Ecrire X-Files - 2ème Partie

Régénération

Affiche X-Files

La deuxième saison de X-Files a vu le nombre d'enlèvements extra-terrestres s'emballer et la Mythologie prendre ses quartiers. Pour tenir le rythme, le très sélectif Chris Carter embarque du sang neuf.


Les difficultés rencontrées avec le personnage de Scully et l’inexpérience de Gillian Anderson poussent la chaîne à lui envisager une remplaçante, qui aurait pu être Amanda Pays, apparue dans L’Incendiaire (1x11). Faisant feu de tout bois, les scénaristes exploitent sa grossesse survenue au milieu de la saison 1, amenant Scully au coeur de l'action. "La grossesse de Gillian a forcé la série à créer une mythologie pour expliquer son absence. Ça nous a mené à présenter Krycek comme partenaire de Mulder et ça a donné les épisodes Duane Barry 1 et 2 (2x05 & 2x06) et Coma (2x08). Au final, c’est la meilleure chose qui soit arrivée à la série" déclara Frank Spotnitz. (1) La Conspiration bénéficiera désormais de doubles épisodes, événements pluri-saisonniers en marge des enquêtes particulières (souvent qualifiées de loners). Carter et son équipe ont ainsi développé une structure qui influencera l'intégration du récit feuilletonnant à arcs mythologiques dans d’autres séries, mètre-étalon actuel de l'écriture TV, Lost constituant l’exemple le plus extrême de cette tendance.

Alex Krycek
Le mec le plus faux-jeton du Bureau.

A la même époque, l’embauche de Franck Spotnitz inaugure le renouvellement des staff writers de Carter. Spotnitz présente la particularité de n’avoir jamais travaillé pour la télévision. Ancien camarade du club de lectures de Carter, il avait postulé pour faire partie de X-Files mais son ami ne le retint pas, lui proposant toutefois de lui faire part de ses idées, rejetées à plusieurs reprises. A la démission de Glenn Morgan et James Wong, partis bosser sur Space 2063, Chris Carter rappelle Spotnitz et l’intègre de manière aussi soudaine qu’inattendue dans le grand bain. "C’était un jeudi et j’ai commencé le lundi suivant. Je dois dire qu’au début, ça a été très difficile. C’était marche ou crève. Je n’avais jamais travaillé à Hollywood avant et c’était mon premier boulot, mais ça ne me donnait droit à aucune indulgence ". (2)

Spotnitz passe l’épreuve du double épisode avec La Colonie (2x16 & 2x17) où apparaît le mercenaire joué par Brian Thomson et le clone de Samantha Mulder, mais aussi les parents de l’agent. La présence des extra-terrestres devient dès lors plus explicite. On retrouve Spotnitz lors de la saison suivante pour Monstres D’Utilité Publique (3x09 & 3x10) et L’Épave (3x15 & 3x16), qui introduit l’huile noire, deux scénarios écrits en collaboration avec Carter et Howard Gordon. Se montrant vite indispensable, le nouveau venu est embarqué sur Millenium, la nouvelle série produite par Ten Thirteen, la boîte de production de Carter. Avec le créateur, il est le seul scénariste à plein temps sur Millenium, cumulant avec les responsabilités que lui délègue Carter sur la quatrième année des X-Files. Cela ne l’empêchera pas d’écrire l’excellent double épisode Tunguska (4x09 & 4x10) et de construire avec acuité l’arc de la maladie de Scully qui court sur toute la fin de la saison. Suite au départ d'Howard Gordon, Spotnitz devient au bout de seulement deux ans le bras droit de Chris Carter et un véritable pilier pour la continuité de l’arc mythologique.

Frank Spotnitz
Frank Spotnitz, the number two.

Si Spotnitz excelle dans la structure du fil rouge, il sait aussi créer des ponts entre les loners et la Mythologie lorsque l’évolution des héros le nécessite. L’exemple le plus abouti est Ame En Peine (5x17), dans lequel Scully enquête sur la mort de jeunes filles handicapées qui pourraient être les rejetons d’un ange. Spotnitz y intègre particulièrement bien le trauma subi par Scully suite à la perte de sa fille Emily. Au début de la cinquième saison, le mystérieux Détour (5x04) rapproche Mulder et Scully dans une intrigue autour d’effrayantes créatures pouvant se fondre dans le décor à la manière du Predator. C’est A Cœur Perdu (6x18) qui décrit le mieux le rapport symbiotique qu'entretient le scénariste avec le show : "C’est un épisode à propos d’un écrivain vivant dans l’immeuble de Mulder qui devenait obsédé par Scully. Ce fut très autobiographique car à cette époque, j’avais passé six ans à ne rien faire d’autre que penser à X-Files, et c’était peu ou prou moi regardant Gillian Anderson plutôt que regardant Scully. Dans une obsession à propos d’elle, ce qu’elle pensait et ce qu’elle aimait. Cet écrivain avait des cartes sur son mur qui étaient supposés être les points d’intrigues du roman qu’il écrivait. C’est réellement la manière dont j’écris les histoires pour la télévision, et ces cartes étaient écrites par moi, à la main. C’était très autobiographique". (3) Un lien pérenne qui transpire également du premier épisode où il occupe le double fauteuil de scénariste et réalisateur, Seul (8x19), qui voit l’apparition d’un autre personnage observant dans l’ombre : travaillant à la comptabilité du FBI et fan des X-Files, Leila Harrison s'y voit prise au piège d’un reptile métamorphe aux côtés de l’agent Doggett. 


DANS LEUR PEAU
Lorsque Chris Carter lit le scénario du film Wilder Napalm, il voit en son auteur "quelqu’un qui avait une idée tellement spécifique de ce qu’il voulait voir et de qui ses personnages étaient " (4) que le nom de Vince Gilligan lui reste en tête. Le jeune scénariste originaire de Virginie est fan de X-Files, et sa première rencontre avec Carter n’est que pour avouer au créateur son amour pour la série. Malgré une carrière qui peine à décoller, Gilligan n’envisage pas d’embauche aux affaires non-classés. Il livre néanmoins un script pour l’épisode Ombre Mortelle (2x23), bien remanié par Carter et Gordon, mais qui ouvre au jeune scénariste les portes des studios de Vancouver. Gilligan explose réellement près d’un an plus tard avec Autosuggestion (3x17) et son pusher capable d'amener les gens à faire ce qu’il veut en leur parlant. Spotnitz et Carter étant occupés par la première saison de Millenium, Gilligan intègre la première division des staff writers au début de la saison 4. C’est là qu’il prend son essor en enchaînant cinq des meilleurs épisodes de l’année autour d’une poignée de bad guys dérangés mais fascinants.

Robert Patrick Modell
Robert Patrick Modell joue au Jedi.

"Si nous voulons vraiment désarmer les monstres, il nous faut d’abord les comprendre. Il nous faut pénétrer dans leur esprit" comprend Scully à la fin des Hurleurs (4x04) au terme de sa détention par le désaxé Gerry Schnauz (Pruitt Taylor Vince), qui kidnappe des femmes qu’il croit possédées par des démons. La première série de scénarios de Vince Gilligan plonge donc au cœur de la psyché des tueurs, toujours guidé par la volonté de comprendre ce qui les a poussés à emprunter cette voie, des raisons souvent très humaines. Diffusé après le Superbowl 97, Régénération (4x14), co-écrit avec Spotnitz et John Shiban, respire l’influence de Gilligan avec la description de Leonard Betts (Paul McCrane), métamorphe qui se régénère en mangeant des tumeurs cancéreuses. Betts est un monstre mais ses actes sont principalement guidés par la survie. Même le stoïque et implacable John Lee Roche de Cœurs De Tissu (4x10) est persuadé de poursuivre un intérêt plus grand en tuant des petites filles. Gilligan a écrit le personnage de Roche pour l’acteur Tom Noonan, inoubliable Francis Dollarhyde dans Le Sixième Sens de Michael Mann. Celui-ci prend un plaisir particulier à guider Gilligan. "Tom Noonan m’a appris que les gens ne se considèrent pas comme des méchants. Dans la première version, Roche était plus stéréotypé. Il disait à un moment ": J’ai conduit ces petites filles dans un meilleur endroit, en tout cas pour moi". Mais Noonan a affirmé que Roche ne pouvait pas dire ‘en tout cas pour moi’. Il croit vraiment les avoir conduites ailleurs". (5) Un prélude à de grandes choses si on considère que la plongée de Gilligan la plus fascinante dans l'esprit d’un criminel se fera dans Breaking Bad à travers le parcours de Walter White / Heisenberg.


Vince Gilligan partage avec Morgan et Wong la même prudence à l’égard des épisodes mythologiques auxquels il collabore rarement. Il se pose très vite comme le nouveau roi des loners, faisant œuvre d’une polyvalence remarquable. S’il avait parfaitement compris ce qui faisait la particularité des épisodes du duo, il se considérait comme un scénariste de comédie avant son arrivée sur la série. Aussi n'eut-t-il aucun mal à boxer sur le terrain de Darin Morgan. Dans La Queue Du Diable (4x20), son premier X-Files du genre, Gilligan pense au scénariste de Voyance Par Procuration pour incarner Eddie Van Blundht, métamorphe en manque d’amour qui décide de prendre la place de Mulder. Il rempile avec succès sur Le Shérif A Les Dents Longues (5x12), segment vampirique avec Luke Wilson dont le sex-appeal est affaire de subjectivité. Gilligan scénarise avec Spotnitz et Shiban le seul diptyque humoristique du show : Zone 51 dans lequel le pauvre Mulder est piégé dans la vie et la peau de Morris Fletcher, banlieusard incarné par Michael McKean (qui deviendra un personnage majeur de Better Call Saul). Dans la même veine comique parfaitement assumée, citons Appétit Monstre (7x03) et son mutant qui essaie de se débarrasser de son appétit pour les cerveaux humains via un programme en douze étapes !

Zone 51 
X-Files rejoue La Soupe Au Canard des Marx Brothers pour Zone 51.

Gilligan n'hésite pas à bouleverser les conventions de la série en empruntant des formes alternatives à l'enquête de la semaine. Pour Poursuite (6x02), Mulder est embarqué avec un homme qui se dit victime d’une expérience militaire et doit rouler à toute vitesse vers San Diego. Peur Bleue (7x12) est un pastiche surnaturel de l’émission Cops. Le scénariste monte en grade et contribue à un enrichissant retour aux sources de la terreur en début de saison 8 en offrant à John Doggett (Robert Patrick), successeur de Mulder, deux de ses plus beaux épisodes : Un Coin Perdu (8x05), récit répugnant d'une secte vénérant un ver parasite, et Amnésie (9x07), où Doggett se réveille dans un village mexicain et affronte un cartel de la drogue. Vince Gilligan sera fidèle à X-Files jusqu’au dernier loner, Irréfutable (9x18). Ses adieux à la série qui lui a tout appris se font avec l'empathie, l'humour et l'originalité qui le caractérisent : incapable d'affronter le monde réel, un télékinésique récrée psychiquement l'univers de sa série préférée.

Vince Gilligan
Vince Gilligan au pays des loners.

John Shiban est une connaissance de Frank Spotnitz au sein de l’American Film Institute. Collant aux standards de Carter, il se fait recruter aussi vite que son ami. "Je ne pensais pas à écrire pour la télévision à cette époque. Frank a eu le boulot sur X-Files et j’allais lui pitcher des idées. Il m’a dit : "pourquoi tu n’envoies pas le scénario d’un de tes films. Je sais que ça intéresse Chris, de recruter quelqu’un sans expérience de télévision". Alors je leur ai montré un de mes "specs" et j’ai attendu, et attendu encore. J’ai reçu un coup de fil la veille de leur départ en hiatus [à la fin de la deuxième saison] me demandant de venir et de rencontrer Chris. On a eu un super rendez-vous, et le lendemain j’étais engagé dans l’équipe". (6) Il rejoint le show avec Corps Astral (3x07) dans lequel un vétéran de guerre amputé des quatre membres se venge de ses officiers. Intégrant rapidement le groupe des staff writers qui accuse plusieurs départs, il se rend très vite indispensable auprès de Carter et Spotnitz.

Moins régulier et efficace sur les loners, Shiban est plus actif sur les collaborations avec les autres auteurs, ce qui rend sa contribution moins discernable que celle de Gilligan mais pas moins nécessaire. A l’instar de Carter, c’est un penseur cinématographique qui fournit bon nombre d’idées visuelles et de points de départs. Il insuffle également une dynamique et une cohésion au sein de l’équipe, des qualités qui lui valent d’intégrer le poste de producteur exécutif sur les derniers épisodes. Shiban a à son seul crédit quelques bons loners, parmi lesquels Amour Fou (4x22) qui suit les apparitions de spectres à un autiste. Situé à un stade avancé du cancer de Scully, l'opus développe en sourdine l’attachement de la jeune femme à la détermination de Mulder ainsi que la difficile acceptation de la mort pour un condamné. En arrière-plan, on y ressent la méthode Carter parfaitement intégrée par Shiban : ne jamais sur-dramatiser et que les acteurs fassent preuve de retenue. A ce niveau, rappelons que le meilleur script de Shiban, Les Nouveaux Spartiates (5x18), met en scène un Mulder undercover au sein d'un groupe anarcho-terroriste.

John Shiban
John Shiban, reconverti dans les chemins de fer.

Spotnitz, Gilligan et Shiban écrivirent de nombreux épisodes en commun sous le patronyme de John Gilnitz, également le nom de personnages qui avaient l’habitude d’apparaître dans leurs histoires. (7) Si les créateurs ont su imposer une patte, les trois compères se posent comme les fidèles gardiens du temple, intervenant sur les scénarios des autres auteurs et défrichant la voie jusqu’à la fin de la série. Carter avait envisagé son départ de X-Files dès la saison 5, chose qui a été rediscutée avec la Fox dans un contexte de relations difficiles avec le network deux saisons plus tard : si la série survivait à la saison 7, le trio Spotnitz/Gilligan/Shiban prendrait le poste de Carter. La Fox s’y oppose car ils n’ont pas d’expérience de showrunner et préfère remplacer Carter sans son consentement. C’est dans ce but qu’il confie les rênes des Bandits Solitaires à ses hommes de confiance, leur offrant une première expérience officielle à la tête d’une série. Faire du trio les showrunners du spin-off tombe sous le sens tant ils ont apporté à Byers, Langly et Frohike. Gilligan saisit particulièrement l’aubaine, fort de sa contribution aux épisodes Les Bandits Solitaires (5x03) et Brelan D’As (6x20) sur leurs origines et la mystérieuse Susan Modeski. Le scénariste avoue sans honte s’identifier beaucoup plus aux énergumènes qu’aux deux agents du FBI. "Soyons francs, je ne me suis jamais considéré comme un Mulder, séduisant, intelligent et doué. Mais je me reconnais dans les Bandits Solitaires. Ces types-là ressemblent davantage au commun des mortels. Ils pataugent et ils ont peur mais sont héroïques quand même ". La série vient malheureusement rejoindre le cortège des productions Ten Thirteen annulées au bout de quelques épisodes, laissant aux intéressés un goût amer. Dans leur dernière contribution commune à X-Files, N’Abandonnez Jamais (9x15), le professeur John Gilnitz, contaminé par un dangereux virus, scelle le destin des Bandits Solitaires.

Les trois auteurs ont depuis exorcisé le choc de cette annulation. Spotnitz a récemment créé The Man In The High Castle, tiré du roman de Phillip K. Dick pour Netflix. Partageant le même intérêt que Carter pour Dossiers Brûlants, Spotnitz produisit sur un remake de la série en 2005 qui ne dura que dix épisodes. Au terme d’une période de vaches maigres, Gilligan connut le succès avec Breaking Bad sur AMC. Shiban travailla par la suite sur Supernatural, un des nombreux rejetons des X-Files encore debout, et se distinguera en devenant à son tour showrunner sur le remarquable Hell On Wheels.


AGENTS TRÈS SPÉCIAUX
S’ils n’ont pas eu le privilège d'un poste de producteur exécutif, David Duchovny et Gillian Anderson ont apporté beaucoup à leurs personnages durant leurs années de service aux affaires non-classées. Plus graduellement dans le cas d'Anderson qui arriva sur X-Files à l'âge de 24 ans. Plus chevronné, Duchovny s’implique très tôt dans les scénarios, donnant à l’équipe des avis sur les scripts qui vont bien plus loin que le développement de Fox Mulder. Il participe au diptyque La Colonie en suggérant notamment le personnage du chasseur de prime alien, puis coécrit avec Carter le dernier épisode de la deuxième saison, Anasazi. Il propose le sujet de La Visite (3x21), centré sur Walter Skinner et contribue à l'épisode mythologique Anagramme (3x24) dans lequel l'alien hybride Jeremiah Smith (Roy Thinnes) a le pouvoir de ressusciter les morts.

Le Grand Jour
Grâce au baseball, (spoiler) il va saigner comme un américain.

Duchovny signe son premier scénario et sa première réalisation lors de la saison 6 avec Le Grand Jour (6x19). Dans les années 50, le frère d’Arthur Dales, premier agent des X-Files, accompagne l’équipe de baseball de Roswell et découvre que son plus fameux joueur, John Exley, est en fait un extra-terrestre. Duchovny s'est inspiré de l’histoire d’un propriétaire de station essence qui frappa 72 home runs lors de l'année 1954. "Et il jouait à Roswell, au Nouveau-Mexique, ce que je trouvais incroyablement drôle. C’est alors que je me suis dit : "et si ce type était un alien ? Il a fait 72 home runs parce que c’est un extraterrestre". J’en ai parlé à ma femme, Tea et le lendemain en me réveillant, j’ai ajouté : et si ce joueur était noir ? C’est un extraterrestre mais la raison pour laquelle il a pris l’apparence d’un homme noir, c’est pour ne pas être découvert ? Après ça, tout s’est mis en place". (8) Le résultat est une réussite, un segment attachant aux allures de conte sur la passion du baseball. Porté par un souffle de fraîcheur, Le Grand Jour offre un parallèle intelligent avec l'histoire des USA à travers le racisme subi par le joueur et son amitié avec Dales, mise en scène de manière simple et touchante par Duchovny. Ce dernier reviendra au poste de scénariste/réalisateur pour signer son départ de la série par Hollywood (7x19), opus humoristique sur adaptations de aventures de Mulder et Scully au cinéma sur fond de poterie de Lazare et de résurrection de morts.

Longtemps sollicitée pour signer un épisode, Gillian Anderson met en scène son propre scénario avec Existences (7x17), aidée par Spotnitz et Carter pour organiser les idées de cet épisode atypique centré sur son personnage. Existences plonge Scully dans une phase introspective à la faveur de la rencontre du professeur avec qui elle eut jadis une aventure et qui fut la raison de son abandon de la médecine. L’agent, qui en a vu durant sept saisons de X-Files, fait le point : et si on pouvait tout arrêter, revisiter des moments de sa vie et revenir sur certains choix ? Sur fond de Moby, Existences déploie un une philosophie mystique inhabituelle pour la scientifique. Un traitement ouvertement fantastique aurait fait ressentir plus viscéralement les bouleversements d'une vie, mais on peut voir dans cette rupture avec les canons de la série une Gillian Anderson plus confiante, qui à travers X-Files a acquis ce qu'elle recherchait : "je sais que j’ai changé depuis que je t’ai revu" lance-t-elle à son amour de jeunesse avant de retourner s'endormir aux cotés de Mulder, l'esprit en paix.

Scully
"Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? J'ignore de le savoir."

Lors de la saison 7, l'homme à la cigarette en personne prend la plume à l'occasion de En Ami (7x15). Déçu que son personnage n'ait pas eu de scène avec Gillian Anderson durant toutes ces années, William B. Davis imagine un rapprochement entre son personnage et Scully."L'idée originale que j'ai pitchée était que Mulder aurait eu un terrible accident, vraisemblablement un assassinat. L'homme à la cigarette vient à Scully durant les funérailles et dit "Oui je l'ai tué, mais je l'ai fait par amour pour toi". Tout part de là. Et il essaie de la gagner à sa cause. Au final tout était planifié pour tester sa loyauté envers Mulder. A la fin on découvrait que c'était un rêve de Scully. Mais ils ne voulaient pas de cette fin car il y avait trop eu de rêves et de fausses morts. Alors on l'a fait en réel, l'homme à la cigarette essayant de gagner son affection pour ses propres raisons". (9) En l’occurrence un remède contre le cancer qu'il offrirait à Scully pour racheter ses erreurs. Avec ce rapprochement, inspiré par Richard III et la relation du roi avec Lady Ann, Davis souhaitait plus de tension romantique. En bons gardiens de la Mythologie, Spotnitz et Carter laisseront beaucoup de ses idées intacts mais ne consentiront pas à ce qu'elle se laisse séduire si facilement par cet homme qu'elle a tant détesté. Si Davis déclare qu'une grande partie de son histoire d'origine s'est perdue dans le processus d'écriture collective, il admet que la structure générale de l'épisode est la sienne alors que les dialogues viennent de Carter.


PASSER LE TÉMOIN
Courtisés par Stephen King et William Gibson, X-Files n’a plus rien à prouver lorsque l'équipe déménage de Vancouver à Los Angeles au début de la sixième saison, la meilleure de la série, année d’expérimentations et d’émancipation, mais aussi saison la moins sombre et plus ouverte à des intrigues originales. De nouveaux scénaristes s’ajoutent au trio John Gilnitz et contribuent à enrichir cette période de redécouverte. Ils poursuivent le boulot lors des saisons suivantes dans un contexte de plus difficile lié au départ de David Duchovny et au renouvellement des protagonistes, initié dès le début de la saison 8 par l’arrivée de l’agent John Doggett, ancien flic de New York qui enquête avec Scully sur la disparition de Mulder. Personnage ouvertement positif et spirituel, l’agent Reyes fait son entrée plus tard dans l'année, composant un trio aux interactions plus complexes. Ce passage de témoin progressif vers une deuxième génération de X-Files réserve son lot de loners de qualité : David Amann, Jeffrey Bell, Greg Walker et Steven Maeda fournissent quelques bons scripts sous le haut patronage de Carter et de ses hommes de confiance. 

Pauvre Diable
Le rejeton du Diable.

David Amann rejoignit l’équipe de X-Files au poste de story editor (producteur en charge du suivi des scénarios) dès l'arrivée à Los Angeles. Après plusieurs propositions sur ses propres scénarios, il parvient à placer Pauvre Diable (6x07), réinvention de Rosemary's Baby du point de vue d'un démon, Bruce Campbell, qui souhaite plus que tout avoir une progéniture. Le pitch plaît à Carter qui lui accorde l’écriture, néanmoins les staff writers modifient la teneur de l’histoire, insistant sur l'aspect humoristique de l’épisode et modifiant la fin. Amann scénarise par la suite Agua Mala (6x13) et son monstre marin et Chimère (7x16), thriller urbain sur des meurtres de femmes liées à un shérif adultère. Il lance par la suite la storyline du fils de Doggett par Invocations (8x06), et conclue cet arc avec Clairvoyance (9x16). Le story editor gravit les échelons de la production et termine producteur superviseur sur la saison 9. Amann reste en tout quatre ans sur la série, part travailler sur FBI : Portés Disparus et Preuves A L’Appui, puis devient showrunner sur Castle.

Fan de X-Files, Jeffrey Bell envoie à la production trois idées de scripts. Spotnitz, Shiban et Gilligan optent pour Le Roi De La Pluie (6x08) qu’ils remanient avant de le présenter à Carter. Dans ce segment atypique où l’amour fait littéralement la pluie et le beau temps, Mulder et Scully sont dépêchés dans un village soumis à des phénomènes climatiques incontrôlés. Pour la bonne cause, Bell fait de Mulder et Scully des entremetteurs mal adaptés, compte tenu de leur propre vie amoureuse. Alors qu’elle aurait été hors-sujet dans les premières années, cette incursion romantique s'intègre parfaitement dans la poétique et audacieuse première partie de la saison 6, et permet à Bell d'être immédiatement embauché dans l’équipe de scénaristes. Un autre de ses scripts est accepté pour la sixième saison, Entre Chien Et Loup (6x16). Il livre par la suite Chance (7x06), opus comique sur la chance surnaturelle d’un pauvre concierge. Inspiré du Tetsuo de Shinya Tsukamoto, Dur Comme Fer (8x09) suit un ouvrier infecté par une maladie qui le transforme en métal. Bell travaillera par la suite sur Alias, sera producteur exécutif sur les deux dernières saisons de Angel, sur Spartacus et travaille actuellement pour Marvel's Agents Of Shield.

Nicotine Tobin Bell
Tobin Bell tue (on vous aura prévenu).

Greg Walker et Steven Maeda provenaient de Harsh Realm, série de Chris Carter annulée au bout de quelques épisodes, lorsqu’ils ont intégré X-Files. Alors que Walker y avait déjà contribué en tant que story editor, Maeda faisait ses premiers pas sur les affaires non-classées. Rédigé en commun, leur premier scénario, Nicotine (7x18), s'inspire de Révélations de Michael Mann, qui disséquait la néfaste influence des compagnies de tabac. Nicotine lie l'une d'elles à une série de meurtres impliquant un fumeur incarné par Tobin Bell (le futur Jigsaw, déjà spectral) qui rend le tabagisme passif mortel. Ingénieux et moins manichéen qu'il n'en a l'air, Nicotine fait souffler un vent de paranoïa et d'horreur brute renvoyant aux premières heures de la série. Walker signera deux autres épisodes plus anecdotiques, A Coup Sûr (8x08) et Empedocle (8x17). Il quitta la série à l’issue de la saison 8 pour travailler sur FBI : Portés Disparus.

Maeda poursuivit l'aventure, cosignant avec David Amann Combattre Le Passé (8x06), épisode original et prenant sur un procureur (Joe Morton) accusé d’avoir tué sa femme et pour qui le temps se déroule à l'envers. Il contribue à Vienen (8x18) et la réapparition de l’huile noire sur une plateforme pétrolière sur laquelle sont coincés Mulder et Doggett, important épisode puisque le premier y passe le relais au second. Maeda deviendra ensuite showrunner de Helix, qui reprendra beaucoup des éléments présents dans Vienen. Le scénariste parvient lors de l'ultime saison à offrir au couple Reyes / Doggett deux très beaux loners développant leur relation alors qu'ils sont entre la vie et la mort : 4-D (9x04) avec son criminel capable de voyager entre les dimensions parallèles par des portails qu'il crée, et Audrey Pauley (9x11), deuxième opus prouvant que l'équipe avait là un couple de personnages prompt à inspirer d'autres saisons de X-Files. Mais le vent tourne...

Vienen
Mulder passe le relais à Doggett, pour peu de temps.

Lors des deux dernières saisons, les fans supportent mal les remplacements de Mulder et Scully, et les événements du 11 Septembre ont insufflé un besoin de confiance envers le gouvernement, allant à l'encontre du mantra de X-Files. La Fox jette alors son dévolu sur 24 Heures Chrono à laquelle est alloué un plus grand budget en dépit d'audiences moyennes. Les Soprano se baladent déjà depuis quelques temps sur une chaîne concurrente nommée HBO, bénéficiant de conditions de production nettement supérieures. Chris Carter jette l'éponge, mais son équipe peut se projeter dans l'avenir, forte de l'expérience acquise sur cette série de network qui pouvait se permettre toutes les audaces.
Si un vent de nostalgie a motivé un retour de 
X-Files en 2016, il serait intéressant de confronter ces nouveaux épisodes aux premiers afin de juger ce qui est encore montrable sur une chaîne comme la Fox et d'observer comment les nouveaux X-Files pourront intégrer les épisodes loners alors que les attentes résident dorénavant dans les histoires fleuves. Cette nouvelle fournée reproduira-t-elle la noirceur d'un Hannibal, son successeur le plus appliqué, ou sera-t-elle finalement un duo de plus dans le paysage des cop shows formatés ?


Ecrire X-Files, 1ère partie.



(1) The X-Files, Les Dossiers Complets, p. 44

(2) The X-Files, Les Dossiers Complets, p. 60

(3) Frank Spotnitz, The X-Files Lexicon

(4) Chris Carter, Vulture 

(5) The X-Files, Les Dossiers Complets, p. 99

(6) John Shiban, TV-now.com 

(7) X-Files Wikia

(8) Daily Mars. Pour aller plus loin, il est conseillé de lire la série de vingt articles proposés par Sullivan Le Postec

(9) Jason Henderson, Mania