Doctor Who 2010

La fable est l’avenir de l’Homme

Affiche Doctor Who 2010

1er janvier 2010. Clap de fin pour David Tennant qui lègue le costume du Docteur à Matt Smith. Moment déchirant comme le soulignait Guénaël, cependant annonciateur d’une nouvelle ère pour le dernier de Gallifrey.


Nouveau docteur. Nouvelle compagne. Nouveau showrunner. Nouveau logo. Nouveau générique. Nouveau Tardis. Evidemment, on aurait pu craindre la perte d’originalité ou de charme de la série suite au départ de Russel T. Davies, précédent showrunner. Heureusement, le flambeau est repris par Steven Moffat, scénariste de certains épisodes comptant parmi les meilleurs depuis le renouveau de la série en 2005 (Blink, Silence In The Library ; également showrunner de Sherlock version 2010). Et s’il garde ce qui faisait le charme du précédent run, il y ajoute une dimension supplémentaire en faisant de cette cinquième fournée… une allégorie de la femme. Rien que ça.

Doctor Who 2010
 


WE'RE ALL FAIRY TALES
Avant que de traiter ce thème, concentrons-nous sur un autre aspect de cette cinquième saison. Moffat n’a jamais caché qu’il avait dès le départ envisagé d’en faire un conte de fée ("[...] the word dark is entirely redundant when it comes to fairy tales, at least until Disney makes a version of them. And do fairy tales still have power? Well, look at the movies that have been made. Yes they do."). Dans The Eleventh Hour nous est présentée Amelia Pond, petite fille rêveuse qui rêve de parcourir le monde avec un ami imaginaire qui lui dit de ne pas grandir. Elle est surnommée iconiquement "The girl who waited", elle qui a attendu qu’un être merveilleux volant dans le ciel la prenne par la main et l’emmène dans son monde imaginaire.

Outre cette analogie au mythe de Peter Pan, nous retrouverons tout au long des douze épisodes suivants d’autres renvois à des histoires ancrées dans notre inconscient : The Beast Below montrant un monstre mangeur d’enfants ; Victory Of The Daleks et son personnage artificiel rêvant de devenir un être de chair ; The Time Of Angels / Flesh And Stone, où une Amelia vêtue de rouge parcourt une forêt, poursuivie par un monstre menaçant ; Vampires Of Venice et sa reprise de Barbe Bleue ; The Hungry Earth / Cold Blood où Moffat nous emmène dans une cité endormie pendant des millénaires ; Vincent And The Doctor et son Van Gogh directement associé à un monstre ; The Lodger où le baiser final résout la situation ; et enfin le double-épisode final qui nous présente un conte de fée perverti par le Mal lui-même. L'action se situe d'ailleurs à Stonehenge, lieu hautement symbolique et chargé en merveilleux.
Le showrunner ne tenterait-il pas de parler à l’inconscient collectif tout en analysant la série elle-même ? Après tout, celle-ci ne parle-t-elle pas d’un magicien parcourant le monde avec sa boîte et sa baguette magiques ? Et quand on entend, dans la bande-annonce de la saison à venir, le Docteur prononcer les mots "Monsters are real", on se dit que Moffat a encore plus d’un tour dans son sac pour la suite…

Doctor Who 2010
 


SILENCE WILL FALL
Chaque saison a sa propre thématique. Celle-ci ne déroge pas à la règle et s'offre le luxe d'être construit comme une gigantesque boucle temporelle. Ici, la menace est perçue comme une épée de Damoclès planant au dessus de l'Univers tout entier à travers un motif revenant régulièrement au fil des épisodes. "Silence will fall" et ce sera la fin de tout. Loin d'être une redite des Ténèbres de la saison quatre, elle permet à Moffat de se triturer le cerveau pour nous offrir un excellent script qui se termine par une pirouette inattendue à la fin du 5x12 (The Pandorica Opens).

Dans quasiment chaque épisode, des failles apparaissent, quelque soit l'époque, quelque soit le lieu. L'espace et le Temps disparaissent au fur et à mesure et cela commence dès le premier épisode où le Docteur s'aperçoit qu'Amelia n'a jamais entendu parler de la bataille de Canary Wharf ou d'autres évènements ayant jalonnés les saisons 1 à 4. Sur leur route, ils croiseront une mare aux canards ("Duck pond" en anglais)... sans canards, référence à l'esprit vidé d’Amelia Pond. L'univers est déchiré, et il se pourrait bien que la rencontre entre le Docteur et Amelia en soit à l'origine...
A noter que le motif "Silence will fall" peut être perçu comme la continuité de la thématique de la parole. Je ne vais pas redire ce qui a déjà été dit par Valentin Villenave, il l'écrit bien mieux que moi. On pourrait cependant ajouter que Moffat respecte cet état de fait tout au long de cette cinquième saison en faisant du langage l’arme ultime du Docteur, que cela fonctionne (le discours de Stonehenge, iconique à mort) ou non ("Tell me the whole plan!") face à un silence synonyme de mort. Lucide, le compositeur Murray Gold nommera une des musiques Words Win War.

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HELLO SWEETIE
Au centre de nombre contes de fée est présente la femme. Belle au bois dormant, Cendrillon, Petit Chaperon rouge et ... Eve ! Moffat semble considérer que le récit de la Genèse est en quelque sorte du domaine du merveilleux et construit son récit de treize épisodes sur le schéma de la Tentation. En effet, lors du premier épisode, Amy donne une pomme au Docteur qui la lui rendra quelques minutes plus tard. Elle finit par partir avec lui la veille de son mariage. Le message à la fin de The Eleventh Hour est donc clair : le Docteur est tel le Serpent, celui qui enlève les promises pour les emmener des endroits inconnus, celui qui leur promet monts et merveilles en dehors de l'Eden (petit cottage anglais isolé).
Cette tentation culminera jusqu'à un baiser désiré depuis longtemps, reniant ainsi le fiancé un peu gauche, Rory. Mais cette aventure sera finalement salvatrice puisque après avoir (littéralement) oublié celui qui devait devenir son époux, elle se rendra compte de son erreur. A trop vouloir choisir entre le rêve et la réalité (Amy's Choice), on va de psychiatres en psychiatres et on oublie qu'on peut avoir les deux (The Big Bang). Cette imagination tant désirée est le point de départ du récit et culminera dans un final où elle est pervertie par le Mal (uniquement des modèles masculins...) afin non pas de détruire l'Univers mais de le sauver, sans en mesurer les conséquences. Moffat a donc créé un récit sur le pouvoir de l'imagination. Imagination salvatrice mais dangereuse si la femme n'est pas présente pour stabiliser le chaos, recréer le Bien... rebooter l'Univers (The Big Bang).

L'épisode The Lodger est d'ailleurs une sorte de synthèse du run de Moffat puisque la demoiselle désirée par le loueur est tiraillée entre son rêve et son amour. Avoir accepté ce dernier sans oublier le premier sauvera la situation. Cette image de la femme de pouvoir est présente tout au long de la saison : Reines (Vampires Of Venice ; The Beast Below) ou combattantes (Cold Blood), mères ou filles. Elles peuvent sauver le monde ou le détruire, prennent les décisions difficiles, représentent le contre pouvoir. Elles sont le point central autour duquel gravite le modèle masculin, soit à ses ordres, soit faible (d’ailleurs, la plupart des contes de fée ont en fait été écrits par des femmes, en signe d’émancipation intellectuelle). L'exemple du mariage est le plus frappant puisque c'est un Rory soumis qui accepte de changer de nom de famille en prenant celui d'Amelia Pond. On pourrait également citer le personnage de River Song, seul élément liant les runs de Davies et Moffat. Elle connaît le passé et l'avenir du Docteur. Elle l'attire où qu'elle soit quand elle le désire. De même, ce n'est pas Rory le héros, suivi par une demoiselle au coeur pur. C'est l'inverse. On pourrait rapprocher ces éléments du personnage de Donna (saison quatre), autour duquel tout converge.

Doctor Who 2010
 


GERONIMO
Il y aurait encore beaucoup d'autres choses à dire sur la cinquième saison de Docteur Who, notamment sur le côté sombre et ambivalent du personnage (je n'avais pas encore dit à quel point Matt Smith était brillant, c'est fait). Mais tout ceci semble se poursuivre dans la sixième saison, qui doit résoudre plusieurs questions en suspens (qui a piégé le Tardis ?). On conclura donc en parlant de l'énorme potentiel populaire que possède la série et qu'elle exploite à merveille : vampires, aliens, bataille spatiale, monstres, etc. Davies a ressuscité un personnage. Moffat lui offre son tapis rouge. Le Docteur est mort. Vive le Docteur.

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NB : Certains fans ont remarqué l'étrange analogie entre la fracture récurrente du récit et un motif pris en photo par la NASA...


DOCTOR WHO – SERIES 5
Réalisateurs : Adam Smith, Andrew Gunn, Jonny Campbell, Catherine Morshead, Ashley Way & Toby Haynes
Scénario : Steven Moffat, Mark Gatiss, Toby Whithouse, Simon Nye, Chris Chibnall, Richard Curtis & Gareth Roberts
Production : Peter Bennett, Tracie Simpson & Patrick Schweitzer
Interprètes : Matt Smith, Karren Gillan & Arthur Darvill
Bande originale : Murray Gold
Origine : Royaume-Uni
Durée : 13x55 min env.




   

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