Ecrire X-Files - 1ère partie

Fondations

affiche x files

De 1993 à 2002, les scénaristes des X-Files ont su revoir les standards des séries TV et installer durablement le fantastique dans les foyers. L'ouvreuse revient sur les hommes de Chris Carter et leur apports aux affaires non-classées.


Lorsque Peter Roth, nouvellement nommé chef du département télévision de la Fox, annonce à son protégé Chris Carter que le pilote de X-Files a été retenu par le network américain, de nombreux éléments de la série sont déjà en boîte : l’atmosphère froide de Vancouver et la photographie qui va avec, le croyant et la sceptique, les extra-terrestres et le mystère. Ce pilote ne suit aucune des voies dégagées par la production télévisuelle du début des années 90, mais entre les seules mains de son créateur, X-Files tâtonne encore. L’ingéniosité de Carter sera de créer les conditions propres à la maturation de ces ingrédients en apportant une direction, en assumant les risques pris face aux exécutifs de la chaîne et surtout en s’entourant de nouveaux talents propre à créer une identité forte. A l’instar d’autres grandes figures de la télévision américaine des 90's, Carter construisit la figure showrunner tel qu’on le connaît aujourd’hui.


FAIRE LE SHOW
Vince Gilligan décrit Chris Carter comme un penseur cinématique, qui abordait chaque épisode en se demandant quel était son élément visuel. "Il était très important pour Chris que X-Files ressemble à un film, nous fasse ressentir des sensations cinématographiques et raconte une histoire cinématographiquement, en d’autres termes, ne pas s’accrocher strictement aux dialogues ". (1) C’est avec la même exigence de perfection que le créateur s'implique dans le choix des réalisateurs, directeurs de photographie et scénaristes du show. Une exigence souvent difficile pour ceux, nombreux, qui n’ont pas pu passer le cap des premiers scénarios ou de la première réalisation. Rob Bowman, David Nutter et Kim Manners ont chacun dû faire leurs preuves pour devenir les réalisateurs clés. L’équipe de scénaristes qui établit les premiers dossiers en collaboration avec Chris Carter, composée de Glen Morgan, James Wong, Howard Gordon et Alex Gansa, eut le bénéfice d'ouvrir les horizons avec la confiance du chef, mais dans l'obligation de constamment renouvellement leurs efforts.



La première moitié de la saison 1 crée une émulation au sein des deux couples de scénaristes : "On essayait tous de devancer l’autre, c’était à qui écrirait le meilleur épisode de cette première saison. Je dirai que Jim et Glen ont gagné. Mais c’était un environnement "nager ou couler " que Chris a créée sur les X-Files, et vous deviez vite apprendre à nager" avoue Gansa. (2) Carter se tient éloigné de toute writer’s room mais travailler sur des ébauches de scénario devient difficilement viable sur un épisode par semaine. Peu à peu se met en place une méthode de travail initiée par Morgan & Wong, rodés au rythme effréné de la série hebdomadaire. "Chacun venait avec son histoire et si elle était acceptable, le staff s’asseyait face à un panneau d’affichage avec des cartes et nous travaillons à trouver les solutions pour en faire un X-Files. […] Glen Morgan écrivait les cartes qui deviendront les points d’intrigues pour les moments dramatiques. Il a une écriture méticuleuse et c’était un point de fierté pour lui d’avoir un tableau beau et net " explique Carter. Cette méthode perdura sur les saisons suivantes et fut transmise aux scénaristes qui succédèrent à l'équipe fondatrice. Gilligan se l’appropria telle quelle des années plus tard pour les séances d’écriture de Breaking Bad. 

Carter impose vite des règles de base : aucun baiser entre les deux agents et l’impossibilité pour Scully de croire aux aliens sous peine de tuer la série. En dehors de ces credo, les X-Files ont toujours fonctionné sans bible, que Carter trouvait trop contraignante pour l'imagination. Ce parti pris sacrifia parfois la cohérence de l'ensemble face à la complexité rampante de la mythologie, mais permit de donner des épisodes qui repoussaient les carcans du show. Le créateur lit avec une acuité particulière les scénarios, demandant parfois des corrections et n’hésite pas à revoir la copie d’auteurs invités prestigieux, telle que le traitement de Stephen King sur La Poupée (5x10). 
Chris Carter est souvent défini comme un scénariste ayant des affinités avec le thriller politique dans la veine des Trois Jours Du Condor, quelqu’un qui veut faire peur mais en faisant réfléchir sur la société américaine. En grand fan de La Quatrième Dimension et de Dossiers Brûlants, série lancée par ABC en 1972 qui suivait le journaliste Carl Kolchack dans la traque de nombreux monstres (4), il souhaite orienter ses efforts autant vers l’étrange que les aspects les plus effrayants de cette dernière. Le pilote avait déjà laissé transparaître une affiliation revendiquée avec Le Silence Des Agneaux : "De toute évidence, Scully est un personnage à la Jodie Foster. Je voulais faire une série sur la foi mais inverser les rôles : traditionnellement c’est l’homme le sceptique et la femme la croyante. Je voulais aussi que Scully soit médecin. Ça la rend plus intéressante ". (5) Bien qu’à l’origine de ce personnage si particulier, Carter ne signera pas les épisodes les plus mémorables de Dana Scully, à l’exception du très beau Journal De Mort (4x15) qu’il réécrit presque intégralement. Il se concentre naturellement sur les épisodes liés à la conspiration, développant une mythologie du secret en haut lieu à travers les éléments du pilote et leur développement, en particulier dans Gorge Profonde (1x01) et Les Hybrides (1x23). Son premier essai au double poste de réalisateur/scénariste se fera aussi naturellement sur la première partie de Duane Barry (2x05), segment inaugurant les diptyques consacrés à l’arc mythologique. Il chapeautera la quasi-totalité de ces double-épisodes, comprenant le triple et fondamental Anasazi / Le Chemin De La Bénédiction / Opération Presse-Papier qui relie les saisons 2 à 3.

 Dossiers Brûlants
Dans Dossiers Brûlants, Carl Kolchack traque les créatures surnaturelles et inspire le jeune Chris Carter.

Carter se frotte néanmoins au loner (épisode isolé ne s'inscrivant pas dans le fil rouge) avec succès dès la première saison avec le dérangeant et écologique Quand Vient La Nuit (1x20) qui présente des insectes verts millénaires sortis d’une longue hibernation suite à l’abattage d'arbres. Le showrunner parvient à y créer un suspens délétère en jouant de l’isolement des protagonistes et de l’ubiquité de la menace. Un autre de ses essais mémorables est La Liste et son condamné à mort réincarné en mouche (3x05). On y retrouve un sujet de société fort qui illustre bien la volonté de Chris Carter de conserver un fantastique réflexif quel que soit le contexte. Il ne se prive pas pour autant du droit de plonger dans l’humour noir à travers le chaos produit par la rencontre fortuite de deux sœurs jumelles qui s'ignoraient dans Doubles (7x20) ou d’un Burt Reynolds en Dieu confrontant Scully à la numérologie dans Improbable (9x14). Ni de monter crescendo dans l'horreur au risque de réveiller les censeurs : si les quelques épisodes qui ont précédé la noirceur de sa seconde série Millenium ne suffisent pas à convaincre, les images des rebelles aliens sans visage et de leur lance-flamme dans le diptyque mythologique Patient X (5x13 & 5x14) convaincront sans peine de l’absence de pincettes du sieur Carter en dépit d’un créneau de diffusion grand public.

Les incursions du créateur des X-Files au double poste de scénariste/réalisateur sont rares, mais deviennent très vite prémices de tournants importants dans la série ou de concepts novateurs pour la télévision dans lesquels il laisse libre court à ses penchants visuels. Son plus fameux, Le Prométhée Post-Moderne (5x06), est l'un des meilleurs X-Files : dans un superbe noir et blanc renvoyant au Frankenstein du studio Universal (et à l’Elephant Man de Lynch, par filiation), l'épisode met en scène le Grand Mutato, être difforme issu d’expérimentations qui ne tardera pas à s’attirer la colère des locaux. Parfaite mise à jour du mythe qui n’aurait pas dépareillé dans les salles obscures, l'opus se démarque par son traitement humoristique décalé non dénué d'émotion ainsi que des références à la culture populaire à travers les comic books, Cher ou bien Jerry Springer. Lorsque la série quitte Vancouver pour Los Angeles et augmente drastiquement ses coûts de production, Carter la tire vers le haut par deux nouveaux tours de force : Triangle (6x03), épisode historique composé de quatre plans-séquences de onze minutes filmés à la Steadycam et Les Amants Maudits, bottle episode commandé par la Fox sur un couple de fantômes qui psychanalyse ses victimes jusqu’à la mort, et se transforme en irrésistible jeu macabre par les dialogues de Carter.

Prométhée Post-Moderne
Mulder et Scully coincés dans les années 30.


PAIRE D’AS
Lorsqu’ils arrivent sur les X-Files, James Wong et Glen Morgan bénéficient de leur expérience formatrice sur 21 Jump Street grâce au producteur Stephen J. Cannell qui impliquait ses scénaristes à tous les niveaux de la production. Ils étaient alors sous les ordres de Peter Roth, qui participa avec Chris Carter à la création des X-Files. Nettement plus intéressé par un autre pilote, ils manquent de rejeter la proposition de Roth mais se ravisèrent après son visionnage. Leur apport sur la première saison semble immense, et Carter, autant que leurs challengers Gordon et Gansa, ne tarit pas d’éloges à leur égard : "La phase d’apprentissage avait été franchie par tous, même par Chris Carter qui n’avait jamais vraiment dirigé une série télé auparavant, et dans ce contexte, Glen et Jim tenaient la barre d’une main ferme durant la première moitié de la saison, (1) et regarder ces gars travailler était extraordinaire…" (2)

Les "Wong", tels que les surnomme l’équipe, puisent leur inspiration dans un large répertoire de longs-métrages et de séries, et particulièrement dans les films de monstres de la Universal. Leur talent pour faire émerger l’horreur de situations réelles les amène à créer les moments les plus dérangeants et les plus populaires de la série : "Tout dépend de la manière de traiter l’idée. Ellen Burstyn traverse un divorce. Janet Leigh vole quarante mille dollars et c’est ce qui la mène d’une certaine manière à l’hôtel de Norman Bates. Donc cela peut-être quelque chose de fondé et réel que nous pourrions tous expérimenter, et d’une certaine qui nous propulse dans l’horreur. Je suis plus dans ce type de problématiques". (6) Morgan et Wong se posent très vite comme des scénaristes aux personnages forts soumis à des récits effrayants. Ils se retrouvent à la tête des trois épisodes les plus marquants de la première saison, trois moments qui creusent les caractères de Mulder et Scully tout en repoussant les limites du medium télévisuel vers une horreur très cinégénique.

Compressions
Eugene Tooms, un type qui entre chez vous sans être invité.

Leur premier épisode, Compressions (1x02), est un parfait exemple de leur aptitude à rendre un personnage inoubliable sur une courte durée d'apparition. Aberration humaine, Eugene Tooms mange des foies et peut se compresser dans des conduits pour atteindre ses victimes. En dépit de l’interprétation malade de Doug Hutchison et de l'inauguration du célèbre "monstre de la semaine", le duo est peu satisfait de la première incursion du tueur. Aussi, il n’hésitera pas à faire revenir Tooms dans des conditions de production plus probantes à la fin de la saison. Projet Arctique (1x08), qui montre le développement d’un parasite au sein d’une base polaire, est une habile variation autour de The Thing. Paranoïaque en diable, l’épisode pose un avant-goût des interventions aliens à venir en fournissant une pierre d’achoppement à la relation Mulder/Scully dans la confiance qu’ils développent l’un envers l’autre face à un environnement fondamentalement hostile. Le duo récidive avec un autre personnage mémorable dans Le Message (1x12) : le tueur en série Luther Lee Boggs (Brad Dourif), qui se dit capable de communiquer avec les morts, propose à Scully de communiquer avec son père récemment décédé. Le Message est un script très personnel pour Morgan, qui renvoie à la mort de son grand-père, et révèle beaucoup d’éléments sur Scully, donnant enfin à Gillian Anderson l’occasion de prouver qu’elle peut être autre chose que la sidekick rationnelle de Mulder. La collaboration de Morgan et Wong avec Carter s’avère aussi passionnante lors de la deuxième saison avec des segments marquants comme Mauvais Sang (2x03) et ses messages subliminaux meurtriers ou encore Les Vampires (2x07). La Main De L’Enfer (2x14) sera leur dernier épisode avant leur départ sur Space 2063, leur projet de série de SF.

Glen Morgan et James Wong
Glen Morgan et James Wong ont répondu présents pour la résurrection de X-Files.

Suite à l’annulation de Space 2063, le duo est rappelé par Chris Carter en début de saison 4 pour quatre épisodes, qui serviront de véhicules pour les acteurs de leur défunte série. Les Mong effectuent un retour en fanfare avec La Meute (4x03), horrible histoire de frères consanguins vivant en autarcie. On les retrouvera ensuite à la barre de Plus Jamais (4x13), original opus sur un tatouage qui pousse un récent divorcé à tuer (et à faire tomber l'armure de la froide Scully). Première réalisation de James Wong, L’Homme A La Cigarette (4x07) est aussi un des plus controversés du duo : inspiré par le comic DC Lex Luthor, La Biographie Officieuse, il présente le fameux leader du Syndicat comme le véritable assassin de JFK et Martin Luther King. Bien que très habile dans son jusqu’au-boutisme, l’épisode attira notamment les critiques de William B. Davies, le principal intéressé, et aurait été réécrit en partie par Chris Carter. Une façon de donner raison au duo, qui s’est toujours gardé d'intervenir dans la mythologie ? "Je préférais rester à l’écart de tout ça, déclare Glen. Déjà parce que je ne pensais pas que nous sachions ce que nous faisions, où nous voulions aller, et je ne voulais pas créer un plus grand problème, et il semblait bien que Chris pouvait gérer ça". (6). Ils prennent en charge la saison 2 de Millenium pour dégager du temps à Chris Carter et Franck Spotnitz à l’approche de la production du long-métrage X-Files. Morgan et Wong y apporteront une dimension apocalyptico-biblique particulièrement malsaine et passionnante qui ne sera hélas pas suivie par les téléspectateurs. Désavoués par Chris Carter avec qui les relations seront houleuses pendant plusieurs années, le duo ne reviendra pas sur X-Files. Leurs ambitions se tournent vers la réalisation et le cinéma à travers lequel ils donnent naissance à des projets sympathiques (The One, Destination Finale, le remake de Willard) comme à des ratages (Dragon Ball Evolution), mais rien dans cette carrière cinématographique n'est venu mettre en valeur leur talent comme l'a fait X-Files.


EXPÉRIENCES ET MANIPULATIONS
Howard Gordon et Alex Gansa se sont connus à Princeton durant leur dernière année d’université, puis ont migré à Los Angeles où ils ont travaillé sur La Belle Et La Bête. Invités par Carter à écrire pour la série après qu’il ait vu un de leurs pilotes, ils deviennent vite le trait d'union entre l'horreur pur de Morgan & Wong et les velléités politiques de Carter. Gansa possède des références plus littéraires et Gordon avoue aimer Conversation Secrète, Manhattan et Le Parrain, une position qui les porte plus vers des récits traditionnels plaçant l’être humain au centre de l’intrigue. "Alex et moi, on était toujours à la recherche d’un personnage à développer, que ce soit la mère apeurée et un peu folle, comme Carrie Snodgrass dans L'Enlèvement (1x03), ou un témoin qui n’est pas fiable, comme Max Fenig dans L'Ange Déchu (1x09). On a toujours construit nos histoires autour d’un personnage". (7) Une aubaine pour une série qui donne la possibilité d’explorer l’Amérique et ses habitants par l’ornière de leurs obsessions pour le surnaturel. Durant la première saison, le duo aide Carter à explorer les obsessions de Mulder, faisant écho à la Mythologie naissante de la série, et développe des aspects plus rudimentaires liés au FBI et à l’image de Mulder qui contribuèrent à l'intégrer dans un cadre plus réaliste. On retrouve enfin dans leurs épisodes des questions sur la manipulation de la science et les expériences sur civils ou soldats américains qui orienteront Carter par la suite, jusqu'à devenir une pierre angulaire de la deuxième époque des X-Files. Gansa quitta la partie à l’issue de la saison 1, pour ne revenir que sporadiquement au cours de la saison suivante, notamment pour le très bon Le Vaisseau Fantôme (2x19).


Howard Gordon et Alex Gansa
Howard Gordon et Alex Gansa se réjouissent du succès de Homeland.

Gordon faisant cavalier seul, sa sensibilité proche de Carter leur donne l’occasion de signer des épisodes en commun. De leur collaboration naît notamment Contaminations (2x22), thriller en forme de course poursuite d’évadés dont la particularité mémorable est une contagion mortelle par explosions de pustules. Habile dans sa manière de gérer le suspens et la menace, Contaminations met en évidence des expériences menées secrètement par une multinationale pharmaceutique, sciemment dissimulées par le gouvernement. Pour la saison 3, Howard Gordon signe Coup De Foudre (3x03) et fait découvrir aux téléspectateurs les jeunes Jack Black et Giovanni Ribisi, alors que ce dernier campe un jeune homme qui a le pouvoir de faire tomber… la foudre. Dès lors, Gordon prend un rôle plus important en tant que producteur, et de ce fait écrit moins. Il prendra activement part à la sélection des nouveaux scénaristes de la série, parmi lesquels émergent les successeurs des premiers staffs writers. Ses derniers travaux sur la saison 4 sont parmi ses plus fameux : La Prière Des Morts (4x15) explore le mythe du Golem et de la Kabbale, un sujet que le scénariste portait en lui depuis les débuts de la série et qui renvoie à ses origines juives. Il y traite du le pouvoir des mots, à la fois créateur et destructeur, et en filigrane le contexte de haine dans lequel évolue la population juive depuis des millénaires. Ainsi, le Golem réveillé se mue fatalement en instrument de vengeance, peu importe que la motivation première de sa création ait été l'amour. Aux Frontières Du Jamais (4x19), épisode audacieux et poignant qui montre un scientifique remonter le temps pour tuer son jeune alter ego, s'attache à décrire une science aveugle qui fait basculer l'être humain dans un monde invivable. 

Coup De Foudre
Giovanni Ribisi prêt à recevoir l'éclair.

A l’issue de cette saison, Gordon avait le sentiment d’avoir fait le tour de ce qu'il avait à donner aux X-Files. La suite de sa carrière atteste d’une curiosité toujours plus grande : il collabore aux premières saisons de Buffy Contre Les Vampires et Angel puis occupe le poste de co-producteur exécutif sur la série 24. Il se lance ensuite dans l’écriture de roman d’espionnage avec Gideon’s War. Une veine socio-politique défiante qu’il retrouve en 2011 avec Alex Gansa pour la création conjointe de Homeland.


L’ETRANGE CAS DE DARIN MORGAN
"
La nature abhorre la normalité. Elle ne reste jamais longtemps sans inventer un mutant" déclare un des personnages à la fin de l’épisode Faux-Frères Siamois (2x20). Ce premier épisode signé Darin Morgan est le mutant venu perturber X-Files alors que la série n'a pas entamé sa troisième saison. Scénariste comme son frère Glen, Darin a joué le monstre hybride douve/humain dans L'Hôte signé Carter (2x02) il apporta à son frère et à James Wong l’argument de Mauvais Sang. Cette contribution est remarquée par Gordon et Carter à la recherche de qui pourra combler le vide laissé par le départs des trois autres auteurs. Sur le conseil de son frère, Darin s’enferme pendant la majeure partie de la saison 2 pour écrire un script autour de Jim Rose et son cirque moderne. Il ressort avec un scénario de comédie, seul genre dans lequel il se sent à l'aise. Faux-Frères Siamois porte un regard moqueur sur les deux héros Mulder et Scully, les posant au milieu de freaks d'un cirque itinérant dans des situations incongrues où naît un décalage tranchant avec leur statut dans la série. "La Fox pensait que la série commençait à avoir du succès et qu’il était trop tôt pour s’en moquer" se souvient Chris Carter. Le réalisateur Kim Manners est également mal à l’aise avec le ton de l'opus. Carter prend sur lui de défendre Morgan et l’épisode est intégré tel quel. Le jeu de Duchovny et Anderson, l’horreur très présente et l’humanité qui se dégage de Faux-Frères Siamois parviennent pourtant à distiller cet humour particulier. Il connaît un succès qui ne s’est depuis lors jamais démenti.

Darin Morgan

Une lourde responsabilité pèse sur le scénariste qui peine à travailler au rythme que réclame la série, et le jeune homme reste très sensibles aux quelques critiques négatives. Son deuxième script portera les traces de sa dépression : l’ombre du Message, duquel 
Morgan a puisé son inspiration pour ne pas courir le risque de trop s'éloigner des horizons de la série, plane sur Voyance Par Procuration (3x04). Peter Boyle y joue Clyde Bruckman, un assureur marqué par la malédiction de pouvoir prédire la mort des gens impliqué malgré lui dans la recherche d’un tueur en série de voyants. Comédie sinistre au happy end impossible, Voyance Par Procuration traîne le désespoir d’un homme drôle et attachant mais seul. Darin Morgan épouse son point de vue d’outsider résigné et parvient à susciter l’empathie, l’envie de croire, dans un épisode qui dénonce pourtant âprement le charlatanisme de la profession de voyant. Le regard du scénariste est encore une fois juste avec le personnage le mieux écrit de la série, et emporte l'adhésion d'une Scully qu’on n’avait pas vu aussi impliquée dans le paranormal depuis bien longtemps. Un Emmy Award largement mérité pour Peter Boyle.

Clyde Bruckman
Clyde Bruckman (Peter Boyle).

Le troisième épisode du Morgan, La Guerre Des Coprophages (3x12) décrit une invasion de cafards plongeant une petite ville dans le chaos. La population s’emballe graduellement dans un vent de paranoïa collective injustifiée, à l’image de La Guerre Des Mondes d’Orson Welles soixante ans auparavant. Morgan est déçu par cet épisode, mais il demeure l’un des plus drôles du show, ne serait-ce que par la série de coups de téléphone de Mulder à Scully qui ponctuent la découverte de chaque meurtre ou l'apparition d'une certaine Bambi qui active l'ironie (et la jalousie) de Dana. Version X-Files de L'Arroseur Arrosé, Le Seigneur Du Magma (3x20) est plus ouvertement parodique et étrangement méta, traitant d’un enlèvement d’extra-terrestre survenant lors d’un enlèvement extra-terrestre. Darin Morgan joue des lieux communs colportés par les témoignages d'abductions, affrontant les points de vue sur ce qui relève de la réalité ou de la fiction. Les conspirateurs se prennent à leur propre piège et tout ce bazar crée une nouvelle couche de brume sur la Vérité. En somme, on peut vouloir croire, mais il ne faut pas croire à tout.
Après cet opus, Morgan jette l’éponge, incapable de suivre le rythme de la série. Il accepte néanmoins de retravailler Les Dents Du Lac (3x22) de Kim Newton pour lui donner une meilleure tenue humoristique. En l’espace de seulement quatre épisodes, Darin Morgan a donné à X-Files l’assurance de sa longévité en lui permettant de rire d'elle-même sans renier sa qualité. Durant les six saisons suivantes, Chris Carter et sa nouvelle équipe de scénaristes ne se priveront pas de produire de nombreux épisodes "à la Darin Morgan" pour le plus grand plaisir des téléspectateurs.


Ecrire X-Files, 2ème partie.



(1) Vince Gilligan, The X-Files Lexicon  


(2) Alex Gansa, The X-Files Lexicon

(3) Chris Carter, Vulture

(4) Darren MacGavin, qui interprétait Carl Kolchak, est apparu en guise d'hommage dans les épisodes Compagnons De Route (5x15) et Agua Mala (6x13) dans le rôle d'Arthur Dales, le premier agent à avoir enquêté sur les X-Files. La série Dossiers Brûlants (The Night Stalker) est disponible en DVD chez l'éditeur Elysée

(5) The X-Files, Les Dossiers Complets, p. 28

(6) Glen Morgan, The X-Files Lexicon

(7) The X-Files, Les Dossiers Complets, p. 33