The Good Place

Hell's Bell

Affiche The Good Place

En l'an de grâce 2001, l'univers pépère des sitcoms se vit chamboulé par une bombe venue d'Angleterre, The Office, faux documentaire satirique scrutant par son unique caméra la vie quotidienne d'une moyenne entreprise.


Une fois n'est pas coutume, son remake américain fut un modèle d'adaptation. A la satire grinçante d’un boss embarrassant, le showrunner Greg Daniels et son équipe optèrent dès la deuxième saison pour une empathie durable envers une poignée de personnages imparfaits mais attachants, qu’on aimait retrouver toutes les semaines dans ce contexte bien banal. Cette familiarité se prêtait davantage à la production intensive de saisons de vingt épisodes alors que son homologue anglais n'en comptait que douze. Mais elle se justifiait aussi par une particularité de l’ADN des sitcoms US qui prit forme durant les années 80, alors que des millions d’américains se posaient régulièrement devant NBC et Cheers. Cheers se déroulait presque intégralement dans un bar et suivait les échanges d’une poignée de personnages si bien croqués qu’on pouvait s’asseoir sur la banalité de leurs existences et apprécier leur compagnie. Après des débuts balbutiants, le groupe fit un hold-up du public américain durant plus de dix saisons. Dans ses meilleurs moments, The Office US en était le digne successeur, parvenant à nous faire croire que le travail pouvait être un endroit où on aime se rendre. Un comble lorsque le générique de Cheers défendait son enseigne comme un sanctuaire pour les personnages tels que Norm (1) qui pouvaient trouver dans ce bar un réconfort social absent de leur foyer ou de leur travail. Avec The Office US, le lieu, les personnages, les seconds rôles et le G.O étaient là, l’ADN pouvait se perpétuer au sein de ce rigide ordinaire grâce à un certain Michael Schur.

The Good Place


Ancien du Saturday Night Live, fervent défenseur de Cheers (2) et sûrement l’élève le plus talentueux de la promotion de scénaristes de The Office US (dont faisait partie Mindy Kalling qui lança elle-même sa propre sitcom, The Mindy's Project), Michael Schur ne tarda pas à dépasser le maître. Avec Daniels, il engendra Parks & Recreation, mettant dans le rôle de Michael Scott la pétillante Amy Poehler, électron libre au milieu d’une équipe de fonctionnaires du service des parcs du petit village de Pawnee, Indiana. Rapidement seul showrunner sur Parks & Rec, Schur s'employa à faire de la politique et du service public des sacerdoces pour des personnalités qui n’étaient pourtant pas prédisposées à se lever le matin pour aider leur prochain. Ayant rendu le fonctionnaire et le trou du cul des Etats-Unis sympathiques et hilarants, Michael Schur ne s’arrêtait pas en si bon chemin : la vie de flic est une vie de chien, le commissariat c’est la mort, et si on balançait Andy Samberg mener la danse parmi une bande de condés un peu dingues et dédramatiser des années de polars un peu trop sérieux ? Et si on poussait le vice jusqu’à pervertir le très sérieux Frank Pembleton de la série Homicide ? Et si le commissariat était the place to be, même pour le malfrat arrêté à l’occasion ? Vendu. Et vinti Brooklyn 99. 
Le dernier effort de Michael Schur en cette rentrée 2016 est sans doute le plus déroutant car il veut maintenant nous vendre une sitcom se déroulant au paradis ! The Good Place décrit un monde où les personnes qui ont totalisé le plus d’actions aux répercussions heureuses (le calcul savant et expliqué dans le pilote) sont amenées à venir après leur mort. Tout y est fait pour que leur repos soit magique : souhaits exaucés, âme soeur et félicité éternelle. Tout cela est bien sympathique mais un peu chiant. 

The Good Place

Mais on se doute que notre showrunner trouvera bien un moyen de faire de cet environnement trop conventionnel un lieu où on se sent bien. Un grand bug dans la machine, digne de l’introduction de Brazil, introduit Eleanor Shellstrop (Kristen Veronica Mars Bell). Pour l’architecte des lieux Michael, elle est une avocate altruiste qui a sauvé des innocents du couloir de la mort. Mais il s’agit en fait de l’homonyme d’Eleanor, une cynique qui a consacré à peu près toute sa vie à ne penser qu’à sa pomme. Eleanor ne comprend pas ce qui lui arrive, mais elle ne révèle l’erreur qu’à l’âme sœur qu’on lui a attribuée, un professeur d’éthique d’une droiture qui force le respect, et pour qui ce paradis sera dès lors un enfer de mensonges et de compromissions. En réaction à l’intruse, les lieux deviennent le théâtre de manifestations apocalyptiques. De peur d’être renvoyée en enfer avec les gros salauds et les gens moyens, Eleanor veut s’amender, mais le chemin sera long et demandera l’aide du professeur. Mais peut-on réussir à devenir bon quand tout part d’un mensonge ?

The Good Place

Eleanor n’est que l'élément déclencheur qui mène à la révélation progressive d’un groupe d'individus. La mécanique grippée dévoile lors des neuf premiers épisodes des personnages plus complexes que cet univers très manichéen pouvait laisser voir, à coup de flashbacks "Lostiens" sur leur vie sur Terre. Nous découvrons autant les raisons qui ont mené certains aux bonnes actions que les névroses de ceux qui ne seront qu'un écho au paradis. L’architecte dépassé mais sincère, avec sa passion des objets humains, est lui-même inhabituel parmi les siens. C’est l’occasion de revoir Ted Danson, le barman de Cheers, briller de nouveau par son remarquable timing comique.
Comme dans
Parks & Recreations et Brooklyn 99, la force du show est dans les contrastes, son ressort comique réside dans le choc vécu par les personnages et ce qu'ils pourront apporter à autrui pour construire une amitié amenée à se développer sur plusieurs saisons (on en sent déjà tout le potentiel). Arc de cette première saison, le grand secret d'Eleanor s'évente très vite et laisse place à de futures intrigues plus imprévisibles, dont l’entrée en piste des envoyés du "mauvais endroit" (l’enfer) pour régler le contentieux, qui laisse présager un affrontement à la Pawnee contre Eagleton et laisse envisager que ce paradis va être mis sens dessus dessous par des énergumènes venus de tous horizons.

The Good Place

Loin de ressasser les vielles recettes, The Good Place, en quittant le lieu de travail et les réunions entre collègues, entend donner un nouveau souffle aux sitcoms de networks, et notamment pour NBC qui en a bien besoin. Par son une histoire fleuve multipliant les cliffhangers, son chapitrage, sa musique hors du temps et des personnages amenés à emprunter un parcours moral, The Good Place est nettement plus structurée que les sitcoms précédentes de Schur. Et par ses décors acidulés et son récit initiatique, cette série inaugure également une facture visuelle plus cinématographique. 
On avait vu l’aisance avec laquelle Michael Schur pouvait mêler la comédie à l’anticipation avec la dernière saison de Parks & Rec. Ici, The Good Place reprend des éléments terriens dans un traitement fantastique discret pour la simple et bonne raison que le paradis de chacun est constitué de ce qu’il aimait le plus sur Terre (l’enfer étant les pires cauchemars, en boucle), et est principalement utilisé à des fins comiques, prétexte à des situations loufogues ou d’introduction de personnages secondaires bigger than life (l’excellente base de données "humaine" Janet). Si la folie des personnages à la Schur est toujours là, le show est aussi plus réflexif. On y traite ouvertement des questions d’éthique et de nos contributions à rendre meilleur un monde imparfait, allant jusqu’à citer des philosophes utilitaristes. Chaque épisode tend ainsi à inscrire le parcours d’un des personnages via ces interrogations, donnant à The Good Place l'aspect d'un laboratoire des morales.

Toutes ces belles perspectives laissent présager que ce paradis en plein bug pourrait bien devenir le prochain lieu où on se sentira chez soi. La dernière partie d'une première saison de treize épisodes, diffusée sur NBC dès janvier, devrait nous le confirmer.




(1) Incarné par George Wendt, Norm Peterson était le plus célèbre pilier de bar de la série.

(2) Il ne s'en cache pas dans l'interview donnée dans le très bon ouvrage de Mike Sachs, Poking a dead frog, qui révèle également ses autres influences.


THE GOOD PLACE
Créateur / Showrunner : Michael Schur  
Scénario : Michael Schur, Josh Siegal, Alan Yang, Aisha Muharrar, Joe Mande, Megan Amram, Dylan Morgan, Matt Murray 
Réalisation : Drew Goddard, Michael McDonald, Beth Mccarthy Miller, Payman Benz, Morgan Sackett, Trent O'Donnell, Tucker Gates 
Production : David Miner, Michael Schur, Morgan Sackett
Durée : 13x22 minutes (9 épisodes diffusés, suite en janvier 2016)
Origine : USA
Sortie française : Inconnue (diffusée sur NBC depuis le 19 septembre 2016)