Better Call Saul

Starting good

Affiche Better Call Saul

Le spin-off de Breaking Bad centré sur Saul Goodman a débarqué en février dernier aux Etats-Unis sur AMC et en France sur Netflix avec la lourde mission de succéder à Heisenberg. Premier bilan.


Le 29 septembre 2013, la page Breaking Bad se refermait sur un éprouvant épisode final. Peter Gould (créateur du personnage de Saul Goodman) et Vince Gilligan (showrunner de Breaking Bad) avaient déjà présenté à AMC, puis à Netflix, leur projet de série sur les débuts de l’avocat criminel alors qu’il n’était que Jimmy McGill. Ils misaient sur un format plus court d’une demi-heure à dominante humoristique ("75% comedy, 25% drama"), option plus compatible avec un personnage aussi extravagant. Mais Gilligan n’a jamais su suivre le chemin le plus évident.

Better Call Saul

Better Call Saul se rapprochera finalement de Breaking Bad, et ce dès sa scène d’ouverture en noir et blanc montrant les difficultés de Saul Goodman après les événements de la série-mère dans un oppressant mélange de nostalgie et de paranoïa.
Flashback, six ans avant sa rencontre avec Walter White : le futur avocat-star est dans une mauvaise passe mais reste assez naïf et bien intentionné, loin de l'homme qui a tout perdu. Jimmy McGill vit le blues de l’avocat débutant : entre commis d’office et petites absurdités quotidiennes, il doit s’occuper d’un frère ténor du barreau assigné à résidence pour cause d'hypersensibilité électromagnétique. Son passé de petit escroc lui colle à la peau, et le crime dans ses aspects les plus ordinaires se présente à sa porte... Chassez le naturel, il revient au galop.

L’adage vaut aussi pour Gould et Gilligan qui retrouvent ici leurs vieux réflexes. On peut se féliciter du revirement opéré en faveur d'un format 45 minutes plus hybride puisqu'on y retrouve le même intérêt que Breaking Bad portait au détail et à l'anecdote, la même cohérence narrative et une forme insaisissable mais toujours savamment opérée via les ruptures de ton. Sans jamais perdre de vue son approche réaliste, Better Call Saul côtoie l'absurde quotidien d’un jeune avocat (la constitution d'une clientèle, les plaidoiries perdues d'avance, la cour au district attorney), le procédural déviant (le cas de la maison de retraite), le néo Noir à la limite du grotesque (l’improbable fil rouge des Kettleman) au polar hard boiled (l'épisode Five-O). Avec le même succès que son aînée.

Better Call Saul


A ceux qui espéraient terminer en terrain connu, autant révéler tout de suite que cette première saison ne verra pas la naissance de Saul Goodman. Peter Gould pensait y arriver plus vite, mais les deux showrunners
aimaient tant Jimmy McGill qu’ils ne voulaient plus le quitter. A la vue de cette saison, on se demande quelle en serait l’utilité. Par bribes mêlant passé et présent, Jimmy McGill se construit dans toute sa complexité, éclipsant son très bon alter-égo qui était, lui, dénué d’interactions en dehors du business. Son attachement à son frère Chuck lui confère un contexte familial touchant mais c’est son amitié avec l'avocate Kim Wexler, décrite avec une justesse surprenante, qui apporte une véritable connaissance de l’homme et un profond attachement affectif.

Better Call Saul

Son passé d’arnaqueur, effleuré jusqu’à la fin de la saison puis sublimé lors d'une séquence du dernier épisode, sert la crédibilité de McGill en tant qu’avocat. Son attachement à l'apparence et son sens du spectacle établissent une interface entre passé (Jimmy la glisse, l'arnaqueur), présent (Jimmy McGill, l'avocat débutant) et futur (Breaking Bad) qui éclaire rétrospectivement son parcours. Même s'ils font dans la nuance, les scénaristes n'hésitent pas à souligner ses traits de caractère, notamment à travers la personnification de Matlock pour appâter les personnes âgées ou bien l’attaque frontal de l’image de l'avocat gavé de réussite que représente Howard Hamlin. Jimmy est tour à tour manipulateur et victime des apparences, son appréhension des forces en présence et sa motivation sont fortement biaisées par un frère incarnant la rectitude morale et un grand cabinet qui transpire le faux. Ainsi se construit-il un ennemi de pacotille à travers Hamlin, l’associé de Chuck. Avec les divers flashbacks disséminés tout au long de la saison, Peter Gould et Vince Gilligan calquent le sentiment du téléspectateur sur le ressenti de McGill, préparant le surprenant choc final. Ce changement de direction rend presque inévitable la volte-face du personnage.

Better Call Saul

Cette saison 1 de Better Call Saul ne serait pas ce qu’elle est sans un second rôle surprise, et pas des moindres : Mike Ehrmantraut, l’homme de confiance affable de Goodman, futur associé de Gus Fring. Débarqué depuis peu à Albuquerque suite à la mort de son fils, il officie comme gardien de parking et noue le contact avec McGill dans de curieuses circonstances. L’épisode 6, Five-O, qui restitue les événements qui l'ont conduit à quitter Philadelphie, montre pour la première fois Mike dans une position de faiblesse. Cette humanisation fonctionne autant que pour le personnage titre et montre Jonathan Banks briller aussi bien dans un rôle dramatique que dans le monolithe charismatique.
Pour ces futures victimes de Heisenberg,
Better Call Saul est en quelque sorte l'inverse de ce qu'était Breaking Bad pour Walter White : ce sont les personnages qui bâtissent leurs causes et échéances, le tout dans un respect notable de la série d'origine. Un des gages de réussite de la série serait d'établir un arc complet à Jimmy McGill et à Mike Ehrmantraut qui enrichirait la vision de Breaking Bad. En ce sens, ces débuts sont très prometteurs.




BETTER CALL SAUL
Showrunners : Vince Gilligan, Peter Gould
Scénario : Peter Gould, Vince Gilligan, Thomas Schnauz, Gennifer Hutchison, Bradley Paul, Gordon Smith, Laryssa Kondracki, 
Réalisation : Vince Gilligan, Michelle MacLaren, Terry McDonough, Colin Bucksey, Nicole Kassell, Adam Bernstein, Peter Gould
Origine : USA
Durée : 10 x 45 minutes
Sortie française : 9 février 2015 sur Netflix