Breaking Bad

Ordinary decent criminal

Affiche Breaking Bad

Albuquerque, Nouveau-Mexique. Walter White est un prof de chimie de 50 ans qui bosse à mi-temps dans un car wash pour faire subsister sa famille. Un jour il s’évanouit et on lui diagnostique un cancer des poumons avec au plus deux ans à vivre.


Afin de garantir à sa femme et à son fils suffisamment d’argent, il décide de s’associer avec un de ses anciens élèves devenu dealer pour fabriquer de la méthamphétamine. Mais la route qui l’attend est loin d’être de tout repos, d’autant plus que son beau-frère bosse à la DEA et que leur petite entreprise va vite les emporter dans des situations qui les dépassent.

La petite chaîne AMC a du flair. Après avoir lancé Mad Men en 2007 et profité du succès critique et public de cette série élégante narrant le quotidien de publicitaires dans l’Amérique des 60’s, elle récidive l’année suivante avec cet OVNI qui menaçait de finir dans les oubliettes des nombreuses idées géniales rejetées par les chaînes. Au final, Breaking Bad est incontestablement la surprise de l’année 2008 et le deuxième succès critique de la chaîne. Partant d’un postulat original, elle jette un pavé dans la mare de par la qualité de son scénario, de ses acteurs et de sa réalisation. Tout cela, on le doit à Vince Gilligan, co-producteur des X-Files, qui enfile pour l’occasion les casquettes de scénariste, de showrunner et de réalisateur sur le pilote. Malgré l’amputation de sa série pour sa première saison en raison de la grève des scénaristes, il aura su donner à ces sept épisodes toute l’intensité et l’originalité nécessaire à tenir en haleine ainsi qu'un bouquet final qui ne présage que du meilleur pour la deuxième saison.


THERE'S A NEW GUY IN TOWN
A la lecture d’un pitch pareil, on ne peut que penser aux frères Coen et c'est clairement vers ces eaux-là que Vince Giligan nous entraîne, sans toutefois singer le modèle. Breaking Bad retient du duo un coté typique de l’Amérique observé par la caméra, un décalage absurde renvoyant à leurs comédies ainsi que le postulat de l’accès à la criminalité d’un homme normal. Alors que défilent les épisodes, la route se creuse petit à petit pour les deux associés, traînant un suspens languissant à cheval entre Blood Simple et No Country For Old Man. Un suspens dosé par l’utilisation intelligente du flash-forward au début de certains épisodes qui marque l’inéluctabilité de l’évolution de Walt et qui ne manque pas de secouer le train-train du spectateur (peu de séries commencent avec un héros en slip dans une caravane au milieu d'un désert). Les premiers épisodes nous font suivre les déboires burlesques d'apprentis criminels. Ils nous font redouter la chute inexorable, on s’oriente ensuite dans la description de ces hommes et de leur passé, puis l’association se renoue et tout devient plus sérieux. Ce parcours met en valeur tous ces moments où Walter franchit les limites et où il se retrouve face à lui-même, ne comptant que sur des choix hasardeux pour se tirer d’affaire.

Breaking Bad
 

Mais le choix est une révolution pour un personnage qui n’a jamais vraiment eu le contrôle de sa vie, trop gentil, trop asservi par ses responsabilités et qui voit dans ce dernier tournant que prend sa vie un moyen de se laisser aller. Il décide d’abord d’utiliser ses compétences en chimie pour s’en sortir, puis il fait sauter ses verrous un à un, l'occasion de scènes jouissives lorsqu'il fait péter la caisse d’un businessman égocentrique ou quand il corrige violemment des gamins qui se moquaient de son fils. La dernière partie de la saison modifie la donne et elle pulvérise tout, renvoyant à cette scène de The Barber quand l'homme observe calmement de sa voiture, galvanisé par le franchissement de cette ligne, où il passe d'un coté que la plupart ne connaîtront jamais. Avoir choisi un homme atteint du cancer agrandit encore le fossé qui le sépare des autres et en particulier de sa famille. La descente aux enfers et le quotidien difficile des malades du cancer et de la chimiothérapie y sont décrits de manière froide et systématique. Un quotidien dégénératif clairement en opposition avec le héros qui semble vivre de plus en plus à mesure qu’il enfreint la loi. On assiste peu à peu à la naissance d’un nouveau Walter White transformé mentalement et physiquement dès le sixième épisode au cours d’un flash-forward qui en surprendra plus d’un.

Breaking Bad
 


CHIMIE APPLIQUÉE
Breaking Bad parle très bien de la criminalité et du cancer, mais elle parle encore mieux de chimie. Walter est un pro dans son domaine, ancien Nobel. En prenant largement son point de vue, la série va s’orienter sur la posture que la chimie est partout et qu’elle est plus forte que tout. Elle se trouve même à chaque nom du générique encadré par un élément du tableau périodique. La connaissance de Walt lui permet d’accéder à tous les niveaux à ce qu’il n’aurait pas pu avoir légalement et de se sortir ainsi des pires situations. Elle lui permet de fabriquer la methamphétamine la plus pure sur le marché, de suppléer à l’absence d’un produit par un autre produit, de savoir que l’acide hydrofluorique ne dissout pas les bassins en plastique (pratique pour faire disparaître un corps), ou bien d’impressionner le caïd local par un tour de passe-passe on ne peut plus scientifique. La série table sur la connaissance de la matière et des atomes, qui devient la force de Walt au sein d’un monde qu’il ne connaît pas. Breaking Bad série pédagogique? On peut dire en tout cas que le bestiau est fort documenté et que le duo de départ improbable, à savoir un prof et son ancien élève qui ne suivait rien de ses cours, sent la note d’intention à plein nez. Jesse Pinkman, au départ réfractaire à une association avec White, finit par le respecter, puis par prendre compte de ses conseils lorsqu’il se retrouve seul face à un nouveau partenaire. Dans la dernière partie de la saison, Jesse se replace dans la posture de l’élève dans un contexte totalement différent. La complémentarité de l’un et de l’autre (très bien rendue par les acteurs) en fait des associés possédant un rapport amical et émulateur allant au-delà de la simple association.


BRYAN CRANSTON IN THE MIDDLE
On connaissait Bryan Cranston en génie comique dans les huit saisons de la série Malcolm. Vampirisant le show, Hal volait la vedette à des acteurs qui rivalisaient pourtant d’excellence chacun dans leur rôle. Dans le registre très différent et beaucoup plus varié de Breaking Bad, il est encore plus surprenant. D’une grande justesse dans des scènes dramatiques intenses, étonnant dans le burlesque et loin des gesticulations auxquelles il nous avait habitué, il rafle l’Emmy Award 2008 du meilleur premier rôle masculin pour son interprétation de Walter White et il n’aurait pas démérité à l’Oscar tant son implication sur la durée explose les prestations cinématographiques de l’année écoulée. Bryan Cranston est aussi très bien entouré. La charmante Anna Gunn compose une épouse droite et aimante, mais qui ne lésine pas sur les moyens pour défendre les siens. On est aussi soufflé par la performance de RJ Mitte dans le rôle de Walter Junior, jeune homme handicapé et adolescent bien plus complexe et fort que les standards des séries. L'impact des scènes ou l'on emploie des allusions et le double langage sont aussi totalement réjouissantes, en particulier celles dans lesquelles Walt est en contact avec son beau-frère de la DEA, lui-même embarqué dans l’enquête qui le concerne. Les scènes intimistes, pour la plupart familiales, se succèdent au cœur de l’action avec une langueur et un humour salvateur, suivis par une caméra observatrice. Certaines durent longtemps, on pense à la grande scène avec l'oreiller dans l’épisode 5 qui se prolonge sur une durée incroyable dans une série TV, mais parvient à captiver par son ton, son enjeu et le jeu des acteurs. Outre le suspens et la brillante exploration de l'intimité du héros, nous avons aussi une belle galerie de personnages qui se livrent peu à peu, tantôt loufoques et tantôt attachants. On ne va jamais jusqu'à les discréditer et quelques soient leurs défauts, ils se montrent au final très humains.

Breaking Bad
 

La plus grande force de la série est d’aborder ces moments intimistes sur un pied d’égalité avec les autres moments d’action comme des morceaux de vie à part égale. Il faut s’en réjouir car il est rare de voir un objet télévisuel qui suit aussi bien son cours, qui soit aussi juste et aussi drôlement désespérée tout en possédant une vraie identité visuelle et narrative (et qui ne vienne pas de HBO). De nombreuses pistes ont été semées dans ces sept épisodes et on attend avec impatience la suite des aventures de Walter White et de Jesse Pinkman, avec une fournée de treize nouveaux opus diffusés dès le 8 mars aux Etats-Unis. Pour ce qui est d'une diffusion en France, rien n’est encore prévu.


BREAKING BAD
Réalisation : Vince Gilligan, Adam Berstein, Tricia Brock, Bronwen Hugues, Tim Hunter
Scénario : Vince Gilligan, Patty Lin, George Mastras, Peter Gould
Producteurs exécutifs : Vince Gilligan, Mark Johnson, Gina Scheerer
Photo: Uta Briesewitz
Interprètes : Bryan Cranston, Anna Gunn, Aaron Paul, Dean Norris, Betsy Brandt, RJ Mitte
Origine : USA