvier 2013
Générations perdues
Si la vengeance est un plat qui se mange froid, la vendetta est à point quand elle est chaude, bien saignante et servie sur plusieurs générations. Vous ne résisterez donc pas à vous resservir 2h40 du clan Khan pour la très attendue conclusion d’une saga gangsta-indienne à nulle autre pareille. Attention SPOILERS !
La fin du premier volet ne pouvait laisser aucun doute : Fayzal Khan deviendrait le héros de ce volume, un héros froid et violent amené à supporter le fardeau de la malédiction familiale, et peut-être à régner sur Wasseypur. Les premières minutes de cette deuxième partie enchaînent les événements incontrôlables qui conduisent à ce règne, puis toutes les cartes redeviennent floues. Gangs Of Wasseypur emprunte des routes familières, mais ne cesse de surprendre par la froideur avec laquelle on solde ici le destin des personnages. Nul n’est à l’abri, anciens comme nouveaux protagonistes.
Le réalisateur Anurag Kashyap n’a plus à s’embarrasser d’une exposition, qui serait d’autant plus inepte que son film est un bloc séparé par un entracte. On entre donc dans le vif du sujet à une époque qui se rapproche dangereusement de la nôtre. Les chansons qui expriment l’état d’esprit des héros s’accompagnent de sonorités pop, puis progressivement électros. Les années 90 ont introduit une modernité que le film a su aussi bien capter que les coutumes indiennes et impose l’idée que tout va plus vite. En dépit d’une scène de mariage, l’Inde traditionnelle forme un arrière-plan sur lequel on s’arrête moins, les événements s’emballent d’autant plus que les prétendants au trône se multiplient. Et les meurtres, les poursuites et les plans se succèdent à une cadence bien plus poussée que lors du premier volet où on avait encore le temps de capter le quotidien des héros. Par un effet de mimétisme, le montage est lui aussi plus saccadé, plus énergique et plus elliptique. Anurag Kashyap sait capter aussi bien qu’un Scorsese le temps qui passe dans une vie de gangster, mais est aussi capable de rendre incroyablement tendue la traque nocturne d’un homme dans sa jungle urbaine. Il en fait la démonstration dans la suite de la séquence qui ouvre le premier volet, montrée cette fois-ci du point de vue de Fayzal et des siens.
La musique et le montage ne sont pas les seuls marqueurs d’époques. Dès le premier volet, Anurag Kashyap a établi de montrer le défilement du temps à l’aide de petites touches culturelles, comme les affiches des films diffusés au moment de l'action. En parcourant ces périodes, le spectacle devient omniprésent, jusqu’à entrer dans la définition des personnages et de leurs actes. L’identification de Perpendiculaire à un homme qui lui fait changer sa coupe de cheveu et son attitude, ou bien l’approche de séduction de Fayzal devant sa future femme font sourrir, mais participent à l’illusion du gangster s’identifiant au miroir déformant que le spectacle donne de sa vie, allant à adopter parfois des attitudes au détriment de positions.
Les rejetons de Sardar Khan ont beaucoup fréquenté les salles de cinéma durant leur enfance ettendent à copier poses et actions qui conviennent à celui qu’on appelle "gangster". Ce qui leur sera souvent fatal. Lorsque le nabab Ramadir Singh évoque le secret de sa longévité au cœur des sanglants affrontements, il déclare non sans ironie qu’il ne va jamais au cinéma. Il serait plus juste d’évoquer sa position en retrait de l’échiquier, de laquelle il tire les ficelles de ce joyeux monde. Il les regarde comme un joueur dirigerait des personnages par des boutons de sa manette, comme si eux-mêmes étaient prisonniers d’un film dont il était le scénariste. Il ne se doute pourtant pas que Fayzal Khan possède un détachement sans égal avec les siens et que le spectateur peut vite déceler et confirmer les ébauches de prise de conscience qui conduisent peu à peu à installer le nabab dans le film qu’il pensait contrôler.
Ces marionnettes au destin défini par leurs parents (l’un d’entre eux a carrément été appelé Définitif) ou par leurs unions (les femmes ne sont pas en reste) n’en demeurent pas moins superbes. A l’instar du père et du grand-père, les rejetons de Sardar Khan sont des personnages forts qui marqueront pour la plupart le film de leur emprunte, tout comme les ennemis mis sur leur chemin. Quels qu’ils soient, Anurag Kashyap s’applique toujours à rattraper leur légende dans des introductions habiles, et leur donner le temps de présence qu’ils méritent. Devant un tel flot de personnages, on salue toute la maestria du scénario et de la composition des acteurs qui parviennent à nous rendre si proches ces caractères et si limpides leurs motivations. Fayzal Khan n’est pas un personnage facile, un junkie construit dans la retenue et l’accumulation, mais l’acteur Nawazuddin Siddiqui parvient à laisser espérer qu’une fois qu’il aura brisé le cycle de la vengeance en l’attaquant à la source, il pourra couler des jours heureux accompagné de sa femme et de son enfant.
Mais il ne faut jamais trop espérer, car la vie à Wasseypur se poursuit, répétant inlassablement les mêmes boucles tragiques.
Anurag Kashyap a réussi une œuvre singulière, de celles qui renouvellent le genre, qui puisent dans leurs sources une particularité qui les distingue. Cette particularité serait un vent de fraîcheur et de désinvolture qui allie le divertissement populaire à la profondeur du propos. L’inde a trouvé son Parrain, et on en reparlera…
GANGS OF WASSEYPUR
Réalisateur : Anurag Kashyap
Scénario : Anurag Kashyap, Akhilesh Jaiswal, Sachin K. Ladia & Syed Zeeshan Qadri
Production : Anurag Kashyap & Sunil Bohra
Photo : Rajeev Ravi
Montage : Shweta Venkat Mathew
Bande originale : Sneha Khanwalkar
Origine : Inde
Durée : 2h40
Sortie française : 26 décembre 2012