Windtalkers

Frères de larmes

Affiche Windtalkers

Joe Enders (Nicolas Cage) est un homme brisé, physiquement et moralement. Soldat américain en pleine guerre du pacifique, il a perdu toute sa section au cours d'une opération militaire que son obstination à respecter les ordres empêchait de considérer comme perdue d'avance.


Coincé à l'hôpital du fait des ses blessures, il ne peut que ruminer son sentiment de culpabilité et ses remords de n'avoir pas écouté ses hommes au lieu de respecter les ordres jusqu'au bout. Pas encore tout à fait remis, il s'arrange pour se faire réincorporer dans l'armée et demande à retourner au feu. L'état-major consent à sa demande, mais lui confie une mission assez inhabituelle : Enders devra protéger à tout prix un Indien Navajo responsable des communications et détenteur d'un code ultra secret rendant indéchiffrable les messages militaires américains lors des opérations sur le terrain. Mais la mission est plus impitoyable qu'elle en a l'air : ce n’est pas l’homme qu’Enders doit protéger. C’est le code.


IT'S NOT MY WAR
Un mot vient à l'esprit après avoir vu ce film : sincérité. Woo ne trompe personne (et d'ailleurs ne le cherche absolument pas) : la guerre n'est pas le fond du problème ici. Ce qui l'intéresse est clairement le contact ainsi que l’amitié entre Enders et Ben Yahzee, le Najavo qu’il doit "protéger". Pour donner l'impact nécessaire à leurs contacts et leurs échanges, il prend son temps pour bien présenter les deux héros et dévoiler leur caractère. Enders est hanté par les fantômes de ses soldats morts et dévoré de l'intérieur par le feu de ses remords. En voulant à tout prix retourner au combat, et au vu de ses actes héroïques (plus d'une fois, il sauve la mise de toute sa nouvelle section) mais franchement suicidaires (attaque de front de nids de mitrailleuse, il crée les diversions, il explose un blockhaus, il couvre en permanence à peu près tout le monde), on comprend vite que le seul désir d'Enders est de mourir pour payer sa dette envers ses compagnons tués. Il néglige sciemment tout ce qui pourrait le raccrocher à la vie et lui redonner du goût à l'existence. Ainsi, il ignore volontairement les très nombreux appels du pied de Rita,  l'infirmière ayant suivi de près sa rééducation, et ne lit même pas les nombreuses lettres qu'elle lui envoie.
De la même façon, il conseille à un soldat qui a la même mission que lui (Ox, joué par Christian "j’ai vraiment besoin d’un autre agent" Slater) de "ne pas fraterniser" avec son Navajo. Il refuse également tous les honneurs gagnés au combat: il jettera ainsi sa première Silver Medal à la mer et donnera la seconde pour honorer un de ses compagnons mort au combat en voulant sauver un autre soldat.
Déséquilibré au propre (une oreille à moitié arrachée, son sens de l'équilibre est atteint) comme au figuré (mentalement, il apparaît plus que borderline à certains moments), Enders ne vit que pour essayer de se racheter vis-à-vis de ses erreurs passées. Et le seul prix qu'il lui semble raisonnable de payer est celui de sa vie. Une preuve supplémentaire : lorsque les soldats parlent de ce qu'ils feront après la guerre, Enders est le seul à n'avoir aucun projet. Voilà pour Enders.

Et Ben : Navajo père de famille, souriant, sympathique, amical, il s'est engagé par amour de son pays et est certain de faire le bon choix. Très rapidement, sa vivacité d'esprit et son don pour le code lui valent d’être repéré par les gradés et il est choisi pour la délicate mission de transmettre les messages codés de la première ligne aux postes en retrait de l'armée américaine. Profondément humain, Ben gagne vite la sympathie de la plupart des autres soldats de la section et contourne l'éventuel racisme qu'il rencontre par l'humour. Courageux au combat, il reste néanmoins perplexe devant la folie furieuse qui semble parfois prendre Enders lorsque ce dernier est en première ligne.

Windtalkers
 

Woo s'investit beaucoup dans la représentation et l'évolution des liens unissant Enders et Ben. Dans un premier temps, à la curiosité de Ben répond l'indifférence de Enders, mais le combat les rapproche forcément. Commence alors une relation faite de respect (pour les traditions indiennes de l'un ou pour les prouesses "guerrières" de l'autre), de protection (celle "professionnelle" d'Enders envers Ben et l'aide de Ben devant le désarroi émotionnel d’Enders) et d'amitié. Se ressemblant plus que Enders ne le concevait au départ (Ben est catholique, comme lui), les deux hommes ont une influence réciproque dont la dynamique est assez intéressante. Enders se "ré-humanise" au contact de Ben, il se calme un peu se décide à lui raconter son histoire, se confie. Ben est le lien qui le raccroche à la vie : il l'encourage à répondre aux lettres que Rita lui envoie et lui propose de venir rencontrer sa famille (femme et fils) après la guerre chez lui, en Arkansas, dans la magnifique Monument Valley.
Paradoxalement, si Enders se calme peu à peu au contact de Ben, ce dernier perd progressivement son innocence initiale. Dépassé dans un premier temps par les combats, il calquera son comportement sur Enders pour finir par devenir aussi sauvage et violent que lui pendant les assauts (le visage surpris de Ben est alors remplacé par celui tout aussi étonné de Enders devant la brutalité de Ben). Cette évolution contrastée est fort intéressante.


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WOO'S NEXT
Woo met également en parallèle à cette relation celle entre Ox (autre soldat américain) et Whitehorse, un autre Navajo connaissant également le code et par ailleurs bon ami de Ben. Ici, les rapports sont inversés: ayant beaucoup plus de mal à s'adapter que Ben, Whitehorse s'enfonce dans la solitude et accepte très mal les "vannes racistes" des autres soldats. C'est Ox qui à force de patience créera un réel contact entre eux, celui-ci passant par le biais de la musique : Ox joue de l'harmonica et Whitehorse de la flûte indienne. Ox renoncera en fin de compte à accomplir sa mission au moment où ils sont sur le point de se faire prendre par l'ennemi, préférant tuer un soldat les menaçant que d'exécuter son ami pour protéger le code. Ox paiera ce choix au prix fort. Et ce sera à Enders de tuer Whitehorse (avec l'accord muet de celui-ci) pour suivre les ordres.
Ce geste a un impact énorme sur l'amitié entre Enders et Ben, bien entendu : Constatant que Enders a encore fait passer les ordres avant l'humain, il veut le tuer, hésite, puis y renonce. Le côté fascinant de cette scène est de voir qu'Enders ne fait absolument rien pour l'en empêcher. C'est lors du dernier combat, alors que l'Ile pour laquelle se bat la section est pratiquement conquise, qu'Enders devra faire le même choix par rapport à Ben. Et là, Enders laissera enfin parler son humanité au lieu de suivre les ordres. Refusant de tuer Ben, il arrivera à sauver son ami. Mais la rédemption et la paix de l'âme qu'Enders a enfin gagnée, il la paiera très cher.

Windtalkers
 

Tous ces éléments ne doivent pas faire croire que Woo néglige totalement les scènes de combat. On est aussi dans un film de guerre, et Woo ne l'oublie pas.
Il livre des séquences de combat dynamiques, brutes : le sang gicle, les corps flambent et hurlent et les amis mourants sont achevés au feu du combat. Woo se permet même des scènes inattendues : au détour d'une route, la compagnie des héros se fait canarder par l'artillerie lourde d'une autre section américaine, ignorant qu'elle bombarde les leurs. Cette représentation sans concession d'un "Friendly Fire" nous prend au dépourvu de par son caractère inhabituel et absurde. D'autre part, si les combats et échanges de tir sont là, il a également quelques corps à corps à l'arme blanche assez bien troussés. Notons également que le film dispose d’une version longue, disposant d’une excellente réputation et censée rehausser encore l’intérêt de sa vision.

Woo nous sert-là quelque chose de bon, c’est indéniable, mais ce film a les défauts des qualités de son auteur. Les clichés ne sont pas évités (le soldat qui a peur de mourir veut confier sa bague à un pote, l'amitié virile...) et les effets sont parfois trop appuyés (les drapeaux américains, le délire d'Enders au milieu des tombes, le duo des instruments).
Non, Windtalkers n’est pas La Ligne Rouge. Non, ce n’est pas Voyage Au Bout De L’Enfer.
Non, mille fois non, ce n’est pas Saving Private Ryan. Mais au fond, ce n’est pas ce qu’on lui demande. Et c’est très bien comme ça.
Un film imparfait ? Certainement. Mais la sincérité et l’humanité de Woo y sont tellement prégnantes que l’on ne peut que l’aimer.


WINDTALKERS
Réalisateur : John Woo
Scénario : John Rice & Joe Batteer
Production : John Woo, Terence Chang…
Photo : Jeffrey L. Kimball
Montage : Jeff Gullo, Steven Kemper & Tom Rolf
Bande originale : James Horner
Origine : USA
Durée : 2h14
Sortie française : 4 septembre 2002




   

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