Wonderfalls + Pushing Daisies

Le nébuleux destin de Bryan Fuller

Pushing Daisies

Si par le plus grand des hasards vous avez tenté l’expérience Dead Like Me, il y a de fortes chances pour que vous soyez passés à côté des influences de son créateur alors qu’il en est pourtant fortement imprégné.


On y perçoit essentiellement Tim Burton dont les points de vue émanent des funèbres aventures de Georgia. Si visuellement, on ne repère rien de flagrant, substantiellement, les traitements des deux auteurs se rejoignent par bribes. L’établissement administratif de Beettlejuice dans lequel une jeune fille témoigne de son regret d’avoir recouru au suicide en est un exemple probant qui laisse spéculer les inspirations de Fuller pour la construction de l’univers des faucheurs d’âmes. L’héroïne rappelle d’ailleurs la Winnona Rider des deux films de Burton, une adolescente solitaire. Mais le réalisateur de Mars Attacks! n’est pas l’unique référence, un français aussi l’a influencé avec un classique (quoiqu’on en pense) de la comédie dramatique, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Et là, tout devient limpide : personnage féminin et ambiance décalée, sa déclaration d’amour éclate aux yeux du spectateur réceptif.
Pourtant, rien ne laissait présager cette direction puisque le bonhomme débuta réellement sa fonction de scénariste sur le spin-of d’une série de science-fiction soit disant culte nommée Star Trek: Voyager (ah bon ? Vous en avez entendu parler ?). Passionné par le cinéma de genre, il persévéra en participant à l’écriture de Heroes, livrant beaucoup des meilleurs moments de la série. Entre temps, il adapta Carrie à la télévision, une oeuvre certes perfectible mais qui ne fait que confirmer ses aspirations. Horreur, Sci-Fi, comics, le jeune passionné prouve son talent de touche-à-tout des genres en s’attaquant à la comédie fantastique, le rapprochant de ses mentors.Il crée ainsi trois séries thématiquement similaires aux sujets absurdes mais propres à exprimer toutes les problématiques sentimentales et existentielles de la jeunesse.


WONDER AND FULL OF LOVE
Suite à son départ de Dead Like Me, Bryan Fuller développe la série Wonderfalls qui lui permettra de confirmer son talent de créateur d’univers et d’approfondir les thèmes qui lui tiennent à cœur tels que l’émancipation et l’intégration. Des sujets ne pouvant que refléter ses états d’âme tant ils sont scrupuleusement épluchés. Si bien que ses œuvres adoptent un ton confessionnel malgré ses airs de spectacle déjanté. Un divertissement réflexif mais abordable qui subira une fois de plus les dures lois de l’audimat. Vraisemblablement, il semblerait que le public favorise les programmes à suspense qui ne cessent d’ailleurs de se multiplier (mais il me semble l’avoir déjà écrit), un constat attristant qui laisse espérer une hypothétique lassitude chez le téléspectateur.
Cela n’empêche pas Fuller de persévérer en enchaînant avec Pushing Daisies, série dans laquelle il n’hésite pas à recycler et pousser son style à son paroxysme. Le résultat est à la hauteur de ses attentes, l’audimat explose, les critiques sont dithyrambiques, Bryan Fuller touche enfin le public. Un succès éphémère puisque la série ne tiendra pas plus de deux saisons. Pourtant ses deux dernières séries gagnent à être découvertes, à commencer par Wonderfalls.

Wonderfalls
 

Bryan Fuller y relate l’histoire de Jaye Tyler (la craquante Caroline Dhavernas vue dans Hollywoodland), jeune fille employée dans une boutique de souvenirs, le Wonderfalls, près des chutes du Niagara. La demoiselle se comporte de manière négative et égocentrique, occupant son poste avec une crispante désinvolture. Jusqu’au jour où un petit lion en cire lui adresse la parole et lui dicte sans explications des actions à exécuter. Si cet évènement l’effare, elle se résigne à les suivre sans savoir qu’il ne sera pas le seul souvenir animalier qui la conseillera : ces instructions lui permettront de commettre involontairement de bonnes actions la poussant au fil des épisodes à se remettre en question sur son comportement. Indépendante et célibataire jusqu’au bout des ongles, elle rencontrera au même moment un jeune barman qui ne la laissera pas indifférente.

Le pitch annonce la couleur, on assiste bel et bien une adaptation libre du métrage de Jean-Pierre Jeunet si ce n’est que l’auteur préfère se réapproprier son univers et lui injecter un élément fantastique, l’aspect fantaisiste n’étant dans l’original qu’utile à nourrir l’imaginaire des personnages. A l’instar de son modèle, Jaye contribue donc au bonheur des autres, suivant en Jeanne d’Arc moderne les ordres des objets qui l’entourent.
Fuller n’hésite pas à recycler ses thèmes favoris élaborant une fois de plus un parcours initiatique en reprenant là où il s’était arrêté avec Georgia. Il n’est donc pas étonnant que leur personnalité soit si proche et d’autant plus logique que la seconde soit plus âgée. Des détails pour certains mais un véritable approfondissement pour l’auteur qui continue à exposer les coutumières vicissitudes de la maturation. Chaque épisode l’oblige à se mêler de situations plus délicates les unes que les autres, qui lui enseigneront la manière d’aider son prochain plutôt que de se claustrer dans un individualisme néfaste. Niveau scénarii, cela vaut le détour : on peut y croiser une nonne qui a perdu la foi, un couple de perroquet devant copuler ou même une communauté indienne recherchant un nouveau guide. Traitée avec beaucoup d’humour et de second degré, l’auteur véhicule des messages positifs tels que l’émancipation, la communication et l’amour.Un sujet cher puisqu’il concentrera une majeure partie de la saison sur la liaison reliant l’héroïne au jeune barman trompé le jour de son mariage. Une relation qui évoluera, tout comme celles que Jaye entretient avec sa meilleure amie et sa famille.Parmi eux la sœur, puis le frère acquerront progressivement de l’importance, alors qu'ils nous étaient présentés au départ en tant qu'éléments perturbateurs, et l’aideront par la suite à traverser bons nombres d’épreuves.
Son frêre Aaron est incarné par Lee Pace (excellent dans The Fall)  et sa sœur Sharon par Katie Finneran que l’on a aperçue dans La Nuit Des Morts-Vivants de Tom Savini, un détail anodin qui s’est révélé être important lors du casting (et pour tout bon fan de zombies). Son personnage permettra à Fuller d’aborder son homosexualité, un brin évoquée dans Dead Like Me.
Une liberté d’expression employée telle une confession et abordant des sujets personnels dont la globalité demeurent inaboutis. Il serait d’ailleurs intéressant ne serait-ce qu’une seule fois d’en apprécier l’épilogue. Au lieu de cela, on désenchante de voir la série s’achever aux termes de treize épisodes laissant derrière elle de nombreuses intrigues en suspend. Mais le jeune philanthrope ne baisse pas les bras pour autant et profite d’une idée lumineuse pour continuer à alimenter son univers acidulé avec Pushing Daisies.

Pushing Daisies

 

VIVRE OU LAISSER MOURIR
L’idée de la série lui est venue pendant l’écriture de Dead Like Me, dont les intervenants possédaient implicitement ce don de tuer par simple contact. Le personnage principal Ned (Lee Pace, génial une fois de plus) peut redonner vie par simple touché mais non sans condition. Si l’être survit plus d’une minute, la nature rééquilibre la balance et la mort se doit d’agir à proximité. De plus, si le jeune homme retouche le ressuscité, il retourne dans l’au-delà définitivement.
Son talent attire l’attention d’Emerson, détective privé qui exploite ce don pour résoudre les affaires de meurtres qui lui font gagner son pain. Parallèlement, Ned gère le Pie Hole où il confectionne des tartes avec des fruits avariés, une autre alternative pour jouir de son pouvoir. Mais il ne travaille pas seul, la jeune Olive, demoiselle au tempérament de feu et secrètement éprise de lui l’aide, dans sa tache. Ce petit groupe va se retrouver chamboulé le jour où Emerson enquête sur Charlotte (Chuck pour les intimes), l’amour d’enfance de Ned. Si le jeune pâtissier parvient aisément à la ramener à la vie, il ne réussira pas à la renvoyer au paradis, troublé par les sentiments qui refont surface. En hébergeant la demoiselle, Ned va entretenir avec elle une idylle contrariée où l’absence de contact physique privilégie les déclarations et les gestes de substitution. Elle deviendra naturellement le trublion de l’équipe en perturbant les habitudes des deux duos trop organisés. Olive aime Ned qui aime Chuck qui dérange beaucoup Emerson. Un méli-mélo que Fuller continue d’embrouiller avec un plaisir évident lui permettant de disserter sur les sentiments et leurs effets.

Avec son interprétation géniale, ses dialogues qui fusent, ses intrigues ahurissantes, les qualités du show s’accumulent pour notre plus grand bonheur et le démarque astucieusement de la sitcom standard. En enrôlant Barry Sonnenfeld pour la réalisation du pilote (mais aussi en tant que producteur exécutif), il pioche la bonne carte. Souvenez-vous de ce spécialiste du fantastique tout public. Sa récente traversée dans le désert artistique ne l’empêcha pas de nous pondre les mémorables Valeurs de la Famille Adams et Men In Black. Formellement, ces œuvres ne sont pas des étalons du genre (quoique) mais l’énergie du réalisateur associé à un humour débridé a donné des scènes cultes, à l’image du spectacle au centre de vacance que Mercredi Adams saccage, une version live des Simpsons rarement égalée.
Heureusement, son talent est ici resté intact et il le déploie généreusement par l’intermédiaire d’un parti pris esthétique résolument rétro et coloré, des personnages secondaires extravagants mais très attachants et des intrigues pastichant gentiment les séries policières. Rien que pour cela, Pushing Daisies devient indubitablement l’une des séries les plus novatrices de l’année.

Pushing Daisies

 

BRYAN AUX MAINS D'ARGENT
Pour ne pas changer ses habitudes, Fuller y incorpore tous les éléments qui lui tiennent à cœur. Sleepy Hollow n’est pas loin avec son histoire de cavalier, Amélie Poulain non plus avec cette voix off permanente et ses flash-back. On y croise même le retriever de Dead Like Me et cette obsession pour la pâtisserie déjà présente chez Ruben. Des éléments visuels qui ne sont que la partie visible de l’iceberg et qui personnalisent astucieusement les créations de l’auteur ressortant les vieux démons qui l'obnubilent. L’épisode Bad Habits, par exemple, aborde à nouveau l’univers religieux au détour de quelques scènes, dont un portrait grivois de ces pratiquants fuyant les plaisirs interdits sans pour autant leurs tourner le dos. L’humour très bon enfant permet de faire passer les idées les plus folles sachant qu’elles tiennent plus de la facétie que du mépris. On est d’autant plus séduit lorsque celui-ci n’hésite pas, dans le même ton, à insérer quelques clins d’œil au cinéma comme avec 300, dont les ralentis évocateurs sont beaucoup plus cocasses que pour les parodies estampillées "Movie", car bien plus subtiles et déférentes. Fuller ose même taquiner ses concurrents en offrant une parodie gentillette des équipes CSI, qu’il confrontera à son propre univers pour bien prouver que la comparaison est futile (trois spécialistes inspectent intégralement une victime involontaire de Ned pour conclure à… une mort naturelle) même s’il est conscient que cela n’aura aucune répercussion sur le spectateur. Alors oui, le style de Fuller peut paraître parfois redondant, mais difficile de bouder une telle verve surtout lorsque le talent est omniprésent.

L’engouement des critiques est donc loin d’être hasardeux mais n’empêchera pas notre cher Bryan de devoir repartir à zéro et on redoute malheureusement de le voir cachetonner à l’avenir. En contrepartie il est fort probable que sa prolificité le mène très loin et ne le contraindra plus ultérieurement à jouer au script doctor sur une série façon Heroes même si sa coopération semble être attendue comme le messie. Lorsque généralement un nom suffit à sustenter les attentes, cela n’est pas sans raison. En ce qui le concerne, ce n’est qu’un une maigre consolation.


WONDERFALLS - SEASON 1
Réalisation : Todd Holland, Craig Zisk, Jeremy Podeswa, Michael Lehmann, Peter O'Fallon, Allan Kroeker, Jamie Babbit, Marita Grabiak, Peter Lauer
Scénario : Bryan Fuller, Gretchen J. Berg, Aaron Harberts, Todd Holland
Production : Bryan Fuller, Michael J. Maschio, Tim Minear,  Paul Rabwin, Krista Vernoff, Jason Harkins, Todd Holland
Origine : USA
Année : 2004
Durée : 13 x 42 minutes

PUSHING DAISIES - SEASONS 1 & 2
Réalisation : Barry Sonnenfeld, Lawrence Trilling, Adam Kane, Peter O'Fallon, Allan Kroeker, Peter Lauer
Scénario : Bryan Fuller, Lisa Joy, Peter Ocko, Gretchen J. Berg, Aaron Harberts
Production: Bruce Cohen, Bryan Fuller, Livia Hanich, Dan Jinks, Barry Sonnenfeld, Scott Nimerfro, Peter Ocko, Dylan K. Massin, Davey Holmes
Origine : USA
Année : 2007
Durée : 9 x 42 minutes et 13 x 42 minutes