La mort en jaune

Décès animés

La mort chez les Simpson

L’instant Simpson, c’est un petit moment convivial entre parenthèses, une chronique de fanatique qui délire sur la richesse d’un des plus bels objets de la pop culture.


Histoire de rappeler que vingt minutes bien taillées de fiction peuvent virer au chef-d’œuvre, que le bébé de Matt Groening ne se limite pas à ses gags du canapé, que derrière une légende il y a le mythe d’une histoire et que derrière le mythe de la légende il y a l’histoire du…euh…et vice et versa.

Qui dit retour des fêtes dit sérénité, qui dit nouvelle année dit bonheur en sus, attentes candides, perfection mondiale, rires, joie, et tout et tout et tout. Une superbe occasion, en définitive, pour scruter notre série préférée sous l’angle de… la mort !

Comment ça, non ?


Chaque spectateur fidèle, conservant un rapport affectif puissant envers le médium simpsonien, un lien quasiment intime avec la famille jaune (à force de visionnages et de revisionnages), sait que pour chaque instant de subversion explosive, de parodie hilarante ou de vannage subtil il faudra également compter sur un moment de sensibilité, que d’aucun décriraient parfois comme fleur bleue. Mais au-delà de ces estimables moments où l’émotion prend le pas sur le gag - quand bien même, la plupart du temps, les deux ne font qu’un ! - se trouve une autre façade, bien plus fragile. Car si Groening et ses scénaristes ont de prime abord su transformer les croquis satiriques grossiers que représentaient les shorts episodes du Tracey Ullman Show pour en faire de véritables histoires à échelle humaine, l’ambition fut finalement encore plus maousse que les intentions originelles !
Puisqu’il n’est pas seulement question de ses scènes touchantes de réconciliation / évolution quasi-obligatoires (un personnage découvre ses erreurs / défauts), mais bien de la manipulation de la thématique la plus usitée qui soit : la mort, son intrusion insidieuse, sa perception… et son acceptation.


Panorama à travers quelques zodépis…

La mort en jaune
 


BACK TO THE ROOTS
Ignorer que ce thème est indéniablement attaché au show, c’est oublier les racines mêmes de ce dernier. Souvenez-vous ! Dès la deuxième saison, Un Poison Nommé Fugu donnait le ton, en s’inscrivant dans la veine particulièrement dépressive des quelque vingt premiers épisodes. Oui, car les deux premières saisons ne sont pas avares en sujets pour le moins pessimistes, maussades, pas vraiment accessibles à tous : la famille est soit perdante (Noël Mortel) soit cinglée (Simpsonothérapie), Bart est tabassé (Terreur A La Récré), Lisa se tape une déprime monstrueuse (Ste Lisa Blues), Marge doute sérieusement de sa compatibilité avec Homer (Marge Perd La Boule), le gamin rebelle décide de lutter contre sa médiocrité (Aide-Toi Le Ciel T’Aidera), quand il ne fuit pas insolemment ce cercle familial qu’il rejette (La Fugue De Bart).
Pour résumer, les relations sont placées sous le signe du conflit (jusqu’à l’électrocution !), de l’inadaptation, du refus de faire partie d’une "communauté". De plus, l’aspect un brin glauque de l’ensemble est comme renforcé par une animation encore approximative, et, chez nous, par des VF assez hésitantes.


Bref, quelle plus belle logique que de consacrer tout un épisode à cette facette désenchantée de la série ? Revenons-en à nos moutons : c’est Nell Scovell, futur créateur de la série Sabrina (bah ouais), qui se met en tête d’écrire un récit où Homer, ayant avalé un Fugu (poisson dont la confection doit être minutieuse et précise), apprend qu’il va bientôt mourir, la poiscaille, mal préparée, provoquant le trépas de celui qui l’ingurgite !

Le ton est donné d’emblée : pour la première fois, le pas est franchi, et la série accède à cette fameuse étape de "maturité" où une création englobe à l’intérieur de sa stature fictive l’idée bien réelle de mortalité. C’est un élément essentiel puisqu’il dépeint les personnages comme des êtres de chair, et non comme des esquisses caricaturales seulement bonnes à servir de vecteurs, d’excuses, à la chronique sociétale. Cela permet également de présenter les spécificités stylistiques de la série, où, à chaque fois, l’humour est accolé à la gravité. Ainsi, d’un Homer qui fait état en une seule minute de toutes les réactions classiques face à la mort, tandis que le docteur Hibbert lui explique ces mêmes étapes (un gag efficace), l’on passe à toute une progression narrative où Homer ne peut qu’être lucide et accepter la mort… La fin, évidemment optimiste, n’en est que plus forte, puisque le spectateur comprend son attachement pour Homer Simpson, figure pathétique mais sauvagement attachante (comme peut l’être le David Brent de The Office UK).
La mort, dans Les Simpson, permet paradoxalement aux scénaristes de donner vie à leurs archétypes : le bouffon Homer y gagne terriblement en épaisseur. L’empathie dans l’antipathie. (…et Selma ?)


Ste Lisa Blues
Ste Lisa Blues


Bizarrement, tout ce qui va "schématiser" la série est dans cet épisode : le père de famille a de mauvais rapports avec sa fille et décide, ô miracle, de l’écouter (l’écouter jouer du saxo une dernière fois), posant les bases du sempiternel conflit opposant Lisa et Homer, ce même paternel veut enfin avoir une conversation digne de ce nom avec son unique fils, comme avec Maggie qu’il ignore la plupart du temps, renouer le contact avec son père (dont le délaissement sera souvent objet de gags cruels) et, de péripétie en péripétie, Homer parvient finalement à atteindre les deux axes qui lui sont si précieux : à savoir retrouver sa bande de potes au bar de Moe (le genre de scènes qui revient presque à chaque épisode) puis, enfin, sa femme. Impressionnant de se rendre compte à quel point une multitude d’épisodes sera (ou a été) consacrée aux relations, houleuses comme amoureuses, entre Homer et Marge. Dans cette même saison, un épisode tel que Il Etait Une Fois Homer Et Marge en est le symbole explicite : trois scénaristes majeurs (Mike Reiss, Al Jean et Sam Simon) racontent en vingt minutes la rencontre de ces deux personnages.

Le constat est franchement évocateur : Les Simpson, c’est cette série où tout est possible, et, mis à part Mais Qui A Tiré Sur Mr Burns ? (génial hommage au grand Hitch), les récits ne doivent pas se suivre. Ainsi, toute mort peut être effacée, tout événement a peu d’incidence sur la suite, on oublie et on repart à zéro ! Et c’est cela que nous montre la dernière scène : après avoir risqué la mort, Homer profite de la vie, en… se calant dans un canapé et en matant la télé. Tout est omis, on rembobine ! Case départ.

D’ailleurs, Homer risquera une nouvelle fois de pousser son dernier soupir : Oh, La Crise… Cardiaque (4x11) pose les mêmes enjeux, et même si la finalité est facilement devinable (il est évident qu’un perso devenu si essentiel au fil des épisodes ne va pas mourir), tout cela surligne une nouvelle fois l’usage de la mort comme effet de suspens émotionnel et ressort narratif (la famille, d’ordinaire bien déstructurée, séparée, finit par se réunir). Même Petit Papa Noël, le chien de la famille, était à deux doigts de clamser dans Chienne De Vie (3x19) ! C’est dire si les scénaristes en veulent presque à leurs créations…

Oh, La Crise… Cardiaque
Oh, La Crise… Cardiaque


O RAGE, O DESESPOIR
Mais en vérité, si une figure de la cellule familiale ne peut périr (ce qui équivaudrait certainement au suicide commercial), il n’en est pas de même pour les personnages secondaires. Un épisode très intéressant, par son illustration de la mort, c’est Salut L’Artiste (6x22) ! Murphy Gencives Sanglantes y périt sous le regard désemparé d’une Lisa qui se trouve alors dépourvue de figures à suivre, de héros pour ainsi dire. Il faut le comprendre, il ne s’agit pas d’un anodin character balancé dans un cercueil imaginaire. Murphy Gencives Sanglantes est un saxophoniste de renom dont le moment de gloire n’a jamais eut lieu, et qui, en plus du rapport concret qu’il entretient avec la petite Lisa (tous deux jouent du saxo) est une sorte de remède à la mélancolie de la jeune intello. Ste Lisa Blues (1x06) introduisait ce "second couteau" comme une bouée de sauvetage face à une Lisa déprimée, car découvrant que les mentalités l’environnant correspondent à tout sauf à son état d’esprit, ses passions, ne permettant pas son accomplissement personnel (le fameux leitmotiv de la Lisa qui se cherche spirituellement et voit en autrui un cauchemar à éviter). Pour le coup, Salut L’Artiste ne parle ni plus ni moins que de la rencontre frontale entre une gamine et la mort d’un proche.


C’est encore une fois Mike Reiss qui s’occupe de l’écriture du personnage de Murphy. Et, enfin, cette fataliste de Lisa semble accepter à travers la mort de son mentor sa propre condition, comme si les scénaristes voyaient en l’acceptation de la mort une sérénité personnelle. Puisque c’est par la musique (la passion de Lisa s’il en est) que tout se conclut : le titre de Ste Lisa blues évoquait la nostalgie comme le genre musical du même nom, et là encore tout se finit par du jazz. Et ce grâce à Bart, qui semblait alors n’être que le simple élément comique périphérique dans cette histoire dramaturgique, preuve que chaque perso est essentiel à l’intrigue qui se développe. "Jazzman", plus qu’un morceau en forme d’in memoriam touchant, s’introduit à l’intérieur d’une séquence finale où, pareillement, le gros gag parodique (à côté du fantôme de Murphy débarque celui de Darth Vader) ne fait qu’un avec l’émotion…et l’humanité !

Salut L'Artiste
Salut L'Artiste


Comme Community, Les Simpson est peu à peu devenue une série qui traite du changement, de la compréhension d’autrui (et de soi par extension), dans la mesure ou, à un moment ou à un autre, ne serait-ce que le temps d’un épisode, le personnage sujet à une problématique quelconque COMPREND ses erreurs et assimile le bon comportement à adopter. C’est là le b-a.ba d’une histoire digne de ce nom : situation initiale, péripéties, souci à résoudre, insouciance de la séquence finale. En attendant la suite.

Dans cette série, aucun thème n’est choisi au hasard, et généralement les idées les plus graves contribuent à la profondeur des personnages et vont de pair avec la dimension comique du spectacle. Le plus beau taf scénaristique se démarque en cela qu’il use du thème principal pour justement surligner la richesse de ce qui nous intéresse vraiment, hormis les touches cyniques, les pastiches, le timing burlesque. A savoir les figures créées pour le spectateur et qui ont la capacité de mûrir avec lui, fusse t-il dans un microcosme aussi foutraque. L’occasion pour passer directement à l’un des plus beaux spécimens tragiques de la création groeningienne… (z’avez vu cette transition de ouf, toi-même tu sais)


RESPECT DANS L'ETERNEL
L’adage dit que respecter la notion même de dramaturgie, de construction, d’histoire, respecter ses êtres de papier, c’est respecter son public. Et parfois, respecter son public, ce n’est pas l’habituer à une douce tranquillité, à des habitudes qui sont autant de running gags et autres mimiques mythiques. Non, respecter son public c’est volontiers le désarçonner.


La mort, dans la série, est particulièrement attachée à l’idée d’humour slaptstick, car qui dit Mort dit Douleur. Or, si Homer se prend d’innombrables coups dans la gueule (et ailleurs), ce qui est souvent une manière de se référer aux pitreries physiques des Trois Stooges, si Bart se fait généreusement étrangler, quand il ne s’agit pas de personnages secondaires dont le trépas ou la "torture" ne seraient qu’un gag gratuit (pauvre Gil ! pauvre TaupeMan !), le public n’a soudainement pas la même appréhension du trépas quand il découvre le quatorzième épisode la onzième saison de sa série fétiche. Mais qui pouvait deviner un tel tournant ?

Voyez plutôt : le scribouilleur chargé de nous conter le récit en question, Ian Maxtone-Graham, est le même qui fut responsable de quelques-uns uns des plus tordants, géniaux et truculents moments de comique simpsonien en diable. Homer Contre New York (9x01), ce massacre en règle de la Grosse Pomme, c’est lui. Vive Les Eboueurs (9x22), ce pied de nez social, c’est lui. Pour Quelques Milliards De Plus (9x20), où il est autant question de déclarations d’impôts que de Fidel Castro, c’est encore lui.

Ned Flanders
 

Bref, personne ne s’attendait à ce fameux épisode, et d’aucun le juge désormais comme précieux. Evidemment, il s’agit de Adieu Maude.
Lors d’un événement populaire, la femme de Ned Flanders est percutée violemment par un…t-shirt (!) et tombe d’une estrade, chute qui lui sera fatale. Tout va alors tourner autour d’un schéma traditionnel et non moins philosophique, soit le chemin initiatique de Ned se devant d’affronter et d’accepter la mort pour mieux "revivre" (comme dirait Gérard Manset, trop mdr). Plus qu’un impact dramatique, c’est une évolution narrative qui se trame, là, sous les yeux du spectateur !


Oui, car ce parcours emprunté pour se confronter à la réalité de la mort (réclusion, tristesse paralysante, soutient maladroit des proches, et même, le temps d’un "gag", reniement de la Foi) c’est aussi le parcours du spectateur-fan qui comprend qu’à un moment ou à un autre, l’évolution est obligatoire.
Prenez Ned Flanders : dans la deuxième saison ( par exemple, Mini-Golf, Maxi Beauf), c’est une caricature facile, le voisin qui inspire la jalousie et l’énervement. Le personnage va progressivement s’épaissir afin d’incarner le croyant hardcore tout gentillet, à la vie de famille parfaite, aux croyances en béton, l’opposé de l’anarchisme revendiqué par la famille jaune. Et Adieu Maude nous prouve alors à quel point ce personnage secondaire, devenu ici principal, éprouve aussi des sentiments, en s’accaparant l’histoire émotionnelle de l’épisode, qui ne concerne plus les relations familiales mais la perception de la mort par ce voisin jusqu’alors matériel, sorte de gag à répétition (sa façon de parler, son apparente transparence), et dont le scénariste, aidé par les musiques sentimentales de Alf Clausen, explore alors la dimension humaine. Plus que de faire le focus sur Ned, c’est remettre en question l’attachement que porte le spectateur à Homer. Effectivement, ce dernier est quasiment responsable de la mort de Maude : c’est à cause de lui que des bimbos ont "tiré" (à coups de bazooka !) des t-shirts, c’est à cause de lui que les t-shirts sont allés percuter Maude, c’est parce que sa bagnole était mal garée que l’ambulance n’a pu arriver à temps. Et tous ces éléments d’être énoncés par ledit personnage lors d’un gag assez audacieux puisqu’il résume de manière humoristique cette tragédie ! Du pur burlesque…


Si la raison d’être d’un tel épisode est également très concrète (la doubleuse de Maude devant partir, le départ du personnage était ainsi évident !), elle se résume également à un pari fou, qui est de prouver les particularités d’une série, soit ce mix entre drame et comédie. Le divertissement à son meilleur…
A ce titre, si le prestige de son nom fait un peu trop ombrage au reste de la troupe, il faut saluer l’apport déterminant d’un scénariste tel que Al Jean qui apporta à la série un éclectisme franchement incroyable, du non-sens (Mon Pote Michael Jackson, 3x01) à l’outrancière parodie (Shary Bobbins, 8x13) en passant par la co-écriture de la majorité des zodépis cités depuis les premières lignes de ce papier. Adieu Maude, c’est un peu l’héritage de cet éclectisme improbable !


Adieu Maude
Adieu Maude


Comme dans les meilleurs spécimens de la série, l’objet fait quasiment état d’exercice de style puisqu’il fait trébucher le spectateur en remettant en question ses attentes. L’Ennemi D’Homer (8x23)nous peignait la famille jaune telle qu’elle pourrait être décrite "dans la vraie vie" (presque détestable). Certains épisodes "métas" n’hésitent pas à jouer avec la popularité insensée de cette même famille et à briser le quatrième mur : ainsi Derrière Les Rires (11x22), petit chef-d’œuvre d’originalité, prenait la forme d’une émission TV sensationnelle chargée de résumer la grandeur et la décadence des Simpson. Et Adieu Maudeparticipe à cette même audace : la gravité adulte est assumée à travers le prisme du divertissement familial, et, en seulement vingt minutes, un personnage affronte un problème et semble commencer à la résoudre durant les dernières secondes.

Respect du schéma ancestral de l’histoire, respect de sa création, et respect du public.


AND NOW, FOR SOMETHING PAS COMPLETELY DIFFERENT
Dans le même genre, personne n’a oublié le départ soudain de Mona Simpson. Mona Simpson, qui est, comme l’indique l’épisode du même nom, la mère d’Homer (le Conseil de l’Humour Drôle m’a interdit de faire un jeu de mots là-dessus) (ndlr : on se disait aussi), semblait être destinée à revenir constamment au fil des épisodes à la manière d’une rengaine monotone. Tout comme Tahiti Bob, dans les dernières saisons, accumule ses overdosants come-back et ce à l’infini, Mona Simpson était condamnée à toujours reproduire le même plan : revenir subitement pour partir tout aussi subitement et refaire le coup ad nauseum.
Et pourtant, voilà que la boucle est bouclée, avec Mona De L’Au-Delà (19x19), un adieu à la figure maternelle à double niveau. Effectivement, si Homer perd bel et bien sa tendre et chère mère, il en était de même pour Dan Castellaneta, offrant ces quelques instants de deuil version dessin-animé à sa maternelle, Elsie. Un hommage qui gagne encore plus en émotions et laisse notre gaffeur favori en plein songe, grand enfant mélancolique qu’il est parfois (voire TOUJOURS quand il revoit Mona), par le biais d’un flash-back qui rejoint les plus sentimentaux moments de la série. A travers ce genre de séquences, c’est l’âme d’un show cruellement à bout de souffle qui semble encore briller de mille feux.


Mona De L'Au-Delà
Mona De L'Au-Delà


Qu’il est étrange de découvrir de telles scènes, où la gravité se marie à une douce nostalgie, quand l’inconscient du spectateur est gavé de ces instants gorasses et décomplexés composant les Simpson Horror Show où la mort devient cartoon, grand-guignol, délirante, potache, running-gag. C’est d’ailleurs Homer qui incarnera, dans la saison 15, la Grande Faucheuse en personne.

Histoire d’en finir, une bonne fois pour toute, avec cette sacrée crevure…