La Grande Horloge
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- Bobine minute par Nicolas Bonci le 7 novembre 2013
Jouer la montre
Gravity et 9 Mois Ferme exposent leur admirable plan-séquence d'ouverture en ce moment dans les salles, profitons-en pour revenir sur celui, peu connu, de La Grande Horloge réalisé en 1948 par John Farrow.
Adaptation légère du roman de Kenneth Fearing Le Grand Horloger (1), ce film Noir voit le journaliste George Stroud (Ray Milland, fidèle du cinéaste) sommé par son patron tyrannique et obsédé par le temps Earl Janoth (Charles Laughton, singeant savoureusement son réalisateur de La Taverne De La Jamaïque Alfred Hitchcock) d'enquêter sur un meurtre dont tous les éléments le désignent comme le coupable idéal. Pris au piège dans l'immeuble du journal, Stroud n'a que quelques heures pour mettre la main sur les preuves qui parviendront à l'innocenter.
"La caméra doit être l'acteur principal dans la narration d'un film. Il faut que ses mouvement entraînent le spectateur et l'intègrent au mouvement interne de l'histoire" disait John Farrow. (2) Le cinéaste est en effet un adepte des machineries mobiles et des plans complexes, poussant ses techniciens à inventer pour lui de nouvelles grues, des dolly plus performantes et des décors extrêmement élaborés, souhaitant éviter au maximum les trucages optiques. Combinant décors, perspectives, travellings et éclairages sophistiqués, John Farrow parvenait à produire des plans d'ouverture impressionnants, qui devinrent sa signature durant une large partie de sa carrière.
Dans celui qui nous intéresse ici, la caméra balaye les hauteurs de la ville en contre-plongée panoramique avant d'effectuer un "dallas" (pano haut-bas sur un immeuble) devant le lieu principal du film, le siège des éditions Janoth. Un travelling approche la caméra d'une fenêtre à travers laquelle nous pouvons voir un hall. Recentrage sur l'ascenseur à droite, duquel sort Ray Milland, la caméra le suit, panotant et avançant sur lui, jusqu'à le cadrer en plan poitrine lorsqu'il se retrouve à l'abris dans une nouvelle pièce. Milland monte un escalier en colimaçon, la caméra le suit alors en travelling vertical, puis vient derrière son épaule pour nous permettre de voir comme lui le hall principal de l'immeuble via une petite fenêtre. Travelling arrière, le champ s'élargit, on découvre la salle de contrôle de la grande horloge, la caméra ressort à l'extérieur tandis que le personnage de Milland cherche un moyen de se sortir du guêpier dans lequel il est fourré. Fondu enchaîné, nous voici 36 heures plus tôt…
Avec ce plan d'ouverture, John Farrow accule dès les premières secondes son héros dans une mécanique dont les engrenages seront le temps et l'espace, et pose le décor (ainsi que l'urgence de savoir s'y repérer) comment l'élément central de l'intrigue. Â
Ce plan n'est pas le seul exploit du film. On retiendra cet autre plan-séquence intervenant quelques secondes plus tard à l'intérieur d'un ascenseur dont l'angle et la profondeur de champ choisis par Farrow permettent de montrer à l'arrière-plan un nouvel étage de l'immeuble à chaque arrêt, présentant ainsi au spectateur les futurs lieux de l'intrigue. Quand on pense que tout a été intégralement tourné en studio, on imagine le casse-tête…
Cette belle ouverture en long take de 128 secondes précède de dix ans le célèbre plan-séquence de 200 secondes qui ouvre La Soif Du Mal d'Orson Welles, mais vient une quinzaine d'années après ceux de René Clair pour Sous Les Toits De Paris (1930), Le Million (1931) et Quatorze Juillet (1933).
Notons qu'en cette même année 1948, Hitchcock mettait en boîte La Corde.
(1) Ce roman, traduit en français par Boris Vian, sera de nouveau porté à l'écran en 1987 par Roger Donaldson avec Sens Unique, et de manière moins officielle avec le Police Python 357 d'Alain Corneau en 1976.
(2) 50 Ans De Cinéma Américain, Jean-Pierre Coursodon & Bertrand Tavernier
THE BIG CLOCK
Réalisateur : John Farrow
Scénario : Jonathan Latimer d'après le roman de Kenneth Fearing
Production : Richard Maibum
Photo : John F. Seitz & Daniel L. Fapp
Montage : LeRoy Stone
Bande originale : Victor Young
Origine : USA
Durée : 1H35
Sortie française : 17 juin 1949Â