Generation Kill

American war trip

Affiche Generation Kill

L’après Sur Ecoute rime avec guerre en Irak pour David Simon et Ed Burns, qui nous invitent à revivre les premières heures de l’invasion américaine en 2003.


Evan Wright, journaliste pour Rolling Stone a passé plusieurs mois avec des marines lors des missions de reconnaissances en Irak. Il en est sorti une série d’articles rassemblés en un roman Generation Kill, qui conte son expérience au sein du groupe. C’est sans doute l’absence de concessions de ses écrits vis-à-vis des Marines et la fidélité à ce qu’il a observé qui ont convaincu le tandem d’adapter le roman en une série de sept gros épisodes (plus d’une heure chacun) pour HBO. La team s’est adjoint les services d’Evan Wright au scénario, est parti tourner en Namibie, au Mozambique et en Afrique du Sud et nous revient avec le compte rendu le plus intéressant sur l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis.

Generation kill
est un road movie en sept parties qui suit quotidiennement et au plus près la progression de la première unité de reconnaissance des Marines de la base de Matilda du Koweit jusqu’à Bagdad. A la manière d’un Gus Haynes (le journaliste alter ego de David Simon dans la cinquième saison de Sur Ecoute) et dans l’esprit de l’auteur des articles, les adaptateurs n’édulcorent pas leur sujet et ne cherchent pas à apporter du sensationnel ou des climax hors de propos à leur histoire. Le but est avant tout de rendre compte de ce qui est souvent occulté dans les reportages sur la guerre diffusés par les chaînes américaines, de donner la parole aux Marines, de suivre à la manière d’un documentaire et de retranscrire de façon exhaustive ce quotidien, parfois plus morne et plus apathique que rythmé. Un journaliste de Rolling Stone, qui n’est autre qu’Evan Wright interprété par Lee Tergessen (Tobias Beecher dans Oz) suit le groupe. On devine son point de vue au détour de quelques plans ou réflexions, et de part son statut, mais il demeure en retrait à l’arrière d’un Humwee. David Simon et Ed Burns le sont demeurés aussi, n’opérant que pour mettre en valeur l’histoire et les personnages que le matériau brut leur a donné par une réalisation appropriée, un montage privilégiant les réactions et une progression dramatique discrète mais efficace. Le générique est aussi discret, dévoilant le titre de la série sur fond de communications radios. La réalisation soignée, tantôt énergique et cadrée serrée, tantôt offrant le panorama des paysages irakiens s’accompagne d’une reconstitution bluffante à l’échelle d’une série TV et d’un arrière plan sonore très travaillé. Tellement travaillé qu’on a  parfois l’impression d’accompagner les Marines dans leur Humwee au même titre que le journaliste.

Generation Kill
 


LES MAÃŽTRES DE GUERRE
Generation Kill traite de l'invasion irakienne et de la manière dont les Marines la vivent. Il ne faut pas compter voir des Marines idéalisés, ceux-ci ont peu de chances de devenir vos amis, ils sont entraînés pour se battre et ils sont là volontairement. Les premières scènes nous décrivent une compagnie de gamins belliqueux qui emmerdent ouvertement ceux qui prônent la paix et pour qui l’hypothétique mort de J-Lo serait un drame d’Etat. De nombreux personnages sont introduits dès les premières images et contrairement à Sur Ecoute qui réservait des plages intimistes à ses protagonistes, on aura peu d’occasions de les voir autrement qu’en groupe. Il n’y a que peu de place pour l’individu au coeur d’une guerre, d’autant moins qu’on parle ici d’individus formés dans un moule et liés à un corps très discipliné. La sélection volontaire d’acteurs peu connus (dont certains, comme Rudy Reyes, sont de vrais Marines) renforce leur crédibilité à se fondre dans la masse et les visées documentaires de Simon et Burns. La prise de connaissance avec chacun d’eux se fera donc progressivement.

Quelques personnages se détachent au fil des échanges plus que dans des scènes d’action de par des caractéristiques plus reconnaissables. Le lieutenant Fick s’illustre dès le premier épisode par son professionnalisme, sa sagesse et son sang-froid, Le Colonel  Ferrando "Godfather",  chef du bataillon et personnage clé du show parle toujours à la troisième personne avec une voix qui se rapproche de celle de Brando dans Le Parrain. Captain America, qui commande une section au même titre que Fick, dramatise la guerre à outrance au grand malheur de son unité. D’autres se trouvent dans le même Humwee que le journaliste et ils bénéficieront donc d’un traitement de proximité. Le sergent Brad Colbert interprété avec talent par le charismatique Alexander Skaarsgard (fils de Stellan et interprète d’Erik dans True Blood) reste un référent de par sa loyauté envers les siens et son blason de guerrier perdu au sein d’une invasion absurde. Son opérateur radio, Ray (James Ransone, aussi grande gueule que son personnage de Ziggy dans Sur Ecoute) alimente les blancs que son compère laisse. Tromblay est le coté inconscient du soldat parfaitement à sa place dans le conflit, autant qu’il l’appréhende parfois comme s’il était dans un immense jeu vidéo, prêt à assouvir ses pulsions meurtrières. Coincé dans une embuscade, il restera en ligne, avouant l’excitation qu’il a ressenti à se faire tirer dessus, excitation que Godfather confesse également au journaliste lors du dernier épisode.

Generation Kill
 

L’humour se trouve aussi hors de propos ici, remplacée par anecdotes, chansons, points de vue sur le monde, discussion sans sens véritable, l’apanage des road trip et le meilleur moyen pour alimenter des situation parfois répétitives. Generation Kill parvient à rendre intéressantes des discussions dans des Humwee avec des types qui nous semblaient d’emblée antipathiques. Ces discussions, parfois stupides (les théories de Ray sur la guerre) et faites pour passer le temps, leur donnent un coté humain/bande de potes comme le quotidien des corners de Sur Ecoute permettait de dévier de leur rôle de simple maillon dans la criminalité. Ces moments aident à créer le lien nécessaire avec des personnages qui ont aussi beaucoup à nous apporter en tant que témoins des événements. Mieux que le journaliste, ils permettent à Evan Wright, David Simon et Ed Burns de pénétrer le système pour pointer du doigt ses ratés.


PEACE INVADERS
Le "Born to Kill" popularisé par Full Metal Jacket est un acquis du début à la fin, et les réalisateurs s’appliquent à rendre un suspens aussi efficace, quoique moins opératique, que celui qui hante la dernière séquence du film de Kubrick. Il est pourtant question d’une guerre particulière, autant que d’un corps de "guerriers". S’il sera fait référence au Viet-Nam, le point de vue des Marines oriente le film sur l’instant présent, où les pérégrinations politiques sont lointaines ou évacués (notamment la problématique des armes de destruction massive) et loin du des décideurs. La série commence sur Poke, un Mexicain du bataillon pissant sur le sol Irakien et lâchant une diatribe sur le fait que l’homme blanc doit dominer le monde au milieu des déchets de l’ancienne Guerre. Cette guerre s’inscrit ainsi dans la continuité de la précédente et en porte à faux avec les objectifs antiterroristes. Elle est rapide, désorganisée et humiliante. Les Marines subissent cette guerre dans son idéologie mais plus consciemment dans son organisation, en tant que professionnels. Generation Kill insiste d’abord sur l’aspect chaotique de la mission : pénurie de matériel, frappe sur des bâtiments civils par erreur, abandon d’un camion d’approvisionnement, détachement d’équipe pour attaquer une ville et libérer un Marine crucifié sur la base de rumeurs, annulations intempestives de missions en cours créent une confusion dans les premiers à subir les conséquences sont ceux qui exécutent les ordres.

L’unité de reconnaissance est à la botte de Godfather qui veut lui même se distinguer des autres unités du général Mattis afin d’obtenir des missions plus intéressantes, quitte à se mettre en compétition avec d’autres corps (par la prise d’un terrain d’aviation). Il encourage les initiatives, ce qui conduit à effectuer des frappes de proximité mettant en danger les unités. Le but avoué de l’invasion est lui-même remis en question à plusieurs reprises. Les règles de combat (autorisation/non autorisation de tirer sur les civils) changent au gré des officiers, conduisant à des débordements de la part de Marines moins contrôlables. Tromblay tirera ainsi sur un enfant irakien alors qu’il pensait abattre un chameau. Lorsque des soldats irakiens se rendent contre une protection, fuyant les fedayin, les ordres de Godfather enjoignent de les renvoyer sur la route en dépit des contestations des Marines. Ainsi Fick se retrouve-t-il en porte à faux avec sa hiérarchie directe à plusieurs reprises, refusant d’obéir à des ordres contre le protocole et qui lui paraissent stupides face aux situations dangereuses. La remise en question des officiers et la désobéissance civile est une question prégnante dans Generation Kill, et personnalisé par le dénommé Captain America dont l’attitude belliqueuse impliquera ses soldats. Mais la critique la plus notable revient à ces journées languissantes où peu de choses se passent, dans lequel les Marines revenant d’Afghanistan comme Colbert se sentent sous-exploités dans un conflit hybride qui ne sait pas vraiment ou il met les pieds.

Generation Kill
 

L’accent est mis sur l’absence de respect des américains pour les locaux qu’ils déshumanisent autant qu’ils souillent le territoire. Une scène particulièrement intéressante montre d’ailleurs des étudiants ayant pris cause pour le Djihad suite à l’opération américaine en Irak, faisant prendre conscience aux Marines que le résultat a été le contraire de celui voulu par l’invasion. La route est jonchée de cadavres irakiens, autant de bavures de soldats étant passés avant le bataillon, portée par une indifférence que certains Marines revêtent comme une protection mais qui trahit souvent des tensions internes pour la plupart refoulées. Mais il n’y a que Trombley qui pourra apprécier jusqu’au bout le visionnage de la vidéo filmée par l’un d’entre eux, témoignage de leur petite virée guerrière de vingt jours. De la même manière, une simple partie de football après le départ du journaliste fera exploser les tensions nées entre les individus lors de ces journées ainsi que certaines frustrations plus anciennes.

Generation Kill
ne disculpe en rien les Marines, véritables machines de guerre comparées aux cavaliers de l’apocalypses lors du visionnage de la vidéo finale. Il permet au contraire de mettre un projecteur sur l’absence de conscience des décisionnels d’envoyer une artillerie pareille dans le contexte soudain et confus de l’invasion Irakienne. Simon et Burns ont encore une fois réussi à nous offrir un voyage qui sait être narrativement prenant et fidèle aux événements. Ce qui laisse présager du meilleur pour le prochain projet de David Simon, Treme, contant la vie d'une bande de musiciens en Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina. Diffusée sur Orange TV, Generation Kill promet de se faire encore plus discrète en nos terres que Sur Ecoute. En l’absence d’une sortie française du DVD, il est néanmoins toujours possible de se rabattre sur le zone 1 qui comporte heureusement des sous-titres français.


GENERATION KILL
Réalisation : Susanna White, Simon Cellan Jones
Scénario : David Simon, Ed Burns, Evan Wright d’après Generation Kill de Evan Wright

Production : David Simon, Ed Burns, George Faber, Charlie Pattinson, Anne Thomopoulous, Nina K. Noble

Interprètes : Lee Tergessen, Stark Sands, Alexander Skarsgard, James Ransone, Jon Huertas, Chance Kelly, Eric Nenninger, Neal Jones, Brian Patrick Wade, Benjamin Busch...

Origine : USA