A Vif

Go ahead... Make my night

Affiche A Vif

Définitivement, le cinéma américain des années 2000 est en train de devenir un vaste remake du cinéma américain des années 70.


Alors que les annonces de remakes de films d'horreur de cette décennie n'en finissent plus de faire déborder le flux rss d'allociné, voici que ce bon vieux Joel Silver nous refourgue un remake à peine déguisé d'Un Justicier Dans La Ville et surtout du Retour De L'Inspecteur Harry (film avec lequel A Vif partage la même fin et la même relation flic-homme / meurtrier-femme).
Le cinéma américain des années 70 était sombre et violent parce que le contexte politico-social l'était tout autant. L'Oncle Sam était embourbée dans une guerre sans fin alors que son peuple avait dix ans plus tôt perdu toute innocence en assistant au meurtre de son propre président. Si le cinéma américain revient à ce style de films aujourd'hui, c'est parce que le contexte politico-social est approximativement le même. L'Amérique s'est engagée dans un conflit sans fin en Irak et son peuple a perdu le peu d'innocence qui lui restait le jour ou il a assisté à l'écroulement des tours du World Trade Center.

Mais ce qu'il y a de bien avec A Vif, c'est qu'il n'est pas comme cette vogue de films d'horreur actuels qui surenchérissent bêtement dans la violence sans comprendre pourquoi ils le font. Il est évident que Neil Jordan et Joel Silver ont très bien compris pourquoi ils faisaient ce film, et qu'ils ont sciemment fait le choix de faire planer le spectre des attentats terroristes du 11 septembre 2001 au dessus de leur film.

A Vif
 

Par exemple, le choix d'une agression tombée de nulle part sur des personnages insouciants qui selon leurs propres termes ne "connaissaient même pas encore la peur " n'est pas innocente. Et détail qui a son importance : comme tous ceux qui suivront, ce premier meurtre sera enregistré par les agresseurs. Ceux-là enregistreront l'image, l'animatrice radio enregistrera le son de ses meurtres, se les ré-écoutant en boucle chez elle. Pendant la première agression, l'un des meurtriers du petit ami ira même jusqu'à éructer : "This is fuckin' Hollywood !" en regardant l'écran LCD de sa caméra. Ceci rappelant, langage ordurier mis de côté, ce qu'évoquaient les commentateurs télé le jour du 11 septembre "Non ce n'est pas un film hollywoodien ! C'est la réalité... ". Et comme pour enfoncer un peu plus le clou sur cette confusion réalité / fiction, nous verrons un adolescent témoin de l'agression dans le métro donner à la police un portrait robot de l'héroïne ressemblant à Jennifer Aniston, car il a "le cerveau saturé d'images pop".

Le choix de placer l'action à New York n'est pas anodin non plus. Neil Jordan peint une ville déprimante filmée uniquement en longues et moyennes focales, se concentrant sur des détails, des bouts d'immeubles, des bouts de fenêtres (voir le générique), évitant soigneusement toutes les images cartes postales habituelles, et surtout illustrant la perte de repère et le manque de recul de son personnage principal. Quand la caméra suit les errances noctambules de Jodie Foster dans les rues de la ville, l'actrice reste nette, mais tout le reste est flou.

Dès lors, l'analogie entre le 11 septembre et A Vif saute aux yeux : Comme Erica, l'Amérique a été victime d'une attaque violente. Comme Erica, elle s'est mise à vouloir se faire justice elle même, à imposer sa morale à tous ceux qui n'en voulaient pas : tandis qu'une Erica traumatisée s'en va éradiquer tout ce qui ne correspond pas à sa vision du monde, l'Amérique tente d'imposer par la force la démocratie en Irak. Toutes (et à mon avis le choix d'un personnage féminin n'est pas innocent non plus) deux, l'Amérique comme Erica, tentent d'apaiser une soif de vengeance quasi-insoutenable.

Si Neil Jordan prend soin de choisir le prénom Erica (très proche de "America") et de placer à répétition des drapeaux américains dans tous les recoins de l'image, c'est pour nous mettre sur la voie : le personnage de Jodie Foster est une métaphore de l'Amérique. L'Amérique est Erica. Traumatisée, elle erre dans une sorte de purgatoire, devenue une étrangère à ses propres yeux. Jusqu'au dénouement ou elle finit par accepter de ne pas pouvoir revenir en arrière, d'être quelqu'un d'autre et de passer de l'autre côté du tunnel, le "Stranger's Gate".

Et le film, malgré un final mal amené (la décision du policier semblant tomber de nulle part), a la bonne idée de ne pas sombrer dans ce bon vieux manichéisme bien / mal. Erica est tour à tour effrayante (elle prend visiblement son pied à tuer) et torturée (rongée par le remord, elle s'effraie elle-même et semble choquée par les propos violents des new-yorkais qui cautionnent ses actes dans son émission de radio.) Donc non, il n'y a pas d'apologie de l'autodéfense dans A Vif, pas plus qu'il n'y a de dénonciation de l'autodéfense. Le film ne prend pas parti, ne "s'engage" pas, ne sert la soupe à aucun parti politique, privilégie le questionnement contradictoire à l'affirmation sentencieuse.

Car A Vif raconte l'histoire d'une femme qui tombe dans les pires excès, et nous propose simplement d'essayer de la comprendre, et de tenter d'accepter, en la regardant dans le blanc des yeux, cette part violente qui est en nous tous.
7/10
THE BRAVE ONE
Réalisateur : Neil Jordan
Scénario : Roderick Taylor, Bruce A. Taylor, Cynthia Mort
Production : Susan Downey, Joel Silver
Photo : Philippe Rousselot
Montage : Tony Lawson
Bande originale : Dario Marianelli
Origine : USA
Durée : 2h02
Sortie française : 26 septembre 2007




   

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